journal intime
164 _ lundi 26 mai 2003

La fête des mères

Hier dimanche, c'était la fête des Mamans. Ma mère étant à La Rochelle et moi étant à Paris, on ne risquait pas de fêter grand chose. Pas de rose, donc, ni de fleur, juste un petit coup de téléphone à midi. Elle était contente que j'aie pensé à elle et même un peu surprise. Et moi j'étais surprise qu'elle soit surprise : évidemment que j'ai pensé à elle, c'est ma mère, tout de même… Comment pourrais-je l'oublier… J'ai beau vivre à Paris, j'ai beau passer le bac très bientôt, j'ai beau fumer plus que de raison et passer les trois quarts de mon temps à rêvasser, il y a toujours une petite place pour elle dans mes pensées. Et elle sera toujours là, même quand tout le reste aura disparu.
Il paraît que le premier mot qu'un enfant prononce c'est "Maman". Dans mon cas je ne pourrai pas le certifier : j'ai oublié quel fut mon premier mot. Dans mes souvenirs les plus lointains je suis déjà une petite fille qui parle et qui marche, comme tout le monde je suppose. Avant je ne peux qu'imaginer, me voir dans mon berceau entourée de fées et de démons.
Ma mère et moi avons discuté au téléphone une vingtaine de minutes, on parlé de moi, c'est à dire de rien. Elle a pris des nouvelles de ma vie parisienne, m'a demandé si j'étais prête pour le bac. Je lui ai dit que David et moi c'était fini, elle avait l'air déçue. Ben y faut pas Maman… c'était mon choix, pour l'instant je ne regrette rien. Je ne lui ai pas parlé de ce que je ressens pour Julie, pas la peine que je l'effraie avec ça, elle se tracasserait c'est sûr. Mais bon sang, que ce fut dur de parler vingt minutes sans prononcer une seule fois le prénom de Julie ! A plusieurs reprises il a bien failli m'échapper.
N'empêche que j'aimerais bien qu'un jour, la fête des mères soit aussi ma fête à moi. Entendre un petit gars me dire : "Bonne fête Maman t'es la plus belle !". Après ça tu peux mourir en paix.
Ma mère va bien, elle prépare la fête des écoles, et ça l'énerve. Elle adore son métier d'institutrice, elle l'exerce avec passion, mais s'il y a un truc dont elle se passerait bien, c'est cette fameuse fête de fin d'année. Elle aime les enfants mais pas trop les parents d'élèves. Hors à la kermesse, il faudra compter sur ces parents. Alors ça l'ennuie, comme tous les ans.
D'ailleurs je la rejoins : moi aussi je n'aimais pas du tout ça étant petite. J'étais effrayée à l'idée de devoir danser sur une scène devant tout le monde. En grandissant ça s'est arrangé, mais au début ce fut dur. Mon père m'a raconté ma première fête : j'étais dans la farandole d'enfants, mais je n'écoutais rien, j'avais les yeux fixés sur mon père, désespérée que j'étais de subir ce calvaire. Et mon père avait mal pour moi de me voir souffrir ainsi. Je n'y comprenais rien, moi…
Ensuite j'ai eu mon père au téléphone. Lui aussi il va bien, il m'a raconté des choses étranges qui m'ont beaucoup étonnée de sa part. Il m'a expliqué qu'il y avait dans le jardin, sous la gouttière, un magnifique nid d'oiseaux. Et que quand on regardait dans le trou on voyait la Maman merle couver ses œufs. Eh ben… il a bien changé mon père. Il y a quelques années, il parlait surtout des soirées arrosées d'alcool avec ses collègues marins, et maintenant le voilà qui me parle des petits oiseaux sous la gouttière…
Ca me fait chaud au cœur, et en même temps ça m'attriste. Tout ce qu'on a vécu ensemble il y a quelques années les a transformés et les a rendus plus forts. Sauf moi. J'ai l'impression d'être la seule à n'avoir rien oublié, et à m'acharner à essayer de comprendre ce qu'il s'est passé. Eux ils sont heureux dans leur petit paradis, et je suis heureuse pour eux. Mais moi je suis là, perdue. Pour moi le temps ne se mesure pas avec les heures qui passent, il se mesure avec les cigarettes que je fume. Plus j'avance et plus je me retourne, si bien que pour vivre je n'ai plus le temps. Dans un an, j'aurai dépassé l'âge de ma sœur quand elle est décédée. Eh oui, dans un an ma vie aura été plus longue que la sienne. Ca me fait bizarre d'y penser. Mais si ça se trouve je mourrai avant, qui sait, la vie tient à peu de choses. C'est étrange d'ailleurs, ça ne me fait même pas peur. Si quelqu'un vient me dire : "Demain tu vas mourir", ben je crois que je le supporterais bien. Par contre, si ce quelqu'un vient me dire : "un jour tu auras soixante-dix ans", alors là j'en ai des sueurs froides. Putain, je veux pas grandir ! ! !
J'ai reçu une lettre de Julie ce matin. Pfff, elle me reparle du gars dont elle m'avait déjà causé dans une lettre, en mars si je me souviens bien. Il paraît qu'il la drague et que ça l'amuse, Julie. Peut-être que ça l'amuse, elle, mais moi ça m'énerve. Qui est ce gars pour oser s'approcher d'elle ? A-t-il conscience qu'il a affaire à un Soleil ? J'espère que ça ne fera jamais rien d'autre que de l'amuser, ma Julie.

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