Moi qui n'attends
plus rien de la vie depuis deux jours, je lis
des poésies et j'écoute des chansons.
Voilà qui me donne le sourire et me change
un peu les idées. Voilà qui me permet
de m'évader un peu ailleurs que dans mes
rêves. Je disais hier que quand je me sentais
triste, j'avais l'impression que tout le monde
était heureux et inversement. Pour les
chansons c'est un peu pareil, en ce moment je
me demande bien comment ces artistes réussissent
à écrire des choses aussi joyeuses
alors que la vie est pourrie. Parfois c'est le
contraire, je trouve qu'ils abusent et que la
vie n'est pas si moche.
Mais l'avantage d'une chanson, par rapport aux
visages qui nous entourent, c'est qu'elles ont
un côté face et un côté
pile, et que chacun peut y trouver ce dont il
a besoin. Selon l'oreille qu'on y prête,
une même chanson peut être admirablement
joyeuse ou horriblement triste. Dans une chanson
pleine de gaîté, on peut ressentir
un soupçon de chagrin dans la voix du chanteur.
Et quand j'écoute Brel pleurer sa mère
trois minutes de rang, je me dis que tout de même,
cet homme était forcément un amoureux
de la vie, malgré toute sa peine.
Ce matin, j'ai ressenti bizarrement comme un flot
d'ondes positives. Pendant quelques instants je
me suis sentie heureuse, pour la première
fois depuis deux jours. Eh oui, pendant quelques
minutes je trouvais la vie belle, j'étais
heureuse que Julie soit heureuse. Alors j'ai profité
de ce moment pour lui écrire une lettre.
Sans plus attendre j'ai abandonné tout
ce que j'étais en train de faire (facile
puisque je ne faisais rien), j'ai pris mon stylo
et une feuille, et je lui ai écrit. Je
lui ai rédigé tout un flot de jolis
mots et de phrases tendres qui la feront sourire,
c'est sûr. A l'heure actuelle je me demande
comment j'ai fait, mais voilà, j'ai réussi
à lui répondre. Car tôt ou
tard, elle aurait fini par s'inquiéter
de mon silence. La lettre est écrite et
postée.
Une jolie lettre pleine de joie, que je lui ai
faite. Avec des points d'exclamation, et des phrases
du genre "Je suis super contente pour toi
!" ou encore "Tu vas vivre quelque chose
de merveilleux !" ou bien "Tu as raison
la vie est belle". Et je lui ai dit aussi
qu'elle n'avait pas à me remercier, que
tout ce qui lui arrivait c'était grâce
à elle, grâce à ce qu'elle
est. Et que si elle avait des questions à
me poser, je serais toujours là pour y
répondre, qu'elle pouvait compter sur moi.
Ah la la que de mensonges
Et pourtant, je
vous jure qu'au moment où je les ai écrits
eh bien j'y croyais, j'étais sincère.
A cet instant-là, j'étais vraiment
contente pour elle. Ou alors je faisais semblant,
mais en tous cas ce n'était pas volontaire.
Mais
je repense à truc. Je viens
d'écrire plus haut que dans une chanson
joyeuse, on pouvait toujours déceler un
peu de chagrin dans la voix du chanteur. Alors
si ça se trouve, dans ma lettre, Julie
décèlera toute ma tristesse entre
les lignes
Mais je ne pense pas, l'amour
rend aveugle, dit-on.
Voilà donc ce que je lui ai écrit.
Mais si c'est maintenant que je prenais mon stylo,
mes phrases auraient une toute autre allure. Ah
ça non je ne lui dirais pas que je suis
super contente pour elle. Non, je lui dirais que
ça me rendre triste, que ça me casse
en deux rien que d'y penser. Et je lui dirais
que je ne lui souhaite pas d'être heureuse
avec son copain. Mais attention ! Je ne lui souhaite
pas non plus d'être malheureuse. Ah non,
jamais je ne pourrais souhaiter une chose pareille
pour Julie. Jamais je voudrais la voir souffrir.
Non, j'espère simplement que cette aventure
sera pour elle d'une banalité affligeante,
que très bientôt quand elle aura
rendez-vous avec son copain ça la soûlera
d'y aller, et qu'elle inventera des prétextes
quelconques pour y échapper, jusqu'à
ce qu'elle le quitte. Voilà ce que je souhaite.
Mais surtout pas son malheur.
D'ailleurs, si demain j'apprends qu'elle souffre
et que son copain lui fait du mal ou ne la respecte
pas, je peux vous dire que dans la minute qui
suit j'abandonne tout ce que je fais et je monte
tout de suite la chercher et l'arracher des bras
de ce rustre. Et je la protègerai, moi.
Je serai douce comme du miel avec elle, et teigneuse
comme un chien avec tous ceux qui lui voudront
du mal. Je la prendrai sur mon cur et je
veillerai sur elle. Je lui écrirai des
milliers de chansons et de poésies. Je
ne sais pas dessiner, mais j'apprendrai rien que
pour lui faire son portrait sous tous les angles.
Je ne la peindrai jamais aussi belle qu'elle ne
l'est déjà, mais ce sera mon but
dans la vie. Je n'aurai pas besoin de beaucoup
de couleurs : du bleu ciel, du pal et du blond
devraient suffir. Et puis si dans vignt ans je
constate que c'est mission impossible, que jamais
aucune peinture ne pourra la représenter
telle qu'elle est, eh bien je laisserai là
ma palette et mes pinceaux et je la regarderai
vivre, c'est tout, et c'est déjà
pas mal.
Mais bon
elle m'a dit que son copain était
sympa et gentil, je n'aurai donc pas à
la défendre. Tant mieux. Ou tant pis pour
moi. Enfin on s'en fout. Je me demande ce que
je fais là à raconter tout ça
alors que c'est en pure perte de temps et d'énergie.
Certains lecteurs m'ont écrit que c'était
aussi bien tout ça, car je commençais
à devenir trop accro à Julie, trop
dépendante. Pour dire une chose pareille,
on voit bien qu'ils ne la connaissent pas !
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