Moi qui me plaignais
hier de ne plus recevoir de lettres de Julie à
cause des grèves, j'aurais mieux fait de
fermer ma gueule. Le Diable a entendu mon appel
et j'en ai reçu une, de lettre, ce matin.
Une lettre comme un coup de poignard en plein
cur, comme une balle en pleine tête.
Comme un gouffre noir et étroit dans lequel
je chute depuis des heures. D'ailleurs j'ai déjà
touché le fond, je suis cassée en
deux, j'ai les os brisés et je ne tiens
plus debout, comme ma sur quand elle était
rendue au bout. Mais non que dis-je, j'ai toujours
un cur qui bat, deux poumons qui respirent
et dix doigts qui bougent. Mais plus difficilement
que d'habitude. Et plus douloureusement aussi.
Et je préfèrerais être folle
que de comprendre ce qui se passe. D'ailleurs
il n'y a rien à comprendre, c'est très
simple, ce sont des choses humaines. Julie est
amoureuse et ce n'est pas de moi, voilà,
pas la peine d'en faire un long discours.
Et moi j'ai envie de me blottir dans un coin et
de pleurer jusqu'à ce qu'une âme
charitable vienne me prendre la main. Une âme
douce et gentille. Mais à part Julie je
ne vois pas qui ça pourrait être.
Et Julie depuis une semaine, elle a bien d'autres
choses à faire que de venir me tendre la
main. Ah oui, parce que sa lettre date d'une semaine
déjà, presque. Alors qui sait ce
qu'elle a fait de plus avec son copain depuis
tout ce temps. A moins qu'ils ne se soient déjà
séparés, ce serait un miracle mais
on peut toujours rêver. Mais ça fait
deux mois qu'il la drague celui-là, il
ne va sûrement pas lâcher le morceau
de sitôt. Et puis s'il a conscience de la
chance inouïe et extraordinaire qu'il a de
serrer Julie entre ses bras, je ne vois pas ce
qui pourrait l'en détacher. A part peut-être
la mort ou la folie, mais je ne lui souhaite tout
de même pas.
Je voudrais téléphoner à
Julie pour lui en parler, mais j'ai peur de me
mettre à chialer au téléphone.
Demain, j'essaierai.
Le bonheur des uns fait le malheur des autres
dit-on. Ca n'a jamais été aussi
vrai que ce matin. Et jamais je n'aurais cru que
le bonheur de Julie puisse faire mon malheur à
moi. Jamais ses phrases n'ont été
aussi pétillantes, aussi pleines de vie
et aussi pleines de joie. Et pleines d'amour,
même
C'est rempli de points d'exclamations,
il n'y a pas le moindre millimètre de chagrin
là-dedans, pas le moindre millimètre
pour moi, donc.
Quand j'ai vu sa lettre dans l'enveloppe, ça
m'a remplie de joie comme d'habitude. je me suis
dit aaaaaah enfin ! Je me suis précipitée
pour l'ouvrir et la lire, et là je vous
dis pas l'angoisse
Plus jamais ça.
En lisant je n'arrivais pas à y croire,
je me disais que ce n'était pas possible,
que ce n'était pas elle qui m'écrivait.
Mais c'était bien son écriture et
bien sa signature. Ca s'appelle la fin de tout.
Puis je l'ai lue et relue, comme d'habitude, peut-être
plus encore. En espérant chaque fois que
j'avais mal compris, que j'avais dû inverser
les mots et les phrases, que j'avais loupé
un petit post scriptum quelque part, mais non,
c'était clair comme de l'eau de roche.
Quand je pense que c'est moi, il y a deux mois,
qui lui disais de foncer avec ce gars-là,
en lui assurant qu'elle allait adorer, que ce
serait merveilleux, qu'elle verrait et tout
Fallait-il que je sois folle ! Et le pire c'est
qu'elle me remercie dans sa lettre. Elle me dit
que c'est grâce à moi, grâce
à tout ce que je lui ai dit, que c'est
moi qui l'ai mise en confiance. C'est pas demain
qu'on m'y reprendra. Et elle me dit aussi qu'elle
a des milliers de questions et qu'elle compte
bien sur moi pour y répondre. Elle est
vraiment adorable
Je n'ai presque rien fait depuis, à part
fumer bien sûr, et acheter Lolie. Ce fut
mon petit rayon de soleil. Car dans Lolie ce mois-ci,
ils parlent de moi. C'est la deuxième fois
que j'ai un article dans la presse cette année,
c'est quand même pas de chance que chaque
fois ça tombe un jour où j'ai le
moral à zéro. Enfin ça m'a
quand même décroché un sourire.
La sortie du magazine a eu pas mal de retard,
plusieurs fois la semaine dernière j'avais
essayé de le trouver en vain. Puis j'avais
décidé d'attendre une semaine de
plus. Aujourd'hui il fallait que je me bouge,
il fallait que je sorte pour purger mon cafard
de cette lettre horrible, il me fallait un prétexte
pour mettre le nez dehors alors je suis partie
l'acheter.
La journaliste me l'avait scanné, mais
de le voir en vrai c'est pas pareil. Je suis sortie
du magasin, j'ai déchiré la pochette
et j'ai foutu les tongues violettes offertes en
cadeau dans une poubelle. Page 59. Ca fait bizarre
de retrouver ce paragraphe que j'ai écrit
en février, publié dans un magazine.
Si j'avais su, à ce moment-là
Ca me fait plaisir. Parce que bordel, quand tu
fais quelque chose, ben ça fait du bien
de voir que ton travail est reconnu. Ce site j'y
consacre du temps et du cur. Alors ça
me remplit de joie quand je vois ça. L'aticle
est ici.
Et pourtant, j'ai bien failli tout laisser tomber
aujourd'hui. A quoi bon écrire puisque
la personne que j'aime plus que tout au monde
ne me lit pas ? Ca ne sert à rien, c'est
inutile. Pourtant j'aimerais bien lui faire lire
tout ça, à Julie. Au moins les passages
où je parle d'elle. Mais je ne le ferai
pas. Je ne sais même pas si j'aurai un jour
le courage de lui chanter ma chanson. Ce qui me
révolte le plus dans tout ça, c'est
de repenser à tous ces beaux moments vécus
ensemble. On a tout partagé bordel, des
larmes, des rires, on a parlé de son père,
on a parlé de ma sur, on s'est tout
dit jusqu'au dernier secret. Et de me dire que
toutes ces choses vont maintenant tomber dans
l'oreille d'un autre, j'en retire un immense sentiment
d'injustice. Là ce n'est plus de son chat
que je suis jalouse, c'est de son copain. Et cette
fois-ci, ce n'est plus pour rire.
Allez je m'en vais prendre l'air. Me balader un
peu. Si on me demande, vous n'aurez qu'à
dire que je suis partie me jeter sous la première
voiture venue. Mais non c'est pas vrai. Vous direz
simplement qu'il ne faut pas m'attendre, je ne
sais pas quand je rentre.
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