Je suis malade,
complètement malade. Cette phrase n'est
pas de moi, mais c'est tellement vrai. Voilà
bien longtemps que je ne m'étais pas sentie
aussi mal. Mais ça c'est tout à
fait moi : quand je me prends une claque, il me
faut plusieurs jours avant de ressentir la douleur.
Julie s'en va, elle retourne sur Paris, et ça
je ne peux pas m'y faire.
La vie est injuste. Ca non plus ce n'est pas de
moi, tout le monde le dit, c'est même un
cliché. Mais de toutes façons rien
n'est de moi, je ne sais faire que du copiage.
Je ne sais faire que récupérer des
bouts de phrases à droite à gauche
dans les bouquins et les chansons, et en faire
des mixages à peu près cohérents.
Alors si un jour je passe à la postérité
et que quelqu'un écrit de moi : "
Aglaia a dit ceci, Aglaia a dit cela " et
bien ce sera une erreur. Aglaia n'a jamais rien
dit, elle n'a toujours fait que répéter.
Aglaia ne sait pas écrire ou créer
d'elle-même. Et voilà que je parle
de moi à la troisième personne,
maintenant
La vie est injuste, disais-je. Comment une jeune
fille aussi adorable que Julie peut-elle être
aussi maltraitée par la vie ? Expliquez
moi ! Je pense à elle et ça me fait
mal. Depuis le début, le bon Dieu fait
très mal son travail. Moi je dis qu'il
faudrait le renvoyer et mettre quelqu'un d'autre
à sa place : Julie par exemple. Si Dieu
laissait sa place à Julie, tout serait
plus doux et plus agréable. Les hommes
se caresseraient plutôt que de se taper
sur la tête, l'enfance durerait deux fois
plus longtemps, et pis on mourirait tous avant
d'être vieux et moches. Et si Julie devenait
Dieu, moi je me ferais prophète. Tous les
soirs je monterais auprès d'elle faire
la causette, puis je redescendrais sur Terre prodiguer
ses conseils. Le monde entier se connecterait
sur mon site pour y lire la Bonne Parole, je recevrais
des mails par milliards : des politiciens, des
punks, des rois, des clochards, des vieux fous
et des petits enfants. Et même des chiens,
mais ça c'est Adonis qui leur répondrait
car il serait mieux placé que moi.
Je sais, je fais encore dans le romanesque et
le poétique, aujourd'hui. C'est la nouveauté
dans les reproches que je reçois par mails
: je ne suis pas spontanée, il paraît
que je fais trop de style dans mon écriture,
que je triche avec mes sentiments et que je ne
me montre que telle que j'ai envie qu'on me voit.
Plusieurs me l'ont dit. Je ne répondrai
qu'une seule chose : bravo ! Je leur en donnerai,
moi, des textes spontanés. Il faudra leur
expliquer un jour, à ces lecteurs, que
la façon la plus honnête de dire
les choses c'est encore de les tourner en poésie.
Et s'ils ne comprennent pas ça eh bien
qu'ils cliquent ailleurs pour voir si j'y suis.
Et si j'y suis qu'ils ne m'adressent surtout pas
la parole !
Ca m'aurait plu, pourtant, de me mettre ce soir
à mon clavier pour écrire un texte
qui ne soit pas qu'un long sanglot. Mais trop
de choses m'attristent. Ce soir Julie et sa mère
sont venues à la maison : sa mère
a craqué et s'est mise à pleurer
tant et tellement que j'ai bien cru qu'elle ne
pourrait jamais s'arrêter. Si bien que c'est
sa fille qui devait la consoler. Voilà
le monde aujourd'hui : ce sont les enfants qui
consolent leurs parents. Cherchez l'erreur !
Tout le monde me quitte. Mon père navigue
quelque part sur l'océan, ma meilleure
amie sort avec mon meilleur ami si bien que je
ne vois plus ni l'un ni l'autre, ma Julie adorée
est obligée de quitter la ville
Et
ma sur, ma chère sur, elle
c'est bien pire, elle ne m'a pas quitté,
elle s'est éteinte peu à peu, tellement
doucement et à petit feu que je n'arrive
toujours pas à croire qu'elle ne soit pas
encore un tout petit peu en vie. Heureusement
que j'ai mon chien. Lui il est à côté
de moi, il ne dit rien, il dort en ce moment.
Je le regarde et ça me fait chaud au cur,
parfois je le caresse alors il ouvre un il
et me regarde, puis se rendort. C'est beau. Le
jour où il mourra je perdrai une partie
de moi-même. Mais je ferai le deuil car
il aura bien vécu, et je n'en garderai
que du bon souvenir. Alors que ma sur, elle
ne s'est pas suicidée mais c'est tout comme.
Si le bon Dieu pouvait faire son travail correctement
au moins une fois dans sa vie, eh bien il ressusciterait
ma sur. Ca ne lui coûterait rien,
ça ne ferait du mal à personne et
du bien à beaucoup. Surtout à moi.
J'ai envie de me blottir dans un coin et de pleurer
pendant des journées entières. Il
y a trop de larmes dans ma tête, il faut
qu'elles sortent. Peut-être qu'ensuite je
me sentirai libérée de tout ce chagrin.
Mais je ne peux pas, je n'ai pas le temps : demain
je dois aller au lycée, comme tous les
jours. Alors pour le moment ce ne sont pas des
larmes qui sortent mais des mots, c'est toujours
ça.
Puisque paraît-il je fais dans le romanesque
il faut que je trouve une conclusion à
ce texte. Quoique pour une fois je pourrais ne
pas en faire, ainsi ils verraient ces lecteurs
qui me reprochent de trop soigner mon écriture,
ce que c'est qu'un texte spontané. Pas
d'introduction, pas de conclusion, des vulgarités
du début à la fin et des banalités
à tout bout de champ. Ah ce serait agréable
à lire ! Si j'étais spontanée,
mes récits seraient tout plein d'insanités.
Je traiterais par exemple le bon Dieu de salaud,
la vie de grosse méchante pas gentille,
j'avouerais qu'aujourd'hui j'ai fumé deux
paquets de cigarettes, et que je dois être
une enfant gâtée pour gaspiller ainsi
mon argent. Tout cela je le dirais, si j'étais
spontanée. Mais ce ne serait pas moi, ce
serait juste un petit cri de rage qui me soulagerait
trois minutes et rien d'autre. Alors oui je soigne
mon écriture, alors oui j'essaie d'être
le plus lisible possible. Excusez-moi de construire
mes phrases, excusez-moi de corriger le début
d'un texte une fois que je suis rendue à
la fin.
Sur ce je vais me coucher, il est plus que temps.
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