journal intime
172 _ samedi 7 juin 2003

Trouver un logement

Je ne sais pas encore si je dois m'en réjouir ou m'en inquiéter, mais l'an prochain, je serai à Paris. Eh oui, voilà, c'est fait, c'est décidé et signé, clic clac l'affaire est dans le sac. J'ai longtemps hésité pour savoir si j'allais rester ici une année de plus, ou bien si j'allais la passer chez mes parents à La Rochelle. Enfin "longtemps hésité" n'est pas le terme exact, disons plutôt que j'ai longtemps évité de me poser la question. Face à une décision à prendre, la plupart des gens disent "je vais réfléchir" ou bien "je vais étudier la question". Moi je ne dis jamais ça car je sais d'avance que je ne le ferai pas. Je n'étudie jamais aucune question, j'agis toujours par coup de tête ou par hasard. C'est peut-être un tort, un jour il faudra sûrement que je réfléchisse un peu.
Comme convenu, je devrai libérer ma place dans cet appartement à la rentrée, car la sœur de mon cousin viendra la prendre. Ca m'ennuie beaucoup, mais c'est comme ça, c'est ce qui était convenu.
Trouver un logement à Paris n'est pas une chose facile : il y a beaucoup plus de demande que d'offre. Et de ce fait les loyers sont élevés. Ensuite, j'ai un chien, et ça rebute pas mal de propriétaires, aussi bien propre et bien élevé que soit Adonis.
J'ai commencé mes recherches il y a un mois, sans trop de motivations, à vrai dire je n'avais pas tellement envie que ça de trouver. J'ai vaguement épluché les petites annonces dans les journaux, mais chaque fois que j'appelais il était trop tard, c'était déjà pris. J'en avais juste visité un, mais on était une dizaine de locataires potentiels au rendez-vous. Tous les autres jeunes étaient accompagnés de leurs parents qui n'hésitaient pas à lécher les bottes du proprio pour être choisis. Je ne me suis pas attardée longtemps.
Et puis mardi j'ai reçu cette fichue lettre de Julie qui m'a retiré toute envie de me prendre en mains. D'un seul coup je n'étais plus si sûre que ça de vouloir rester à Paris, plus très sûre non plus de vouloir poursuivre mes études. J'ai passé trois jours à me lamenter. Mais ma mère m'a souvent dit que dans ces cas-là, eh bien il faut s'occuper : lire, créer, bricoler, etc… Eh oui, qui s'occupe les mains libère son chagrin ! (célèbre proverbe aglaïste). Alors j'avais décidé de consacrer ma journée d'hier à rechercher un logement. A prendre le taureau par les cornes et à me secouer un peu. Ca me ferait un sacré poids en moins. Dans quelques jours je rentre à La Rochelle pour passer le bac, je me voyais mal retourner là-bas sans avoir réglé ce problème. C'est aussi pour ça que je n'avais pas prévu de texte pour mon journal, pour pouvoir consacrer ma journée à ça.
On m'avait conseillé une agence, pas une agence immobilière, non, autre chose, un truc d'annonces. J'y suis allée. On m'avait parlé des prix assez élevés mais, m'avait-on dit, il y avait des réductions pour les jeunes. Hélas, les réductions n'étaient pas bien fortes et ça m'a beaucoup refroidie. D'ailleurs je l'ai dit et la fille m'a répondu : "Oui mais avec nous vous aurez des annonces toutes fraîches, sinon ben à Noël vous y êtes encore". Oui, effectivement… Elle m'a demandé ce que je recherchais, j'ai répondu une chambre ou un studio n'importe où dans Paris. Elle a tapoté son clavier et m'a dit qu'elle en avait une vingtaine dont la moitié n'était pas plus vieille que la veille. Intéressant ai-je pensé, mais cher quand même… Alors je suis sortie et j'ai appelé mon père sur mon portable, pour lui expliquer un peu la situation et lui demander s'il voulait bien payer la somme. Il a réfléchi un peu et a dit oui. Car il sait qu'à Paris, les logements se trouvent très difficilement. Alors je suis revenue dans l'agence, j'ai signé et payé. Ca fait mal de débourser 95 euros pour un truc qui peut-être ne te fera rien gagner…
Elle m'a sorti trois pages d'annonces correspondant à ma demande, je me suis assise sur un banc et je les ai appelées, une par une. La moitié était déjà prise… je commençais à regretter ma dépense. Les autres ne répondaient pas, sauf deux. La proprio me demande quand je peux venir, je réponds tout de suite. Et hop, quarante minutes plus tard j'étais chez elle, porte de Clignancourt. J'accélérais le pas en venant, j'avais peur que le temps d'arriver il soit déjà trop tard. J'arrive là-bas, je monte à son appartement au quatrième étage. Elle m'ouvre la porte en souriant… pas longtemps. Dès qu'elle a vu mon chien elle m'a dit "Il vivra pas avec vous ?" Ben si… Ah la la, pour elle il en était hors de question. Ah ça non ! Elle s'est même mise en colère, elle n'était vraiment pas gentille. J'aurais bien aimé qu'à ce moment-là, Adonis fasse une petite mine toute triste, les oreilles rabattues en arrière, mais ce n'est pas un tour que je lui ai appris à jouer. Le pire c'est que derrière elle je voyais un caniche. Je le lui ai fait remarquer et elle m'a répondu : "Ah oui mais ici c'est beaucoup plus grand ! Et puis c'est un caniche ! Pas un berger-allemand !" Je suis désolée mais ce dernier argument ne tient pas la route. Un petit caniche peut très bien ravager un studio, tandis que mon Adonis ne fera pas le moindre dégât. Enfin elle ne voulait pas…
Je vous dis pas dans quel état je suis sortie de là. Complètement démoralisée. Accablée par la vie. La coupe était pleine, trop de tension accumulée depuis quatre jours. La personne que j'aime le plus au monde aime quelqu'un d'autre que moi, le bac approche, et je perds un bon logement pas cher. Je suis redescendue et je me suis mise à pleurer, c'est la tension qui retombait, je n'en pouvais plus. Et puis cette dame avait été presque méchante avec moi. Refuser mon chien, c'est pareil que me refuser moi. Adonis me regardait pleurer sans comprendre, s'il savait !
Et là ben j'ai retéléphoné à mon père, j'avais besoin de parler à quelqu'un. Je lui ai tout raconté et il était aussi déçu que moi. Alors il m'a demandé le numéro de la dame. Quelle idée magnifique ! Alors là je peux vous dire que mon moral est remonté en flêche ! Vu comme mon père parle bien et sait convaincre les gens, sûr qu'il allait la faire changer d'avis ! On a raccroché et j'ai croisé les doigts. Je tenais mon téléphone en mains en attendant qu'il sonne. Cinq minutes plus tard il a sonné. C'était bon ! Ah la la si mon père avait été en face moi je lui aurais sauté au cou… Quelle joie ! Il m'a retiré une sacrée épine du pied…
Je me suis précipitée en haut, la dame avait oublié sa colère et je l'ai trouvée toute souriante. Et je lui ai affirmé mille fois qu'elle ne le regretterait pas, que mon chien était le plus propre et le mieux élevé de Paris. Elle me disait oui, un peu sceptique quand même…
Aujourd'hui, je me pose deux questions. Tout d'abord, qu'est ce que mon père lui a dit ? Il lui a parlé de moi, forcément. Et il a dû m'encenser pour lui faire comprendre que j'étais une fille respectueuse des lieux, polie, de même que mon chien. N'empêche que j'aurais bien aimé entendre. Mais peu importe.
L'autre question que je me pose c'est : ai-je fait le bon choix ? Ici il y a mon cousin, mais là je vais me retrouver toute seule, et je ne suis pas sûre de la supporter, cette solitude… Mais c'est un peu un défi que je me lance, afin de grandir encore un peu et d'augmenter mon expérience de la vie. C'est pour cette raison que je suis venue à Paris, pour oublier et vivre, et c'est aussi pour ça que je vais y rester. C'est un risque, mais je voulais le prendre. Parce que bon sang la vie est trop courte, il faut agir !

La propriétaire ne veut pas de mon chien !
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