journal intime
167 _ vendredi 30 mai 2003

L'esplanade des Halles

Je dois avoir une photo de Julie glissée sous les paupières, car chaque fois que je ferme les yeux, c'est elle que je vois. Alors comment l'expliquer autrement ?
Il fait bien chaud ces jours-ci, beaucoup trop chaud pour moi… Je reviens d'une balade avec mon chien, et j'ai bien cru que j'allais passer l'arme à gauche sous le soleil. J'avais beau raser les murs pour rester à l'ombre, ça n'y changeait pas grand chose. Au moins à La Rochelle, vous avez les arcades : vous êtes sûrs de toujours trouver un petit coin de fraîcheur. Alors qu'ici… A force de raser les murs, j'ai aterri e rue Quincampoix, et ce nom me disait quelque chose. Soit ce nom est célèbre, soit j'étais déjà passée ici un jour. De là je suis arrivée du côté des Halles, je me suis empressée de descendre au sous-sol chercher un peu de fraîcheur. Ca ne casse pas des briques, les Halles. On sent que c'est un endroit qui a été moderne autrefois, mais aujourd'hui c'est devenu limite ringard. Alors je suis remontée pour me retrouver sur l'esplanade, qui un peu une sorte de grand toit au-dessus de la ville. Je me suis trouvée un petit coin à l'ombre et me suis allongée sur le sol pour me déconnecter un peu, c'était doux… Mon chien était collé contre moi, comme s'il ne faisait pas déjà assez chaud.
Je n'ai même pas honte de me reposer alors que le bac approche. Eh oui, le bac est désormais inévitable, avant il était à l'horizon, maintenant il est planté là devant moi comme un mur. Mais je ne me fais pas trop de soucis : je vais venir, je vais voir, et je vais vaincre. Foi d'Aglaia ! Je fais la belle mais aujourd'hui mais je n'ai rien fichu, pas plus qu'hier d'ailleurs. Alors je ne suis pas si sûre que ça de vaincre. Mais ce n'est pas grave. Tout ce que j'espère (je ne suis pas exigeante), c'est d'avoir une place à côté de la fenêtre. Comme ça si je manque d'inspiration pendant les examens, je pourrai toujours regarder de l'autre côté pour passer le temps. Et le temps, il va être long ! Il y a des épreuves qui durent quatre heures. Franchement, je trouve qu'ils ont placé la barre un peu haut : quatre heures sans fumer, c'est rude !
Certains lecteurs me demandent ce que je compte faire pour Julie. C'est vrai que je ne l'ai pas dit, parce que pour moi ça paraît évident. Je vais tout simplement attendre que le bac soit passé, et là je l'inviterai, à La Rochelle ou bien ici. Et il faudra bien qu'elle comprenne ! Mais je ne sais pas encore si je lui parlerai avec des mots ou bien avec des gestes. Ce n'est pas évident, tout ça… Je relis parfois le texte que j'ai écrit quand je suis sortie avec David. Tout paraît si simple et facile ! Il faut dire que la différence entre David et Julie est de taille. David je le connaissais assez peu en fait, et puis s'il n'avait pas voulu de moi ça n'aurait pas été dramatique. Alors que Julie…
En tous cas, je ne lui dirai pas quelque chose du genre : " Ecoute Julie il faut que je te parle, voilà, je voulais te dire que etc… " Ca n'aurait aucun sens, ce genre de discours. Jamais on ne s'est parlé ainsi, elle et moi. Rien que par des bouts de phrases au fil des journées, j'ai tout appris d'elle et elle a tout appris de moi. Lui dire " écoute ", déjà, ça ne veut rien dire. Ca se passera naturellement, quand le moment propice sera venu. Il faudra qu'elle comprenne. De toutes façons, je ne pourrai pas me taire. Car elle verra bien que j'ai changé. Si Julie était là, ici et maintenant, c'est sûr que mon comportement serait différent de d'habitude. Que je ne lui parlerais pas comme avant, que quelque chose ne tourne pas rond dans ma tête.
Le lui dire par des gestes, ça me paraît plus simple. Et encore… pas tellement. A part l'embrasser sur la bouche, je ne vois pas ce qui pourrait lui faire comprendre que je l'aime. Et même l'embrasser, ça risque de ne pas être suffisant. Car on est tellement proche que ça ne la choquerait pas. Une nuit, elle avait dormi dans mon lit, ce jour-là. Elle n'était pas très bien, je me souviens, avant qu'elle s'endorme on s'était serrées dans les bras l'une de l'autre. Et on se caressait les cheveux. Et nos lèvres s'étaient effleurées. Et pourtant, je peux vous assurer que c'était en tout bien tout honneur, que je n'étais pas amoureuse et elle non plus. C'était juste comme ça…
Mais maintenant je veux plus que ça. Je ne veux pas la serrer dans mes bras juste avant de dormir, je veux la serrer toute la journée, et toute la vie. Me fondre en elle jusqu'à ce qu'on ne fasse plus qu'une, elle et moi. C'est quand même pas compliqué ! Je m'aperçois que dans la vie, ce n'est pas oui ou non, ce n'est pas amitié ou amour, la frontière est parfois bien fine entre les deux. Voire inexistante, il y a juste un petit pas à franchir.
Mais je m'égare, je m'égare… J'en étais rendue sur l'esplanade des halles. J'étais bien, là-haut, j'ai failli m'endormir. J'entendais des enfants courir et rire, et un guitariste chanteur. D'ailleurs je l'avais déjà vu, un jour, et pas très loin des Halles : devant le centre Pompidou. D'ailleurs ce jour-là c'était avec Julie, on s'était assise pas très loin, et à un moment il nous avait parlé en rigolant. Mais c'était en anglais, on n'avait rien compris.
La seule chose qui me tracasse dans toute cette histoire, c'est ce gars qui s'amuse à draguer Julie. Je dis " s'amuse " car ça ne peut pas être sérieux… S'il était sérieux, il renoncerait avant même d'avoir commencé. Un tout petit peu de conscience, et il s'apercevrait qu'elle est beaucoup trop bien pour lui. Sans le connaître, j'en suis certaine. J'aimerais bien qu'il se foule une cheville et qu'il parte en vacances un peu avant l'heure, celui-là…

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