Encore un petit
malheur : Julie va devoir s'en aller. Elle va
devoir retourner sur Paris avec sa mère.
C'est tellement triste que c'est à peine
si j'en suis chagrine. Eh oui, mon petit côté
pessimiste me disait que tout cela était
trop beau pour être vrai, et qu'un jour
ou l'autre ça casserait. Mais mon petit
côté optimiste me disait que peut-être,
enfin, la vie était belle et allait le
rester. Mais non, encore une fois les choses se
gâtent et c'est une nouvelle claque que
je me prends.
Petit malheur pour moi, mais gros malheur pour
Julie. Moi je perds une amie, l'une des meilleures,
mais elle, elle perd tout une partie de sa vie...
Elle était heureuse, ici, à La Rochelle...
Et sa mère aussi... Je parle de tout ça
mais je n'ai encore pas dit pourquoi elle allait
devoir s'en aller. C'est parce que pour moi son
départ est bien plus grave que la raison
de ce départ... C'est son père.
Il les rappelle auprès de lui, Julie et
sa mère. Voilà un an qu'il n'avait
plus donné de nouvelles de lui, et quand
il repointe le bout de son nez c'est pour mettre
le boxon. Pour exiger que sa famille décomposée
revienne s'occuper un peu de lui. D'un seul coup
il s'est rendu compte qu'il ne pouvait pas vivre
tout seul. Mais si encore il avait demandé
pardon, ou bien fait les choses gentiment, mais
non ! Il a fait de belles grosses vagues, et a
lancé des menaces, comme quoi si elles
ne rentraient pas eh bien c'est lui qui viendrait
les chercher. Voilà. Le mâle a parlé,
on obéit. Pfff... Et le pire, c'est qu'elles
vont effectivement obéir et retourner se
mettre à ses petits soins. Julie elle suit
sa mère, elle a quinze ans, elle n'a pas
le choix... Mais sa mère... Elle abuse,
franchement, de se laisser faire de la sorte.
Est-ce par amour ? Ca m'étonnerait... Par
charité ? Mais non ! Par peur ou par faiblesse,
c'est sûr. Et finalement je me demande qui
est le plus stupide dans l'histoire : le méchant
qui croit que tout lui est dû, ou bien la
gentille qui se laisse mener
Je lui dirais
bien deux mots, moi, à son père.
Il serait temps qu'il grandisse un peu ! Il ruine
sa famille et répand le mal autour de lui.
Il y a des gens qui ne savent pas faire autre
chose que le mal, si bien qu'on dirait qu'ils
sont nés avec ça dans la peau. Mais
non, on ne peut pas naître avec le mal dans
la peau. Ils ont dû l'attraper quelque part
à un moment de leur vie, et depuis ils
ne le lâchent plus. C'est triste. J'espère
ne jamais l'attraper, moi. Mais je suppose que
personne n'est à l'abri.
On en a beaucoup parlé avec ma mère,
elle aussi elle est tracassée par toute
cette histoire. Je lui ai dit que je trouvais
inadmissible et irresponsable, de la part des
parents de Julie, de déménager comme
ça à tout bout de champ tous les
deux mois. Comment leur fille peut-elle s'épanouir
dans ces conditions ? Si elle réussit son
année scolaire, eh bien elle n'aura pas
à remercier quelqu'un d'autre qu'elle-même.
Je lui ai dit ça, à ma mère,
elle n'a rien répondu mais j'ai bien vu
qu'elle était d'accord. Je n'ai pas d'enfants
et je ne sais pas ce que c'est que d'en avoir.
Je ne dis pas que moi je serai une meilleure mère,
quand le jour viendra. Mais j'espère quand
même que j'éviterai certaines erreurs
assez énormes.
Le plus triste dans tout ça, c'est que
Julie commençait à être vraiment
heureuse, ici. Elle s'est faite quelques bonnes
copines au lycée, on se voyait tous les
jours ou presque... Bon, c'est sûr qu'elle
s'en remettra. C'est une fille qui aime la vie,
elle a toujours le sourire, elle prend les choses
du bon côté, mais quand même
c'est un coup dur pour elle... Alors ce soir elle
a craqué et s'est mise à pleurer.
Je ne sais pas si elle pleurait de partir, ou
bien pour son père, ou bien à l'idée
de devoir se refaire une nouvelle vie
Je
pense que c'est surtout pour son père,
qu'elle pleurait. Elle est bien malheureuse pour
lui, de voir ce qu'il est devenu au fil des années...
Je ne savais pas quoi lui dire pour lui remonter
le moral. Alors je l'ai simplement serrée
fort dans mes bras. On était dans sa chambre,
à ce moment-là. Je dis " sa
chambre ", parce que je considère
que c'est la sienne. Ce n'est plus celle de ma
soeur, ce n'est plus la chambre d'amis, c'est
la chambre de Julie. Je l'ai rénovée
pour elle, je l'ai accueillie ici, et elle y a
laissé un petit bout de sa vie. Dans cette
chambre on y a causé, on y a rigolé,
et aujourd'hui elle y a laissé quelques
larmes. Et c'est ainsi qu'elle a marqué
cette pièce de son empreinte. Quand j'y
rentre c'est à elle que je pense. Cette
chambre ne ressemblera à rien sans Julie,
c'est sûr.
Vraiment, je ne pouvais pas la laisser rentrer
chez elle ce soir. Déjà hier, alors
qu'elle était joyeuse, j'avais eu mal au
coeur de la voir s'engouffrer dans la nuit et
le froid. Alors la même chose ce soir avec
le chagrin en plus, non, c'était trop...
Je lui ai donc proposé de rester dormir.
Elle a téléphoné à
sa mère pour lui demander si elle pouvait.
En l'écoutant parler au téléphone
je me disais que ce serait le comble si sa mère,
en plus de la ramener avec elle à Paris,
lui interdisait de passer la nuit chez une copine.
Mais c'est bon, elle a pu rester. Tant mieux.
On a mangé tous les quatre, ma mère,
mon petit frère, Julie et moi. Rien de
tel que mon petit frère pour vous changer
les idées si vous n'avez pas le moral.
Il raconte tout un tas de choses incroyables !
En plus il en rajoutait un peu car j'ai bien l'impression
qu'il est un peu amoureux de Julie. Enfin il faut
dire qu'il est un peu amoureux de pas mal de filles...
Noémie m'a téléphoné.
Un problème de maths, de primitives. C'est
vrai que depuis mon éclair de génie
dimanche, je suis la maîtresse incontestée
des primitives ! Puis on est montées se
coucher avec Julie. Je suis restée avec
elle pour parler encore un peu et résultat
: je me suis endormie sur son lit !
A part ça, j'ai reçu deux mails
très gentils, de la part de deux personnes
tout à fait opposées : une dame
assez âgée, 74 ans, et une petite
fille. Comme quoi mon journal, c'est comme les
albums de Tintin : il est fait pour les gens de
7 à 77 ans.
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