Je ne sais pas
encore si je dois m'en réjouir ou m'en
inquiéter, mais l'an prochain, je serai
à Paris. Eh oui, voilà, c'est fait,
c'est décidé et signé, clic
clac l'affaire est dans le sac. J'ai longtemps
hésité pour savoir si j'allais rester
ici une année de plus, ou bien si j'allais
la passer chez mes parents à La Rochelle.
Enfin "longtemps hésité"
n'est pas le terme exact, disons plutôt
que j'ai longtemps évité de me poser
la question. Face à une décision
à prendre, la plupart des gens disent "je
vais réfléchir" ou bien "je
vais étudier la question". Moi je
ne dis jamais ça car je sais d'avance que
je ne le ferai pas. Je n'étudie jamais
aucune question, j'agis toujours par coup de tête
ou par hasard. C'est peut-être un tort,
un jour il faudra sûrement que je réfléchisse
un peu.
Comme convenu, je devrai libérer ma place
dans cet appartement à la rentrée,
car la sur de mon cousin viendra la prendre.
Ca m'ennuie beaucoup, mais c'est comme ça,
c'est ce qui était convenu.
Trouver un logement à Paris n'est pas une
chose facile : il y a beaucoup plus de demande
que d'offre. Et de ce fait les loyers sont élevés.
Ensuite, j'ai un chien, et ça rebute pas
mal de propriétaires, aussi bien propre
et bien élevé que soit Adonis.
J'ai commencé mes recherches il y a un
mois, sans trop de motivations, à vrai
dire je n'avais pas tellement envie que ça
de trouver. J'ai vaguement épluché
les petites annonces dans les journaux, mais chaque
fois que j'appelais il était trop tard,
c'était déjà pris. J'en avais
juste visité un, mais on était une
dizaine de locataires potentiels au rendez-vous.
Tous les autres jeunes étaient accompagnés
de leurs parents qui n'hésitaient pas à
lécher les bottes du proprio pour être
choisis. Je ne me suis pas attardée longtemps.
Et puis mardi j'ai reçu cette fichue lettre
de Julie qui m'a retiré toute envie de
me prendre en mains. D'un seul coup je n'étais
plus si sûre que ça de vouloir rester
à Paris, plus très sûre non
plus de vouloir poursuivre mes études.
J'ai passé trois jours à me lamenter.
Mais ma mère m'a souvent dit que dans ces
cas-là, eh bien il faut s'occuper : lire,
créer, bricoler, etc
Eh oui, qui
s'occupe les mains libère son chagrin !
(célèbre proverbe aglaïste).
Alors j'avais décidé de consacrer
ma journée d'hier à rechercher un
logement. A prendre le taureau par les cornes
et à me secouer un peu. Ca me ferait un
sacré poids en moins. Dans quelques jours
je rentre à La Rochelle pour passer le
bac, je me voyais mal retourner là-bas
sans avoir réglé ce problème.
C'est aussi pour ça que je n'avais pas
prévu de texte pour mon journal, pour pouvoir
consacrer ma journée à ça.
On m'avait conseillé une agence, pas une
agence immobilière, non, autre chose, un
truc d'annonces. J'y suis allée. On m'avait
parlé des prix assez élevés
mais, m'avait-on dit, il y avait des réductions
pour les jeunes. Hélas, les réductions
n'étaient pas bien fortes et ça
m'a beaucoup refroidie. D'ailleurs je l'ai dit
et la fille m'a répondu : "Oui mais
avec nous vous aurez des annonces toutes fraîches,
sinon ben à Noël vous y êtes
encore". Oui, effectivement
Elle m'a
demandé ce que je recherchais, j'ai répondu
une chambre ou un studio n'importe où dans
Paris. Elle a tapoté son clavier et m'a
dit qu'elle en avait une vingtaine dont la moitié
n'était pas plus vieille que la veille.
Intéressant ai-je pensé, mais cher
quand même
Alors je suis sortie et
j'ai appelé mon père sur mon portable,
pour lui expliquer un peu la situation et lui
demander s'il voulait bien payer la somme. Il
a réfléchi un peu et a dit oui.
Car il sait qu'à Paris, les logements se
trouvent très difficilement. Alors je suis
revenue dans l'agence, j'ai signé et payé.
Ca fait mal de débourser 95 euros pour
un truc qui peut-être ne te fera rien gagner
Elle m'a sorti trois pages d'annonces correspondant
à ma demande, je me suis assise sur un
banc et je les ai appelées, une par une.
La moitié était déjà
prise
je commençais à regretter
ma dépense. Les autres ne répondaient
pas, sauf deux. La proprio me demande quand je
peux venir, je réponds tout de suite. Et
hop, quarante minutes plus tard j'étais
chez elle, porte de Clignancourt. J'accélérais
le pas en venant, j'avais peur que le temps d'arriver
il soit déjà trop tard. J'arrive
là-bas, je monte à son appartement
au quatrième étage. Elle m'ouvre
la porte en souriant
pas longtemps. Dès
qu'elle a vu mon chien elle m'a dit "Il vivra
pas avec vous ?" Ben si
Ah la la, pour
elle il en était hors de question. Ah ça
non ! Elle s'est même mise en colère,
elle n'était vraiment pas gentille. J'aurais
bien aimé qu'à ce moment-là,
Adonis fasse une petite mine toute triste, les
oreilles rabattues en arrière, mais ce
n'est pas un tour que je lui ai appris à
jouer. Le pire c'est que derrière elle
je voyais un caniche. Je le lui ai fait remarquer
et elle m'a répondu : "Ah oui mais
ici c'est beaucoup plus grand ! Et puis c'est
un caniche ! Pas un berger-allemand !" Je
suis désolée mais ce dernier argument
ne tient pas la route. Un petit caniche peut très
bien ravager un studio, tandis que mon Adonis
ne fera pas le moindre dégât. Enfin
elle ne voulait pas
Je vous dis pas dans quel état je suis
sortie de là. Complètement démoralisée.
Accablée par la vie. La coupe était
pleine, trop de tension accumulée depuis
quatre jours. La personne que j'aime le plus au
monde aime quelqu'un d'autre que moi, le bac approche,
et je perds un bon logement pas cher. Je suis
redescendue et je me suis mise à pleurer,
c'est la tension qui retombait, je n'en pouvais
plus. Et puis cette dame avait été
presque méchante avec moi. Refuser mon
chien, c'est pareil que me refuser moi. Adonis
me regardait pleurer sans comprendre, s'il savait
!
Et là ben j'ai retéléphoné
à mon père, j'avais besoin de parler
à quelqu'un. Je lui ai tout raconté
et il était aussi déçu que
moi. Alors il m'a demandé le numéro
de la dame. Quelle idée magnifique ! Alors
là je peux vous dire que mon moral est
remonté en flêche ! Vu comme mon
père parle bien et sait convaincre les
gens, sûr qu'il allait la faire changer
d'avis ! On a raccroché et j'ai croisé
les doigts. Je tenais mon téléphone
en mains en attendant qu'il sonne. Cinq minutes
plus tard il a sonné. C'était bon
! Ah la la si mon père avait été
en face moi je lui aurais sauté au cou
Quelle joie ! Il m'a retiré une sacrée
épine du pied
Je me suis précipitée en haut, la
dame avait oublié sa colère et je
l'ai trouvée toute souriante. Et je lui
ai affirmé mille fois qu'elle ne le regretterait
pas, que mon chien était le plus propre
et le mieux élevé de Paris. Elle
me disait oui, un peu sceptique quand même
Aujourd'hui, je me pose deux questions. Tout d'abord,
qu'est ce que mon père lui a dit ? Il lui
a parlé de moi, forcément. Et il
a dû m'encenser pour lui faire comprendre
que j'étais une fille respectueuse des
lieux, polie, de même que mon chien. N'empêche
que j'aurais bien aimé entendre. Mais peu
importe.
L'autre question que je me pose c'est : ai-je
fait le bon choix ? Ici il y a mon cousin, mais
là je vais me retrouver toute seule, et
je ne suis pas sûre de la supporter, cette
solitude
Mais c'est un peu un défi
que je me lance, afin de grandir encore un peu
et d'augmenter mon expérience de la vie.
C'est pour cette raison que je suis venue à
Paris, pour oublier et vivre, et c'est aussi pour
ça que je vais y rester. C'est un risque,
mais je voulais le prendre. Parce que bon sang
la vie est trop courte, il faut agir !

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