Ca a tonné
sur Paris, samedi. Un beau et gros orage comme
on aimerait en entendre plus souvent. C'est toujours
agréable ces moments-là, sauf bien
sûr si on est dehors. Mais quand on est
dedans, c'est là qu'on prend conscience
de la chance qu'on a d'avoir un toit et une lumière.
Ca me rappelle un poème espagnol où
la lluvia blanca (la pluie blanche) coulait le
long des vitres. Et ça me rappelle aussi
un soir que j'étais petite et que ma mère
m'avait laissée seule dans la voiture sur
un parking. J'étais allongée sur
la banquette arrière et j'écoutais
la pluie tomber en averse sur la carrosserie.
Je me sentais en sécurité : qui
aurait osé s'approcher de la voiture sous
une averse pareille ?
On avait du monde à l'appartement. Il y
avait bien sûr mon cousin et sa copine,
d'autres personnes
dont David. On continue
de se voir assez souvent lui et moi, on ne peut
pas vraiment faire autrement vu qu'on fréquente
un peu les mêmes personnes. Ca me fait drôle
de le retrouver en face de moi, à chaque
fois. On discute comme ça l'air de rien,
comme deux étrangers. Et pourtant, après
trois mois et demi de nuits, de soirées
et de week-ends partagés, ben je ne peux
pas le regarder comme un étranger. Il va
bien, il a un peu changé
Ou plus
exactement, il est redevenu comme avant, comme
quand je l'ai connu. Avec moi il était
toujours assez calme et posé. Là
je l'ai retrouvé assez nerveux et assez
speed, toujours sur le point de s'enflammer sur
les sujets un peu piquants.
Mais de toute l'assistance, c'est lui seul que
je regardais. Je le trouve toujours aussi chouette.
Il me fait toujours autant rire, et ses idées
me passionnent pareil. A un moment, sous un prétexte
quelconque, je me suis levée pour m'asseoir
à côté de lui, en tailleur,
sur le tapis. Et ainsi je touchais son genou avec
le mien. Et c'est fou l'effet que ça me
faisait ce contact, il faut dire que personne
ne m'a touchée depuis dix jours. Dire qu'il
n'y a pas si longtemps j'étais toute nue
contre lui et que ça ne me faisait presque
plus rien, et maintenant un bout de genou me met
dans tous mes états.
Au début il ne faisait pas attention à
moi, enfin pas trop
Après il m'a
parlé, il me racontait qu'il venait d'acheter
un disque et qu'il était sûr que
je l'aimerais, que ça ressemblait à
un autre truc qu'il m'avait fait écouter
un jour. Et je buvais dans ses paroles, à
ce moment-là. Son regard était curieux.
Ou alors c'est moi qui l'ai trouvé curieux,
je n'en sais rien. Mais j'avais l'impression qu'il
me disait des yeux : "Mais pourquoi tu m'as
quitté
" Et sûrement que
dans mon regard à moi il devait lire "Mais
pourquoi je l'ai quitté
" Et
c'est vrai, c'est ce que je pensais à ce
moment-là précis. Il m'a demandé
si je voulais un autre verre, et a accompagné
sa question en me posant la main sur le genou.
Là j'ai voulu poser ma main sur la sienne,
mais il l'a retirée. Il a dû croire
que j'allais la lui enlever, alors qu'au contraire
je voulais mieux la sentir. Si on avait été
que tous les deux à ce moment-là,
je crois bien que je me serais serrée contre
lui. Mais heureusement on était nombreux.
Je dis "heureusement" car ça
aurait été idiot. Car dès
que je me retrouve seule, ce n'est pas à
lui que je pense
Avec toutes les grèves qu'il y a en ce
moment, les courriers qu'on s'envoie Julie et
moi prennent du retard, c'est triste. Enfin ça
ne nous empêche pas d'écrire, seulement
la conversation n'est pas facile et on reçoit
les nouvelles fraîches quand elles ne le
sont plus, fraîches. Là ça
fait plusieurs jours que je n'ai rien reçu,
et ça me manque, j'ai besoin de ma dose
de mots de Julie.
A propos des grèves, un lecteur me reprochait
l'autre jour de rester dans ma petite sphère
et de ne jamais parler de l'actualité,
des grèves, des manifestations, tout ça
Tsss, je n'ai déjà pas la place
de raconter toute ma vie dans ce journal, alors
si en plus je me mets à parler des histoires
du monde je ne suis pas sortie de l'auberge. Et
puis je m'en fous, moi, des manifestations. Je
n'en ai jamais fait une seule de ma vie. Je n'aime
pas marcher dans la foule, je n'aime pas brandir
des affiches, et je n'aime pas crier des slogans.
Alors la probabilité que je fasse les trois
en même temps est extrêmement faible.
Là, je sens que je vais en énerver
certains avec ces phrases. Ces gens qui se croient
ouverts et tolérants mais qui frappent
du poing sur la table dès qu'on n'est pas
du même combat qu'eux. Parce que leur combat
à eux, c'est le Combat avec un grand C,
il est impensable qu'on ne le partage pas
Quelle fille inconséquente et idiote que
cette Aglaia qui ne s'intéresse à
rien d'autre qu'à ce qui la concerne directement
! vont-ils penser
Inconséquente et
égoïste. Bah j'en ai rien à
foutre de leurs conneries. Mon combat à
moi c'est de ma balader seule avec mon chien,
de préférence tôt le matin
ou tard le soir. C'est quand même incroyable
que même ça, il se trouve des gens
pour me le reprocher
Avec tout ça, donc, les lettres de Julie
m'arrivent avec beaucoup de retard. Ce matin je
me suis mise à la fenêtre au moment
où le facteur passe habituellement. Quand
je l'ai vu je suis descendue pour lui poser quelques
questions. Par chance, il ne fait pas la grève.
Hélas il est loin d'être le seul
à travailler sur la chaîne qui va
de Julie jusqu'à moi, alors il m'a conseillé
d'être très patiente dans les jours
ou même les semaines à venir. Snif
Les jours où je reçois une lettre
de Julie sont toujours très particuliers.
Tout d'abord, il y a le moment où je trouve
l'enveloppe dans la boîte et où mon
cur se met à battre rien qu'à
penser au bonheur en perspective. Après
le monte et je lis. Et au fur et à mesure
des phrases je me sens de plus en plus heureuse
d'en apprendre d'avantage sur la petite vie de
Julie, mais de plus en plus triste à l'idée
que la lettre touche à sa fin. Un peu comme
il y a quelques années, quand j'écoutais
pour la première fois les chansons de Brassens,
et qu'à chaque couplet je croisais les
doigts en espérant que ce ne serait pas
le dernier. Mais inévitablement, la chanson
finit par s'arrêter et le vide s'installe.
Pareil pour ces lettres, inévitablement
j'en arrive à la signature et c'est fini
Alors je reprends mes esprits et je relis une
fois, deux fois, jusqu'à la connaître
par cur. Si elle savait !
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