journal intime
58 _ Mardi 3 décembre 2002

Julie va partir

Encore un petit malheur : Julie va devoir s'en aller. Elle va devoir retourner sur Paris avec sa mère. C'est tellement triste que c'est à peine si j'en suis chagrine. Eh oui, mon petit côté pessimiste me disait que tout cela était trop beau pour être vrai, et qu'un jour ou l'autre ça casserait. Mais mon petit côté optimiste me disait que peut-être, enfin, la vie était belle et allait le rester. Mais non, encore une fois les choses se gâtent et c'est une nouvelle claque que je me prends.
Petit malheur pour moi, mais gros malheur pour Julie. Moi je perds une amie, l'une des meilleures, mais elle, elle perd tout une partie de sa vie... Elle était heureuse, ici, à La Rochelle... Et sa mère aussi... Je parle de tout ça mais je n'ai encore pas dit pourquoi elle allait devoir s'en aller. C'est parce que pour moi son départ est bien plus grave que la raison de ce départ... C'est son père. Il les rappelle auprès de lui, Julie et sa mère. Voilà un an qu'il n'avait plus donné de nouvelles de lui, et quand il repointe le bout de son nez c'est pour mettre le boxon. Pour exiger que sa famille décomposée revienne s'occuper un peu de lui. D'un seul coup il s'est rendu compte qu'il ne pouvait pas vivre tout seul. Mais si encore il avait demandé pardon, ou bien fait les choses gentiment, mais non ! Il a fait de belles grosses vagues, et a lancé des menaces, comme quoi si elles ne rentraient pas eh bien c'est lui qui viendrait les chercher. Voilà. Le mâle a parlé, on obéit. Pfff... Et le pire, c'est qu'elles vont effectivement obéir et retourner se mettre à ses petits soins. Julie elle suit sa mère, elle a quinze ans, elle n'a pas le choix... Mais sa mère... Elle abuse, franchement, de se laisser faire de la sorte. Est-ce par amour ? Ca m'étonnerait... Par charité ? Mais non ! Par peur ou par faiblesse, c'est sûr. Et finalement je me demande qui est le plus stupide dans l'histoire : le méchant qui croit que tout lui est dû, ou bien la gentille qui se laisse mener… Je lui dirais bien deux mots, moi, à son père. Il serait temps qu'il grandisse un peu ! Il ruine sa famille et répand le mal autour de lui. Il y a des gens qui ne savent pas faire autre chose que le mal, si bien qu'on dirait qu'ils sont nés avec ça dans la peau. Mais non, on ne peut pas naître avec le mal dans la peau. Ils ont dû l'attraper quelque part à un moment de leur vie, et depuis ils ne le lâchent plus. C'est triste. J'espère ne jamais l'attraper, moi. Mais je suppose que personne n'est à l'abri.
On en a beaucoup parlé avec ma mère, elle aussi elle est tracassée par toute cette histoire. Je lui ai dit que je trouvais inadmissible et irresponsable, de la part des parents de Julie, de déménager comme ça à tout bout de champ tous les deux mois. Comment leur fille peut-elle s'épanouir dans ces conditions ? Si elle réussit son année scolaire, eh bien elle n'aura pas à remercier quelqu'un d'autre qu'elle-même. Je lui ai dit ça, à ma mère, elle n'a rien répondu mais j'ai bien vu qu'elle était d'accord. Je n'ai pas d'enfants et je ne sais pas ce que c'est que d'en avoir. Je ne dis pas que moi je serai une meilleure mère, quand le jour viendra. Mais j'espère quand même que j'éviterai certaines erreurs assez énormes.
Le plus triste dans tout ça, c'est que Julie commençait à être vraiment heureuse, ici. Elle s'est faite quelques bonnes copines au lycée, on se voyait tous les jours ou presque... Bon, c'est sûr qu'elle s'en remettra. C'est une fille qui aime la vie, elle a toujours le sourire, elle prend les choses du bon côté, mais quand même c'est un coup dur pour elle... Alors ce soir elle a craqué et s'est mise à pleurer. Je ne sais pas si elle pleurait de partir, ou bien pour son père, ou bien à l'idée de devoir se refaire une nouvelle vie… Je pense que c'est surtout pour son père, qu'elle pleurait. Elle est bien malheureuse pour lui, de voir ce qu'il est devenu au fil des années... Je ne savais pas quoi lui dire pour lui remonter le moral. Alors je l'ai simplement serrée fort dans mes bras. On était dans sa chambre, à ce moment-là. Je dis " sa chambre ", parce que je considère que c'est la sienne. Ce n'est plus celle de ma soeur, ce n'est plus la chambre d'amis, c'est la chambre de Julie. Je l'ai rénovée pour elle, je l'ai accueillie ici, et elle y a laissé un petit bout de sa vie. Dans cette chambre on y a causé, on y a rigolé, et aujourd'hui elle y a laissé quelques larmes. Et c'est ainsi qu'elle a marqué cette pièce de son empreinte. Quand j'y rentre c'est à elle que je pense. Cette chambre ne ressemblera à rien sans Julie, c'est sûr.
Vraiment, je ne pouvais pas la laisser rentrer chez elle ce soir. Déjà hier, alors qu'elle était joyeuse, j'avais eu mal au coeur de la voir s'engouffrer dans la nuit et le froid. Alors la même chose ce soir avec le chagrin en plus, non, c'était trop... Je lui ai donc proposé de rester dormir. Elle a téléphoné à sa mère pour lui demander si elle pouvait. En l'écoutant parler au téléphone je me disais que ce serait le comble si sa mère, en plus de la ramener avec elle à Paris, lui interdisait de passer la nuit chez une copine. Mais c'est bon, elle a pu rester. Tant mieux.
On a mangé tous les quatre, ma mère, mon petit frère, Julie et moi. Rien de tel que mon petit frère pour vous changer les idées si vous n'avez pas le moral. Il raconte tout un tas de choses incroyables ! En plus il en rajoutait un peu car j'ai bien l'impression qu'il est un peu amoureux de Julie. Enfin il faut dire qu'il est un peu amoureux de pas mal de filles...
Noémie m'a téléphoné. Un problème de maths, de primitives. C'est vrai que depuis mon éclair de génie dimanche, je suis la maîtresse incontestée des primitives ! Puis on est montées se coucher avec Julie. Je suis restée avec elle pour parler encore un peu et résultat : je me suis endormie sur son lit !
A part ça, j'ai reçu deux mails très gentils, de la part de deux personnes tout à fait opposées : une dame assez âgée, 74 ans, et une petite fille. Comme quoi mon journal, c'est comme les albums de Tintin : il est fait pour les gens de 7 à 77 ans.

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