journal intime
163 _ vendredi 23 mai 2003

Je quitte David

Eh ben ça y est, c'est fait, me voilà toute seule. Quand je me suis couchée hier soir et que j'ai passé ma main sur les draps à côté de moi, la place était vide et froide. Ca fait bizarre de se retrouver seule après si longtemps. Et ça fait peur.
Je suis allée chez David vers six heures et demi, j'avais emmené un petit livre pour patienter. Je n'étais pas trop anxieuse, tout était clair dans ma tête : j'allais lui dire la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité. Pas question que je m'embarque dans des prétextes bidons du genre : "j'ai peur de m'engager dans une relation à long terme". David n'est pas dupe, ça n'aurait pas marché et ça n'aurait fait que compliquer les choses. Quand il est arrivé vers sept heures, je me suis levée pour l'embrasser, comme d'habitude. Mais c'était un petit bisou, et je lui ai dit qu'il fallait que je lui parle. Dès ce moment, il a flairé le mauvais coup. Il a bien vu que depuis quelques temps, ça ne marchait plus très fort entre lui et moi. On a eu une ou deux disputes, et quand je suis avec lui je suis ailleurs. Puis je lui ai demandé de s'asseoir, et ça aussi ça l'a étonné, c'est bien la première fois que je lui demande ça.
Alors je lui ai parlé à peu près en ces termes-là : "Tu as dû remarquer depuis quelques temps, c'est pas la super forme. Il faut que je te dise, je suis amoureuse de quelqu'un d'autre". Evidemment sa première réaction a été de me demander "De qui ?
_ De Julie.
_ Tu te fous de ma gueule ?" Il était assez incrédule au début. Puis très furieux. Il marchait devant moi en s'exprimant très nerveusement et en fumant cigarette sur cigarette. Et je sentais qu'il se retenait pour ne pas laisser exploser sa colère. Il disait entre autres : "Donc t'es sortie avec moi pour passer le temps !", "Donc depuis le début tu te fous de moi !". Non, tout ça c'est faux. C'est vrai qu'à l'époque j'étais très seule, mais je n'ai pas pris le premier gars venu. Je l'ai toujours trouvé génial, dès le premier jour il m'a attirée. S'il n'avait pas été là, je serais certainement restée seule. Je lui ai expliqué tout ça, mais il avait l'air sceptique. Il a fini par se calmer un peu et se rasseoir, et me poser quelques questions d'un air désolé. Il me demandait si Julie le savait, si c'était réciproque entre elle et moi, et là encore ma réponse était toujours non. Ca l'a un peu rassuré d'apprendre que quand même, je ne l'avais jamais trompé. Il voulait aussi savoir si j'avais toujours été attirée par les filles et pourquoi je ne lui avais pas dit plus tôt. Ca je n'en sais rien. Après la colère, puis après avoir essayé de comprendre un peu mieux, la tristesse s'est installée. Non, pas vraiment la tristesse, plutôt la déception, le dégoût de la vie et des choses. Il disait qu'avec nous les filles ça ne pouvait jamais se passer normalement, qu'il fallait toujours qu'il y ait un problème, qu'il fallait toujours qu'on complique tout. Et que ça faisait chier. Il m'a même reparlé de cette fille, là : "C'est comme l'autre conne qui me disait qu'elle m'aimait pas de la même façon que je l'aimais". J'étais un peu vexée qu'il ne l'ait pas encore oubliée, celle-là…
Après deux heures de discussion je me suis levée pour sortir, il m'a demandé : "Qu'est ce que tu fais ?
_ Ben je m'en vais…
_ Mais pourquoi ? Tu vas où ? " Eh oui… je m'en allais. Il a voulu que je reste encore un peu, au moins la nuit, au moins pour manger, au moins pour un petit quart d'heure… mais je n'ai pas voulu. Sinon j'aurais fini par craquer et rester pour de bon. Alors je suis sortie, et en le quittant il m'a dit : "Si tu changes d'avis tu reviens quand tu veux, moi j'aime personne d'autre que toi". Ca m'a toute remuée, ces paroles. En descendant l'escalier j'étais toute tremblante, et j'ai commencé à avoir des doutes. Je me demandais si j'avais fait le bon choix, d'ailleurs je me le demande toujours. Ma sœur me disait autrefois que le choix, on se rendait compte s'il était bon ou pas par la suite. Si dans un mois je me sens bien, c'est que j'ai fait le bon choix. Si dans un mois je m'en veux et que David me manque, c'est que je me suis trompée. Un jour après, je n'en sais rien.
Le plus dur dans tout ça, c'est que rien n'est fini. Je n'ai pas vraiment l'impression d'avoir tourné une page, vu que Julie est toujours là dans mes pensées. J'ai l'impression que quitter David, ce n'était qu'une étape. Une étape bien plus facile que toutes celles qui allaient suivre, mais j'espère que je me trompe.
En attendant, l'air frais du dehors m'a fait du bien. Je suis allée me promener dans les rues avec mon chien, ça aussi il y avait longtemps que je n'avais pas vu Paris la nuit sans David. Je me suis retrouvée du côté de Saint Michel, cet endroit est toujours animé quelle que soit l'heure. Je suis entrée dans un petit bistrot du quartier latin, dans lequel j'étais déjà venue avec mon cousin, puis avec David, et maintenant toute seule. Finalement, je suis le seul point commun à toutes ces histoires. Ah non, il y a aussi mon chien. Adonis ne comprend rien, il ne sait sans doute pas que David et moi c'est fini.
Puis je suis rentrée ici au grand étonnement de mon cousin. Je me suis couchée, et c'est là que j'ai senti la place toute froide à côté de moi. Je ne voulais pas dormir, alors je me suis mise le casque sur les oreilles pour écouter Mano Solo chanter les Gitans. Cette chanson, ça fait des mois qu'il ne se passe pas une journée sans que je l'écoute. Elle est parfaite du début à la fin. Un peu plus loin sur le disque il y a la petite serveuse de Menilmontant. Cette chanson aurait pu être écrite pour Julie. Car Julie aussi elle est discrète et silencieuse. Julie aussi, ses cheveux racontent des histoires. Julie aussi, elle a une bouche qu'on s'y jetterait dedans pour y mourir. Cette idée me plaisait, alors je me suis imaginée toute petite petite petite… Ne plus mesurer qu'un ou deux millimètres, et aller me glisser entre ses lèvres. Je me suis endormie sur cette agréable pensée.

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