journal intime
169 _ mardi 3 juin 2003

Coup de poignard

Moi qui me plaignais hier de ne plus recevoir de lettres de Julie à cause des grèves, j'aurais mieux fait de fermer ma gueule. Le Diable a entendu mon appel et j'en ai reçu une, de lettre, ce matin. Une lettre comme un coup de poignard en plein cœur, comme une balle en pleine tête. Comme un gouffre noir et étroit dans lequel je chute depuis des heures. D'ailleurs j'ai déjà touché le fond, je suis cassée en deux, j'ai les os brisés et je ne tiens plus debout, comme ma sœur quand elle était rendue au bout. Mais non que dis-je, j'ai toujours un cœur qui bat, deux poumons qui respirent et dix doigts qui bougent. Mais plus difficilement que d'habitude. Et plus douloureusement aussi. Et je préfèrerais être folle que de comprendre ce qui se passe. D'ailleurs il n'y a rien à comprendre, c'est très simple, ce sont des choses humaines. Julie est amoureuse et ce n'est pas de moi, voilà, pas la peine d'en faire un long discours.
Et moi j'ai envie de me blottir dans un coin et de pleurer jusqu'à ce qu'une âme charitable vienne me prendre la main. Une âme douce et gentille. Mais à part Julie je ne vois pas qui ça pourrait être. Et Julie depuis une semaine, elle a bien d'autres choses à faire que de venir me tendre la main. Ah oui, parce que sa lettre date d'une semaine déjà, presque. Alors qui sait ce qu'elle a fait de plus avec son copain depuis tout ce temps. A moins qu'ils ne se soient déjà séparés, ce serait un miracle mais on peut toujours rêver. Mais ça fait deux mois qu'il la drague celui-là, il ne va sûrement pas lâcher le morceau de sitôt. Et puis s'il a conscience de la chance inouïe et extraordinaire qu'il a de serrer Julie entre ses bras, je ne vois pas ce qui pourrait l'en détacher. A part peut-être la mort ou la folie, mais je ne lui souhaite tout de même pas.
Je voudrais téléphoner à Julie pour lui en parler, mais j'ai peur de me mettre à chialer au téléphone. Demain, j'essaierai.
Le bonheur des uns fait le malheur des autres dit-on. Ca n'a jamais été aussi vrai que ce matin. Et jamais je n'aurais cru que le bonheur de Julie puisse faire mon malheur à moi. Jamais ses phrases n'ont été aussi pétillantes, aussi pleines de vie et aussi pleines de joie. Et pleines d'amour, même… C'est rempli de points d'exclamations, il n'y a pas le moindre millimètre de chagrin là-dedans, pas le moindre millimètre pour moi, donc.
Quand j'ai vu sa lettre dans l'enveloppe, ça m'a remplie de joie comme d'habitude. je me suis dit aaaaaah enfin ! Je me suis précipitée pour l'ouvrir et la lire, et là je vous dis pas l'angoisse… Plus jamais ça. En lisant je n'arrivais pas à y croire, je me disais que ce n'était pas possible, que ce n'était pas elle qui m'écrivait. Mais c'était bien son écriture et bien sa signature. Ca s'appelle la fin de tout. Puis je l'ai lue et relue, comme d'habitude, peut-être plus encore. En espérant chaque fois que j'avais mal compris, que j'avais dû inverser les mots et les phrases, que j'avais loupé un petit post scriptum quelque part, mais non, c'était clair comme de l'eau de roche.
Quand je pense que c'est moi, il y a deux mois, qui lui disais de foncer avec ce gars-là, en lui assurant qu'elle allait adorer, que ce serait merveilleux, qu'elle verrait et tout… Fallait-il que je sois folle ! Et le pire c'est qu'elle me remercie dans sa lettre. Elle me dit que c'est grâce à moi, grâce à tout ce que je lui ai dit, que c'est moi qui l'ai mise en confiance. C'est pas demain qu'on m'y reprendra. Et elle me dit aussi qu'elle a des milliers de questions et qu'elle compte bien sur moi pour y répondre. Elle est vraiment adorable…
Je n'ai presque rien fait depuis, à part fumer bien sûr, et acheter Lolie. Ce fut mon petit rayon de soleil. Car dans Lolie ce mois-ci, ils parlent de moi. C'est la deuxième fois que j'ai un article dans la presse cette année, c'est quand même pas de chance que chaque fois ça tombe un jour où j'ai le moral à zéro. Enfin ça m'a quand même décroché un sourire. La sortie du magazine a eu pas mal de retard, plusieurs fois la semaine dernière j'avais essayé de le trouver en vain. Puis j'avais décidé d'attendre une semaine de plus. Aujourd'hui il fallait que je me bouge, il fallait que je sorte pour purger mon cafard de cette lettre horrible, il me fallait un prétexte pour mettre le nez dehors alors je suis partie l'acheter.
La journaliste me l'avait scanné, mais de le voir en vrai c'est pas pareil. Je suis sortie du magasin, j'ai déchiré la pochette et j'ai foutu les tongues violettes offertes en cadeau dans une poubelle. Page 59. Ca fait bizarre de retrouver ce paragraphe que j'ai écrit en février, publié dans un magazine. Si j'avais su, à ce moment-là… Ca me fait plaisir. Parce que bordel, quand tu fais quelque chose, ben ça fait du bien de voir que ton travail est reconnu. Ce site j'y consacre du temps et du cœur. Alors ça me remplit de joie quand je vois ça. L'aticle est ici.
Et pourtant, j'ai bien failli tout laisser tomber aujourd'hui. A quoi bon écrire puisque la personne que j'aime plus que tout au monde ne me lit pas ? Ca ne sert à rien, c'est inutile. Pourtant j'aimerais bien lui faire lire tout ça, à Julie. Au moins les passages où je parle d'elle. Mais je ne le ferai pas. Je ne sais même pas si j'aurai un jour le courage de lui chanter ma chanson. Ce qui me révolte le plus dans tout ça, c'est de repenser à tous ces beaux moments vécus ensemble. On a tout partagé bordel, des larmes, des rires, on a parlé de son père, on a parlé de ma sœur, on s'est tout dit jusqu'au dernier secret. Et de me dire que toutes ces choses vont maintenant tomber dans l'oreille d'un autre, j'en retire un immense sentiment d'injustice. Là ce n'est plus de son chat que je suis jalouse, c'est de son copain. Et cette fois-ci, ce n'est plus pour rire.
Allez je m'en vais prendre l'air. Me balader un peu. Si on me demande, vous n'aurez qu'à dire que je suis partie me jeter sous la première voiture venue. Mais non c'est pas vrai. Vous direz simplement qu'il ne faut pas m'attendre, je ne sais pas quand je rentre.

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