journal intime
173 _ lundi 9 juin 2003

Au revoir Paris

Je quitte Paris demain. Pas pour très longtemps, deux mois, peut-être trois… mais quand même ça me fait bizarre. Je ne vais pas dire que ça me déchire le cœur, ce serait exagéré, mais ça me fait drôle. Fini la gare Saint Lazare, le visage des voisins et toutes ces petites choses qui font mon quotidien depuis plus de cinq mois.
Je suis arrivée ici en janvier, pas pour empoigner la vie ni pour conquérir la ville, non, plus ou moins par hasard, parce que je n'avais rien d'autre à faire. Et je ne regrette rien. Je ne suis pas plus intelligente maintenant, ni plus riche, mais j'ai rencontré de chouettes personnes qui m'ont fait grandir un peu, c'est sûr. Bien sûr au début ce n'était pas toujours rose. Je me rappelle d'un soir où j'étais allongée sur mon lit et que je balançais mon bonnet au plafond et que je le rattrapais. Il faut vraiment s'ennuyer pour en arriver là… J'aurais sans doute été moins déprimée à La Rochelle avec des amis, ou même avec mes parents ou face à la mer. Mais il fallait le vivre pour le savoir.
Alors c'était donc ça Paris ? Cette ville immense et immensément belle ? Avec ses trois millions d'habitants qui fourmillent dans tous les sens ? Ce n'est pas ce que je m'étais imaginée, mais c'est encore mieux. Et puis comment aurais-je pu m'imaginer ça ? Tous ces quartiers qui sont des villes à eux-seuls avec leurs habitants et leur langage, ces gros hommes d'affaires qui fument des cigares sur les champs élysées, ces Asiatiques qui tiennent des minis salons de coiffure à Strasbourg-Saint Denis à six euros la coupe ! On ne voit rien de tout ça à La Rochelle… ou alors il faut chercher longtemps. Et je comprends mieux pourquoi tant d'artistes ont été inspirés par la capitale. Le moindre petit événement a une saveur différente. Trois fois rien, par exemple une grand-mère qui laisse tomber son sac-à-main, ben elle ne le laissera pas tomber de la même façon à Paris qu'ailleurs. Mais c'est peut-être moi qui dis n'importe quoi, je n'en sais rien. C'est comme ça que je le vois, en tous cas.
Alors j'ai fait mes au-revoirs à ceux que j'aime bien. Ben oui, je suis comme ça, je ne peux pas partir sans aller rendre visite à tous ces gens. C'est mon petit côté nostalgique sans doute. Il y a des gens qui passent sur la vie sans jamais s'accrocher à rien, sans jamais s'attacher à personne. Moi je suis peut-être à l'extrême opposé, je n'oublie jamais rien ni personne. Il y a des gens qui n'ont aucun souvenir, qui ne se rappellent jamais de rien. C'est triste, quand même… C'est comme si on rasait tous les vieux monuments de Paris, la ville perdrait de son âme… Si on m'enlève mes souvenirs, je ne suis plus moi.
Alors j'ai rendu visite à Marine, tout ça… et à David. Parce que malgré notre séparation je l'adore toujours, et lui aussi je pense qu'il m'aime bien, dans le fond. Quand il m'a vue il a souri, on s'est serré dans les bras l'un de l'autre et j'ai posé ma tête sur son épaule. Je serais bien restée comme ça plus longtemps, mais il fallait bien fermer la porte. On a discuté un peu. Je lui ai dit que je rentrais sur La Rochelle pour mon bac, il m'a souhaité bonne chance. Lui il a fini ses examens, il attend les résultats. Quelle vie, je vous jure… On passe des exams, on attend les résultats, voilà tout ce qu'on fait. Je lui ai annoncé que je serais sur Paris l'an prochain, il a eu l'air content. Je lui ai aussi proposé de passer me voir cet été à La Rochelle, il a dit peut-être mais je ne pense pas qu'il le fera.
Puis il m'a demandé des nouvelles de Julie, alors je lui ai répondu qu'elle avait un copain. A cette nouvelle il a eu un petit sourire un peu triste, et je pense qu'il était sincère. Et ça m'a fait chaud au cœur. Je suis sûre qu'à sa place, bien des gens auraient pensé "bien fait pour ta gueule t'avais qu'à pas me laisser tomber". Mais pas lui, enfin je ne pense pas.
Après on a fait l'amour et je suis rentrée. Ca c'était à prévoir. Pourtant, je jure que j'y suis allée juste pour lui dire au revoir et c'est tout. J'aurais pourtant dû me douter qu'on ne resterait pas à se dire adieu pendant une heure, qu'on n'allait pas sortir les mouchoirs pour sécher nos larmes… Enfin si on les a sortis, les mouchoirs, mais pour faire autre chose… Enfin voilà, on s'est dit au revoir et à bientôt.
Et demain je prends le train. Je vais descendre la rue d'Amsterdam pour la dernière fois… Oui je sais, on s'en fout complètement que je la descende pour la dernière fois. C'est quand même bizarre à quel point toutes ces choses me perturbent. Il n'y a vraiment pas de quoi en faire une affaire d'état, c'est à peine si ça vaut un petit texte dans mon journal tout ça… et pourtant, je n'arrive pas à me faire à cette idée. Le temps qui passe, les lieux qui changent, les gens qui vieillissent, dès que je suis confrontée à ça j'ai l'impression de prendre un coup de vieux. Comme si descendre la rue d'Amsterdam allait me donner quelques années de plus. Pfff c'est juste une rue comme les autres pourtant. Enfin pas tout à fait…

Adieu
Trouver un logementtexte précédent texte suivant Images bizarres