Je quitte Paris
demain. Pas pour très longtemps, deux mois,
peut-être trois
mais quand même
ça me fait bizarre. Je ne vais pas dire
que ça me déchire le cur,
ce serait exagéré, mais ça
me fait drôle. Fini la gare Saint Lazare,
le visage des voisins et toutes ces petites choses
qui font mon quotidien depuis plus de cinq mois.
Je suis arrivée ici en janvier, pas pour
empoigner la vie ni pour conquérir la ville,
non, plus ou moins par hasard, parce que je n'avais
rien d'autre à faire. Et je ne regrette
rien. Je ne suis pas plus intelligente maintenant,
ni plus riche, mais j'ai rencontré de chouettes
personnes qui m'ont fait grandir un peu, c'est
sûr. Bien sûr au début ce n'était
pas toujours rose. Je me rappelle d'un soir où
j'étais allongée sur mon lit et
que je balançais mon bonnet au plafond
et que je le rattrapais. Il faut vraiment s'ennuyer
pour en arriver là
J'aurais sans
doute été moins déprimée
à La Rochelle avec des amis, ou même
avec mes parents ou face à la mer. Mais
il fallait le vivre pour le savoir.
Alors c'était donc ça Paris ? Cette
ville immense et immensément belle ? Avec
ses trois millions d'habitants qui fourmillent
dans tous les sens ? Ce n'est pas ce que je m'étais
imaginée, mais c'est encore mieux. Et puis
comment aurais-je pu m'imaginer ça ? Tous
ces quartiers qui sont des villes à eux-seuls
avec leurs habitants et leur langage, ces gros
hommes d'affaires qui fument des cigares sur les
champs élysées, ces Asiatiques qui
tiennent des minis salons de coiffure à
Strasbourg-Saint Denis à six euros la coupe
! On ne voit rien de tout ça à La
Rochelle
ou alors il faut chercher longtemps.
Et je comprends mieux pourquoi tant d'artistes
ont été inspirés par la capitale.
Le moindre petit événement a une
saveur différente. Trois fois rien, par
exemple une grand-mère qui laisse tomber
son sac-à-main, ben elle ne le laissera
pas tomber de la même façon à
Paris qu'ailleurs. Mais c'est peut-être
moi qui dis n'importe quoi, je n'en sais rien.
C'est comme ça que je le vois, en tous
cas.
Alors j'ai fait mes au-revoirs à ceux que
j'aime bien. Ben oui, je suis comme ça,
je ne peux pas partir sans aller rendre visite
à tous ces gens. C'est mon petit côté
nostalgique sans doute. Il y a des gens qui passent
sur la vie sans jamais s'accrocher à rien,
sans jamais s'attacher à personne. Moi
je suis peut-être à l'extrême
opposé, je n'oublie jamais rien ni personne.
Il y a des gens qui n'ont aucun souvenir, qui
ne se rappellent jamais de rien. C'est triste,
quand même
C'est comme si on rasait
tous les vieux monuments de Paris, la ville perdrait
de son âme
Si on m'enlève mes
souvenirs, je ne suis plus moi.
Alors j'ai rendu visite à Marine, tout
ça
et à David. Parce que malgré
notre séparation je l'adore toujours, et
lui aussi je pense qu'il m'aime bien, dans le
fond. Quand il m'a vue il a souri, on s'est serré
dans les bras l'un de l'autre et j'ai posé
ma tête sur son épaule. Je serais
bien restée comme ça plus longtemps,
mais il fallait bien fermer la porte. On a discuté
un peu. Je lui ai dit que je rentrais sur La Rochelle
pour mon bac, il m'a souhaité bonne chance.
Lui il a fini ses examens, il attend les résultats.
Quelle vie, je vous jure
On passe des exams,
on attend les résultats, voilà tout
ce qu'on fait. Je lui ai annoncé que je
serais sur Paris l'an prochain, il a eu l'air
content. Je lui ai aussi proposé de passer
me voir cet été à La Rochelle,
il a dit peut-être mais je ne pense pas
qu'il le fera.
Puis il m'a demandé des nouvelles de Julie,
alors je lui ai répondu qu'elle avait un
copain. A cette nouvelle il a eu un petit sourire
un peu triste, et je pense qu'il était
sincère. Et ça m'a fait chaud au
cur. Je suis sûre qu'à sa place,
bien des gens auraient pensé "bien
fait pour ta gueule t'avais qu'à pas me
laisser tomber". Mais pas lui, enfin je ne
pense pas.
Après on a fait l'amour et je suis rentrée.
Ca c'était à prévoir. Pourtant,
je jure que j'y suis allée juste pour lui
dire au revoir et c'est tout. J'aurais pourtant
dû me douter qu'on ne resterait pas à
se dire adieu pendant une heure, qu'on n'allait
pas sortir les mouchoirs pour sécher nos
larmes
Enfin si on les a sortis, les mouchoirs,
mais pour faire autre chose
Enfin voilà,
on s'est dit au revoir et à bientôt.
Et demain je prends le train. Je vais descendre
la rue d'Amsterdam pour la dernière fois
Oui je sais, on s'en fout complètement
que je la descende pour la dernière fois.
C'est quand même bizarre à quel point
toutes ces choses me perturbent. Il n'y a vraiment
pas de quoi en faire une affaire d'état,
c'est à peine si ça vaut un petit
texte dans mon journal tout ça
et
pourtant, je n'arrive pas à me faire à
cette idée. Le temps qui passe, les lieux
qui changent, les gens qui vieillissent, dès
que je suis confrontée à ça
j'ai l'impression de prendre un coup de vieux.
Comme si descendre la rue d'Amsterdam allait me
donner quelques années de plus. Pfff c'est
juste une rue comme les autres pourtant. Enfin
pas tout à fait

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