journal intime
165 _ mardi 27 mai 2003

Saint Michel

Samedi soir, j'ai réuni mes petites munitions et je suis partie me promener toute seule dans Paris. Je sais bien que le samedi soir c'est le jour où on sort en groupe, où on fait la fête, où on danse et qu'on est heureux de s'amuser. Mais moi non, enfin pas ce coup-ci. Après quatre mois de vie en couple je savoure la solitude, comme si j'avais été en manque. Depuis quelques jours je prends ma dose et ça me fait du bien. Le tout est de ne pas en abuser. Comme pour toute chose.
Ainsi j'ai réuni mes petites munitions, c'est à dire mon tabac à rouler et des feuilles, et bien sûr la laisse de mon chien. Et je suis retournée dans le quartier Saint Michel comme deux jours auparavant. Car ce quartier, j'y suis passée à de nombreuses reprises sans jamais m'y attarder, je voulais l'explorer un petit peu plus. Je m'attendais à marcher pas mal de temps à travers les rues animées et lumineuses, mais en fait au bout d'un quart d'heure je me retrouvais déjà sur un boulevard bien silencieux. A ma déception, ce quartier est bien plus petit que je ne le pensais… J'ai pris une autre petite rue animée, mais à part des restaurants et des bars il n'y a pas grand chose à faire.
Alors j'ai traversé le boulevard Jeséplukoi pour aller sur la petite place en face, car il y avait un musicien métisse qui chantait Cabrel en version créole, c'était marrant. J'adore écouter les musiciens dans les rues. Dès que j'en trouve un je reste un petit quart d'heure à l'écouter, c'est toujours bien agréable, et si j'ai de la monnaie je lui laisse une petite pièce. Ces gens-là sont en général très motivés et passionnés, surtout s'ils n'ont pas d'autre boulot à côté, car pour vivre de la musique de rue il faut vraiment s'accrocher je pense… Il paraît que dans le métro, il est interdit de jouer sans autorisation officielle. Ca c'est le genre de règlement que je trouve complètement stupide. Jouer et chanter n'a jamais fait de mal à personne, que je sache ! Au contraire, ça fait du bien aux passants.
Ainsi je me suis assise sur une petite margelle pour écouter le chanteur. C'est là qu'un gars est venu vers moi, un punk. Il s'est approché sous les grognements agressifs d'Adonis qui n'aime pas du tout qu'un inconnu s'approche un peu trop près de moi. Je l'ai calmé par quelques caresses (Adonis, pas le punk !) et le jeune homme a pu s'asseoir. Il est était très sympa, et à ce moment-là je n'ai pas regretté un seul instant d'avoir préféré faire bande à part ce soir-là plutôt que de suivre mon cousin et sa copine dans une quelconque fête je ne sais où.
Il m'a fait rire : il m'expliquait qu'il était voyageur avant tout. Eh oui ! Certes, il était peintre. Sûr, il était musicien aussi. Evidemment, il est aussi un grand fumeur. Oui mais, me disait-il, "je suis voyageur avant tout". Eh eh… D'ailleurs je me demande si je ne l'ai pas déjà croisé un jour à La Rochelle, vu qu'il est très voyageur. Mais je n'en suis pas sûre. J'ai voulu lui demander, et puis comme beaucoup de choses en ce moment ma question s'est échappée de ma tête et je l'ai oubliée.
Et là… je me suis lâchée. J'ai tout raconté au gars de A à Z. Et ça m'a fait un bien fou. C'est sans doute grâce à ça que je me sens plutôt bien depuis samedi soir. Une heure avant j'étais encore sur le point de péter un fusible, après cette conversation je me sentais infiniment mieux. Quand je dis que je lui ai tout dit, je veux bien sûr parler de Julie. Ben ouais… j'arrive pas à le garder pour moi, et il n'y a personne autour à qui je puisse le raconter. David ? Notre séparation ne facilite pas ce genre de dialogues. Mon cousin est plus qu'occupé en ce moment, et je n'ai guère envie de lui causer de ça. Quant aux autres, ben c'est pas facile… Alors que là, j'avais en face de moi un gars totalement inconnu, je pouvais tout lui raconter, je n'avais rien à perdre. Et c'est ce que j'ai fait. Bon, ça n'a pas duré plus de cinq minutes, je ne suis pas du genre à répéter quarante fois la même chose avec des mots différents. Une seule fois suffit. Pas besoin de longs discours pour parler de Julie, quelques mots suffisent : magnifique, grandiose, étincelante, et gentille. Enfin j'ai tourné ça autrement… j'ai fait des phrases…
Il m'a regardée avec un petit sourire amical qui m'a réconfortée. Ca avait l'air de lui plaire, mon trip. Et je le comprends, vu de l'extérieur ça doit paraître assez insolite, et mieux vaut en sourire qu'en pleurer. Ensuite… il m'a fait une proposition étrange. Il m'a dit qu'il avait des amies lesbiennes et qu'il pourrait me les présenter. C'est très gentil de sa part, c'est sûr… mais je suis quand même assez perplexe. Que pourraient-elles m'apporter ? Une lesbienne est une fille qui aime les filles. Moi je n'aime pas les filles : j'aime Julie. C'est différent, je pense… Je suis juliephile. Je ne sais pas trop quoi en penser. Si je commence à me poser la question de savoir si je suis lesbienne ou non, pour sûr je ne vais plus réussir à trouver le sommeil. Je vais donc éviter.

On s'est dit au-revoir et à bientôt. Je le recroiserai peut-être, un jour, par hasard… A Paris ou ailleurs, qui sait ?

Fête des mèrestexte précédent texte suivant Le chat de Julie