Je viens de trouver
en quoi je veux être réincarnée
pour ma prochaine vie : en chat. Mais n'importe
quel chat : celui de Julie. Il ne se rend pas
compte, celui-là, la chance qu'il a de
pouvoir se rouler en boule sur le ventre de sa
maîtresse et de s'endormir sous ses caresses.
Sûr qu'à sa place, je ronronnerais
toute la nuit !
Voilà à quoi je rêvais ce
matin en travaillant, et voilà comment
on passe d'une leçon d'économie
à une vie de chat. J'aurais de grands yeux
jaunes, une fourrure toute noire et une petite
langue rose et râpeuse. Julie me choisirait
un prénom affectueux, et prendrait soin
de moi autant que moi d'elle. Je trônerais
comme un pacha sur un coussin de sa chambre, et
de là je ne raterais pas le moindre de
ses mouvements. Comme un vieux sage qui a compris
que la vie se résumait à ce simple
plaisir : admirer en silence.
Qu'elle soit habillée ou nue, j'aurais
le spectacle de son corps, dans ses allées
et ses venues, bien à ma place dans son
décor. Elle se promènerait de son
lit à sa fenêtre, puis de sa fenêtre
à son bureau, et moi j'aurais toujours
mes deux petits qui traînent cachés
sous un drap. Je surveillerais attentivement tous
ses gestes. Je me fourrerais dans plein de petits
recoins de sa chambre, mais mon préféré
ce serait sur ses genoux, quand elle serait assise
à son bureau. Parfois je sauterais même
sur le bureau et je me planterais là, devant
elle, comme une statue. Comme elle serait gentille
et qu'elle n'oserait pas me repousser, elle contournerait
mes pattes de son stylo. Et quand ses professeurs
corrigeraient sa copie, ils ne comprendraient
pas pourquoi son écriture fait des vagues
en forme de pattes de chat.
Elle m'apprendrait plein de petits tours. Ma qualité
première ne serait pas l'intelligence,
mais ce serait le plaisir de faire plaisir. Je
comprendrais donc très vite tout ce qu'elle
m'enseignerait : tendre la papatte, faire miaou
sur commande
Je serais le seul chat du monde
à rapporter le bâton que lui lance
sa maîtresse, et le seul chat du monde à
lire dans les pensées : triste quand sa
maîtresse est triste, heureux quand sa maîtresse
est heureuse.
Elle passerait aussi beaucoup de temps à
s'amuser avec moi. Ainsi, elle glisserait sa main
sous une couverture de laine et ferait remuer
dessous son petit doigt, pour me faire croire
qu'il s'agit d'une petite souris. Bien sûr
je ne serais pas dupe, mais rien que pour lui
faire plaisir je me coucherais bien à plat,
les oreilles rabattues en arrière, et je
bondirais sur le doigt sous ses éclats
de rire. Et je recommencerais pendant des heures
rien que pour l'entendre rire aux éclats.
Elle aurait une peur bleue des rats. Et des rats,
il y en aurait plein, puisqu'on vivrait elle et
moi dans une pauvre petite maison de pierres au
fond de la forêt. Alors dès qu'elle
s'absenterait pour aller cueillir des framboises,
je descendrais dans la petite cave, et je partirais
à la chasse dans l'ombre. Les chats sont
cruels : ils aiment jouer avec leur proie. Mais
moi, dans ma grande gentillesse, je me contenterais
d'un bon coup de crocs dans leur gorge pour les
vider de leur sang. Puis je déposerais
mon trophée devant la porte de Julie, et
en voyant ça elle me couvrirait de caresses
et de bouts de viande bien tendre.
Quand elle se déshabillerait le soir, je
ferais mine de ne rien voir, mais je ne manquerais
rien. Elle déferait un à un les
boutons de sa robe devant moi. Un bouton et je
vois ses épaules nues, un deuxième
et je vois le creux de son dos, un troisième
et la lumière m'éblouit, je ne peux
plus rien voir
Parfois, elle se poserait devant son grand miroir
et se ferait belle pour un prince charmant imaginaire.
Elle referait le contour de ses beaux yeux avec
un petit pinceau noir. Moi je serais planté
à côté d'elle, et de mon il
vif et malicieux j'essaierais d'agripper son regard
sombre et silencieux. Je fixerais son reflet jusqu'à
ce qu'elle daigne détourner les yeux vers
moi. Alors, elle ne pourrait s'empêcher
de me sourire tendrement et de me gratouiller
la tête.
Hélas, la vie d'un chat est courte. Un
jour, ça fera seize ans que je me promènerai
entre sa chaise et son coussin. Sa vie à
elle commencera à peine, la mienne à
moi touchera à sa fin. Mais il paraît
que les chats ont sept vies : je me débrouillerai
donc pour me retrouver systématiquement
chez elle à chacune de mes vies. Ainsi
je ne raterai pas une seule journée de
son existence.
Laissez-moi fermer les yeux, laissez-moi rêver
un peu
L'instant le plus délicieux de la journée,
ce serait le soir, au moment de se coucher. J'attendrais
qu'elle soit bien au chaud dans son lit et là,
discrètement, je me faufilerais sous ses
draps. Elle me titillerait la frimousse, et moi,
je laisserais traîner ma queue à
l'endroit où sa peau est la plus douce.
Ben oui
un petit chat qui n'a pas une petite
chatte à cajoler ne peut pas être
un chat heureux
Alors je la cajolerais jusqu'à
ce qu'elle monte au septième ciel puis
s'endorme. Ensuite je remonterai le long de son
corps et viendrai me blottir entre ses seins,
pour m'endormir à mon tour.
J'aimerais qu'un soir, une fée vienne me
rendre visite et me transforme en chat de Julie
d'un coup de baguette magique. Hélas, ce
n'est pas possible
Ben oui, qui s'occuperait
de mon chien ?

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