Ce matin je me
suis réveillée toute seule, je veux
dire avant la sonnerie du réveil. Et j'avais
bien mes deux bras, mes deux jambes et toute ma
tête. Pourtant, après la journée
d'hier, ça ne m'aurait pas étonnée
de me retrouver transformée en abeille
ou en n'importe quoi, voire même de ne me
pas me réveiller du tout. Mais non. En
plus, j'ai ouvert les yeux avec une immense déception
car j'étais en plein rêve. J'étais
avec Julie je ne sais où, et on parlait
tranquillement, comme si de rien n'était,
comme si elle ne m'avait jamais envoyé
cette horrible lettre. Il est dur de retomber
sur Terre après un rêve pareil.
Puisque j'étais réveillée,
autant me lever complètement. C'est une
fois sous l'eau de la douche que mon réveil
s'est mis à sonner
j'avais oublié
de le désactiver. En temps normal ce genre
d'anecdote m'aurait amusée, ce matin il
n'a fait que m'accabler de dépit.
Puis je me suis mise au travail, parce que malgré
tout la vie continue et le bac approche. Ca me
fait bizarre de constater que rien n'a changé,
que le monde continue de tourner, et que le bac
n'a même pas été repoussé
de quelques jours malgré le coup de massue
que j'ai reçu hier. Le monde entier se
fout de mes soucis. Mais c'est normal, d'ailleurs
moi-même je me fous des soucis du monde
entier. Au moins c'est réciproque. Dans
huit jours, donc, c'est le coup de départ
avec l'épreuve de philo. Je me suis mise
au boulot sur une leçon d'histoire car
c'est la matière qui me déplaît
le moins. Et puis ça fait travailler la
mémoire sans trop réfléchir,
c'est exactement ce qu'il me fallait ce matin.
Cet après-midi, j'aurais aimé appeler
Julie. Mais pour lui dire quoi ? A coup sûr
elle m'aurait parlé de son copain, toute
joyeuse. Elle me l'aurait décrit et m'aurait
raconté tout ce qu'ils ont fait depuis
une semaine. Et moi j'aurais écouté
ça en acquissant, en faisant semblant d'être
heureuse pour elle. Enfin j'aurais eu du mal,
quand même. On peut mentir une minute, mais
certainement pas toute une conversation. Je n'aurais
pas pu lui dire bien longtemps "Ah ouais
c'est chouette
C'est génial ce qui
t'arrive
" alors que je n'en pense pas
un mot. Idem pour la réponse écrite
que je vais lui adresser, d'ailleurs. Je me demande
bien ce que je vais lui raconter. Alors pour l'instant
je me garde de lui envoyer quoi que ce soit, avec
les grèves actuelles elle ne s'étonnera
pas de mon silence. Enfin j'espère.
Et puis je suis sortie me balader. Je me suis
forcée car je n'en avais pas du tout envie.
Mais il n'est pas bon de rester enfermée
chez soi. J'aurais fini par me cogner la tête
contre les murs. Le soir ça va, il y a
mon cousin qui est là avec sa copine, on
discute un peu, ça détourne mon
attention. Mais dans la journée, la solitude
est difficile à supporter depuis hier.
Ici, je serais restée clouée sur
mon lit la tête dans l'oreiller. Mieux valait
aller prendre l'air.
Parmi les choses que j'ai vues : un petit couple
d'amoureux. Un gars et une fille, je précise
car ce n'est pas obligatoire, après tout
Ils étaient mignons, ils avaient l'air
heureux ensemble. Ca m'a fait sourire de les voir
s'embrasser en rigolant. Et je ne suis sûrement
pas la seule que ça ait attendrie, ce spectacle.
Je pense que pour David et moi c'était
pareil, on a dû attirer l'il de pas
mal de gens du temps où on s'embrassait
à tous les coins de rue. Ce qui me chagrine,
c'est de penser qu'à Lille, il y a un autre
couple qui doit amuser les gens dans la rue, et
que Julie est dans ce couple. Sûr que les
gens sourient en la voyant avec son copain. Ils
ne peuvent pas se douter, ces gens-là,
qu'à plusieurs centaines de kilomètres
de là il y a une autre fille à qui
ça casse le moral d'imaginer ce couple.
Et que pour cette fille, les voir en pensées
lui retire le goût de toute chose.
Il faisait chaud, encore
L'été
approche. Je me demande ce que je vais faire.
Des projets, j'en avais plein, mais ils sont tous
tombés à l'eau en quelques minutes
à cause de cette lettre. Je me voyais déjà
avec Julie, elle aurait passé deux mois
à La Rochelle, j'aurais été
avec elle du matin au soir. La nuit on aurait
dormi chacune dans notre chambre. Mais au bout
d'un moment, discrètement le soir je me
serais levée pour aller la rejoindre, sans
que personne ne le sache. Ah la la ça aurait
été beau. Mais tout ce que je vais
faire cet été, ben c'est trouver
un petit boulot quelconque en intérim pour
me remplir les poches. Et je passerai mes soirées
seule. Ou avec des amis, mais comme Julie n'en
fera pas partie ce sera comme si j'étais
seule.
Je suis allée au bar-tabac de Mathilde,
la copine de mon cousin, tenu par son père.
Ce qui m'étonne le plus, c'est que tout
le monde a l'air heureux. Selon mon humeur, les
gens n'ont pas la même tête. Quand
je suis triste je les vois heureux, et quand je
suis heureuse j'ai l'impression que tous ils font
la gueule. Finalement je ne vois pas les gens,
je vois mes gens. Pareil pour les rues de Paris,
selon mon état d'esprit je les vois belles
ou vilaines, bleues ou grises. Si bien que quand
je rentrerai à La Rochelle et qu'on me
demandera comme c'est Paris, eh bien je pourrai
répondre "J'en sais rien, je n'ai
pas vu Paris, j'ai vu mon Paris". D'ailleurs
mon Paris est plutôt joli, dans l'ensemble.
J'aime bien cette ville, immense et belle.
Il y avait des jeunes qui jouaient aux cartes,
au tarot. L'un d'eux était tout excité
par son jeu, j'ai cru qu'il allait jouir sur place
d'accumuler les points. J'avais envie de l'interpeller
et de lui dire : "Mais comment peux-tu jouer
un jour comme aujourd'hui ? Que fais-tu de Julie
? Elle sort avec un gars et toi tu arrives à
jouer aux cartes ?" Ben oui, je voudrais
que le monde entier m'aide à supporter
ce fardeau
Je reçois des messages,
c'est déjà bien agréable.
Tous ils me font sourire un petit instant, merci.
Enfin presque tous.
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