Cette nuit, un
bruit m'a réveillée. Et quand je
suis réveillée j'ai beaucoup de
mal à me rendormir. Alors autant se lever
carrément et se changer les idées.
J'ai allumé la lumière et suis descendue
dans le salon. Et c'est là que j'ai vu
Julie, toute couverte comme pour un long voyage
dans le froid, prête à quitter la
maison. Elle était sur le point de repartir
chez elle, et écrivait un petit mot pour
nous prévenir. Sur le moment j'ai eu peur
! Elle ne va pas très bien, en ce moment,
et d'un seul coup j'ai pensé " ça
y est elle va faire une bêtise ". Mais
non, elle avait simplement décidé
de regagner son appartement là-bas, à
Mireuil. En me voyant débarquer, elle a
eu un soupir de déception, comme si elle
avait manqué son coup. Elle voulait partir
parce qu'elle s'en voulait d'être restée
dormir ici, alors que sa mère avait besoin
d'elle en ce moment. Mais je ne pouvais pas la
laisser sortir ainsi, c'est beaucoup trop dangereux,
pour une jeune fille, de traverser tous ces vilains
quartiers seule et en pleine nuit. Car c'est dans
un vilain quartier qu'elle habite, il faut bien
le reconnaître. Je lui ai dit et elle a
répliqué qu'elle s'en voulait trop
d'avoir quitté sa mère, ne serait-ce
que pour une nuit, et que de toutes façons
si elle restait chez moi elle ne pourrait pas
se rendormir. " Très bien, alors je
t'accompagne " que je lui ai dit. Ben ouais,
au moins on serait deux, et puis avec mon chien
on ne risque pas grand chose. Quand je lui ai
dit ça elle est redevenue toute triste,
toute perturbée, comme si moi, son amie,
je venais bouleverser tous ses plans. Et ça
m'a fait mal de voir que je lui causais tant de
soucis. Mais je n'aurais pas pu la laisser sortir
toute seule, non, vraiment... Je me suis assise
à côté d'elle et j'ai essayé
d'attirer son regard car elle avait les yeux baissés,
pensive. Je lui ai pris la main et lui ai dit
que si elle voulait, on se lèverait plus
tôt le matin et on passerait voir sa mère
avant d'aller au lycée. Elle m'a juste
répondu que sa mère elle était
bien malheureuse, en ce moment. Alors pour changer
de sujet je lui ai demandé si par hasard
elle n'avait pas un petit peu faim, elle a fait
oui sans m'avoir écouté alors je
suis partie à la cuisine chercher deux
pains au chocolat. Et on les a mangés en
silence, dans le salon, sur le canapé.
Et d'un seul coup, j'ai réalisé
à quel point on devait avoir l'air drôles
toutes les deux comme ça : à manger
un pain au chocolat à quatre heures du
matin, en silence, elle toute couverte de son
gros manteau, et moi à côté
en chemise de nuit ! En pensant à ça
j'ai souri et Julie l'a vu. Elle m'a demandé
pourquoi je riais et je lui ai expliqué.
Et elle aussi s'est mise à sourire... et
a retiré son gros manteau... ouf ! Puis
elle a dit " bon ben je vais rester... "
Elle l'a dit d'un air résigné, mais
j'ai senti qu'il n'y avait plus de chagrin dans
ses paroles. On a fini nos pains au chocolat et
on est remontées . En passant devant ma
porte, elle m'a demandé " je peux
dormir avec toi ? " Ah la la... Elle était
toute gênée, comme si elle avait
honte de me demander ça... " Mais
bien sûr que tu peux ! " Alors on s'est
couchées et cinq minutes après elle
dormait déjà. Mais moi quand je
suis réveillée j'ai beaucoup de
mal à me rendormir, alors je me suis tournée
les pouces pendant vingt bonnes minutes avant
de fermer l'oeil. J'aurais été seule
je me serais relevée, mais je l'entendais
dormir à côté de moi et je
ne voulais pas risquer de la réveiller.
Ce midi après le lycée on est allées
chez elle. Effectivement, sa mère ne va
pas bien du tout. Elle était sur les nerfs
et très agressive, c'est à peine
si elle nous a dit bonjour. Je me demande même
si elle a rendu la bise que Julie lui a faite,
je ne sais plus... Il y avait plein de cartons,
le départ est proche. Elles vont quitter
l'appartement dans les jours qui viennent, certainement
que lundi elles ne seront plus là, c'est
désespérant. Alors sa mère
remballe les affaires. Elle parlait toute seule,
toute coléreuse. Elle a dit à Julie
: " faut que tes affaires soient emballées
ce soir ! " Alors Julie a demandé
pourquoi et sa mère a répondu "
beh qu'est ce que tu crois, qu'on n'a que ça
à faire ! Tout doit partir demain, et tes
cartons ils vont pas se faire tout seul. "
Je n'en revenais pas de la voir si autoritaire
et j'avais de la peine pour Julie, qui évitait
de répondre. Et sa mère a rajouté
: " et cette nuit tu restes ici ! "
Là c'était trop. Elle oblige sa
fille à quitter la ville avec elle parce
qu'elle n'a pas le courage de dire non à
son mari, et elle la traite comme une moins que
rien ? Je bouillais en moi-même. Et elle
continuait : " je me suis faite insulter
au téléphone ce matin ! La proprio
a appelé et elle m'a fait comprendre que
quitter un appartement au bout d'un mois c'était
irresponsable " etc... etc... Franchement
la proprio, qu'est ce qu'on en a à faire...
Il y avait un carton qui gênait alors elle
a donné un coup de pied dedans : on a entendu
de la porcelaine se casser. Elle a levé
les yeux au ciel l'air de dire " mais qu'est
ce que j'ai fait pour mériter ça
? Je ferais mieux de me jeter par la fenêtre
tiens
" C'en était trop, avec
Julie on a quitté la pièce pour
aller dans sa chambre. Je n'en revenais pas. Elle
m'a raconté que vendredi soir elle avait
véritablement explosé. Et dans sa
colère elle a appris à Julie des
choses qu'elle lui cachait depuis plus d'un an.
En fait pendant tout ce temps, son père
leur envoyait beaucoup de lettres, une par semaine
à peu près. Il était toujours
méchant et agressif dans son courrier,
alors sa mère le déchirait. C'est
pour cela qu'elles sont venues s'installer à
La Rochelle : pour être définitivement
à l'abri du père. Mais il les a
retrouvées et il est désormais plus
méchant que jamais, plus menaçant.
Puis on a décidé de sortir. Au moment
où on franchissait le seuil, la mère
de Julie a dit " et tes cartons ? "
mais la porte a claqué, pas besoin de répondre...
A l'heure qu'il est je suis encore révoltée
de ce que j'ai vu. Voir Mireille traiter sa fille
de la sorte, alors qu'elle exige tant d'elle...
Et Julie, je pense à elle et j'aimerais
qu'elle soit ici, en ce moment. J'espère
qu'elle ne se sent pas trop seule.
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