Samedi soir, j'ai
réuni mes petites munitions et je suis
partie me promener toute seule dans Paris. Je
sais bien que le samedi soir c'est le jour où
on sort en groupe, où on fait la fête,
où on danse et qu'on est heureux de s'amuser.
Mais moi non, enfin pas ce coup-ci. Après
quatre mois de vie en couple je savoure la solitude,
comme si j'avais été en manque.
Depuis quelques jours je prends ma dose et ça
me fait du bien. Le tout est de ne pas en abuser.
Comme pour toute chose.
Ainsi j'ai réuni mes petites munitions,
c'est à dire mon tabac à rouler
et des feuilles, et bien sûr la laisse de
mon chien. Et je suis retournée dans le
quartier Saint Michel comme deux jours auparavant.
Car ce quartier, j'y suis passée à
de nombreuses reprises sans jamais m'y attarder,
je voulais l'explorer un petit peu plus. Je m'attendais
à marcher pas mal de temps à travers
les rues animées et lumineuses, mais en
fait au bout d'un quart d'heure je me retrouvais
déjà sur un boulevard bien silencieux.
A ma déception, ce quartier est bien plus
petit que je ne le pensais
J'ai pris une
autre petite rue animée, mais à
part des restaurants et des bars il n'y a pas
grand chose à faire.
Alors j'ai traversé le boulevard Jeséplukoi
pour aller sur la petite place en face, car il
y avait un musicien métisse qui chantait
Cabrel en version créole, c'était
marrant. J'adore écouter les musiciens
dans les rues. Dès que j'en trouve un je
reste un petit quart d'heure à l'écouter,
c'est toujours bien agréable, et si j'ai
de la monnaie je lui laisse une petite pièce.
Ces gens-là sont en général
très motivés et passionnés,
surtout s'ils n'ont pas d'autre boulot à
côté, car pour vivre de la musique
de rue il faut vraiment s'accrocher je pense
Il paraît que dans le métro, il est
interdit de jouer sans autorisation officielle.
Ca c'est le genre de règlement que je trouve
complètement stupide. Jouer et chanter
n'a jamais fait de mal à personne, que
je sache ! Au contraire, ça fait du bien
aux passants.
Ainsi je me suis assise sur une petite margelle
pour écouter le chanteur. C'est là
qu'un gars est venu vers moi, un punk. Il s'est
approché sous les grognements agressifs
d'Adonis qui n'aime pas du tout qu'un inconnu
s'approche un peu trop près de moi. Je
l'ai calmé par quelques caresses (Adonis,
pas le punk !) et le jeune homme a pu s'asseoir.
Il est était très sympa, et à
ce moment-là je n'ai pas regretté
un seul instant d'avoir préféré
faire bande à part ce soir-là plutôt
que de suivre mon cousin et sa copine dans une
quelconque fête je ne sais où.
Il m'a fait rire : il m'expliquait qu'il était
voyageur avant tout. Eh oui ! Certes, il était
peintre. Sûr, il était musicien aussi.
Evidemment, il est aussi un grand fumeur. Oui
mais, me disait-il, "je suis voyageur avant
tout". Eh eh
D'ailleurs je me demande
si je ne l'ai pas déjà croisé
un jour à La Rochelle, vu qu'il est très
voyageur. Mais je n'en suis pas sûre. J'ai
voulu lui demander, et puis comme beaucoup de
choses en ce moment ma question s'est échappée
de ma tête et je l'ai oubliée.
Et là
je me suis lâchée.
J'ai tout raconté au gars de A à
Z. Et ça m'a fait un bien fou. C'est sans
doute grâce à ça que je me
sens plutôt bien depuis samedi soir. Une
heure avant j'étais encore sur le point
de péter un fusible, après cette
conversation je me sentais infiniment mieux. Quand
je dis que je lui ai tout dit, je veux bien sûr
parler de Julie. Ben ouais
j'arrive pas
à le garder pour moi, et il n'y a personne
autour à qui je puisse le raconter. David
? Notre séparation ne facilite pas ce genre
de dialogues. Mon cousin est plus qu'occupé
en ce moment, et je n'ai guère envie de
lui causer de ça. Quant aux autres, ben
c'est pas facile
Alors que là, j'avais
en face de moi un gars totalement inconnu, je
pouvais tout lui raconter, je n'avais rien à
perdre. Et c'est ce que j'ai fait. Bon, ça
n'a pas duré plus de cinq minutes, je ne
suis pas du genre à répéter
quarante fois la même chose avec des mots
différents. Une seule fois suffit. Pas
besoin de longs discours pour parler de Julie,
quelques mots suffisent : magnifique, grandiose,
étincelante, et gentille. Enfin j'ai tourné
ça autrement
j'ai fait des phrases
Il m'a regardée avec un petit sourire amical
qui m'a réconfortée. Ca avait l'air
de lui plaire, mon trip. Et je le comprends, vu
de l'extérieur ça doit paraître
assez insolite, et mieux vaut en sourire qu'en
pleurer. Ensuite
il m'a fait une proposition
étrange. Il m'a dit qu'il avait des amies
lesbiennes et qu'il pourrait me les présenter.
C'est très gentil de sa part, c'est sûr
mais je suis quand même assez perplexe.
Que pourraient-elles m'apporter ? Une lesbienne
est une fille qui aime les filles. Moi je n'aime
pas les filles : j'aime Julie. C'est différent,
je pense
Je suis juliephile. Je ne sais
pas trop quoi en penser. Si je commence à
me poser la question de savoir si je suis lesbienne
ou non, pour sûr je ne vais plus réussir
à trouver le sommeil. Je vais donc éviter.
On s'est dit au-revoir et à bientôt.
Je le recroiserai peut-être, un jour, par
hasard
A Paris ou ailleurs, qui sait ?
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