Eh ben ça
y est, c'est fait, me voilà toute seule.
Quand je me suis couchée hier soir et que
j'ai passé ma main sur les draps à
côté de moi, la place était
vide et froide. Ca fait bizarre de se retrouver
seule après si longtemps. Et ça
fait peur.
Je suis allée chez David vers six heures
et demi, j'avais emmené un petit livre
pour patienter. Je n'étais pas trop anxieuse,
tout était clair dans ma tête : j'allais
lui dire la vérité, toute la vérité,
et rien que la vérité. Pas question
que je m'embarque dans des prétextes bidons
du genre : "j'ai peur de m'engager dans une
relation à long terme". David n'est
pas dupe, ça n'aurait pas marché
et ça n'aurait fait que compliquer les
choses. Quand il est arrivé vers sept heures,
je me suis levée pour l'embrasser, comme
d'habitude. Mais c'était un petit bisou,
et je lui ai dit qu'il fallait que je lui parle.
Dès ce moment, il a flairé le mauvais
coup. Il a bien vu que depuis quelques temps,
ça ne marchait plus très fort entre
lui et moi. On a eu une ou deux disputes, et quand
je suis avec lui je suis ailleurs. Puis je lui
ai demandé de s'asseoir, et ça aussi
ça l'a étonné, c'est bien
la première fois que je lui demande ça.
Alors je lui ai parlé à peu près
en ces termes-là : "Tu as dû
remarquer depuis quelques temps, c'est pas la
super forme. Il faut que je te dise, je suis amoureuse
de quelqu'un d'autre". Evidemment sa première
réaction a été de me demander
"De qui ?
_ De Julie.
_ Tu te fous de ma gueule ?" Il était
assez incrédule au début. Puis très
furieux. Il marchait devant moi en s'exprimant
très nerveusement et en fumant cigarette
sur cigarette. Et je sentais qu'il se retenait
pour ne pas laisser exploser sa colère.
Il disait entre autres : "Donc t'es sortie
avec moi pour passer le temps !", "Donc
depuis le début tu te fous de moi !".
Non, tout ça c'est faux. C'est vrai qu'à
l'époque j'étais très seule,
mais je n'ai pas pris le premier gars venu. Je
l'ai toujours trouvé génial, dès
le premier jour il m'a attirée. S'il n'avait
pas été là, je serais certainement
restée seule. Je lui ai expliqué
tout ça, mais il avait l'air sceptique.
Il a fini par se calmer un peu et se rasseoir,
et me poser quelques questions d'un air désolé.
Il me demandait si Julie le savait, si c'était
réciproque entre elle et moi, et là
encore ma réponse était toujours
non. Ca l'a un peu rassuré d'apprendre
que quand même, je ne l'avais jamais trompé.
Il voulait aussi savoir si j'avais toujours été
attirée par les filles et pourquoi je ne
lui avais pas dit plus tôt. Ca je n'en sais
rien. Après la colère, puis après
avoir essayé de comprendre un peu mieux,
la tristesse s'est installée. Non, pas
vraiment la tristesse, plutôt la déception,
le dégoût de la vie et des choses.
Il disait qu'avec nous les filles ça ne
pouvait jamais se passer normalement, qu'il fallait
toujours qu'il y ait un problème, qu'il
fallait toujours qu'on complique tout. Et que
ça faisait chier. Il m'a même reparlé
de cette fille, là : "C'est comme
l'autre conne qui me disait qu'elle m'aimait pas
de la même façon que je l'aimais".
J'étais un peu vexée qu'il ne l'ait
pas encore oubliée, celle-là
Après deux heures de discussion je me suis
levée pour sortir, il m'a demandé
: "Qu'est ce que tu fais ?
_ Ben je m'en vais
_ Mais pourquoi ? Tu vas où ? " Eh
oui
je m'en allais. Il a voulu que je reste
encore un peu, au moins la nuit, au moins pour
manger, au moins pour un petit quart d'heure
mais je n'ai pas voulu. Sinon j'aurais fini par
craquer et rester pour de bon. Alors je suis sortie,
et en le quittant il m'a dit : "Si tu changes
d'avis tu reviens quand tu veux, moi j'aime personne
d'autre que toi". Ca m'a toute remuée,
ces paroles. En descendant l'escalier j'étais
toute tremblante, et j'ai commencé à
avoir des doutes. Je me demandais si j'avais fait
le bon choix, d'ailleurs je me le demande toujours.
Ma sur me disait autrefois que le choix,
on se rendait compte s'il était bon ou
pas par la suite. Si dans un mois je me sens bien,
c'est que j'ai fait le bon choix. Si dans un mois
je m'en veux et que David me manque, c'est que
je me suis trompée. Un jour après,
je n'en sais rien.
Le plus dur dans tout ça, c'est que rien
n'est fini. Je n'ai pas vraiment l'impression
d'avoir tourné une page, vu que Julie est
toujours là dans mes pensées. J'ai
l'impression que quitter David, ce n'était
qu'une étape. Une étape bien plus
facile que toutes celles qui allaient suivre,
mais j'espère que je me trompe.
En attendant, l'air frais du dehors m'a fait du
bien. Je suis allée me promener dans les
rues avec mon chien, ça aussi il y avait
longtemps que je n'avais pas vu Paris la nuit
sans David. Je me suis retrouvée du côté
de Saint Michel, cet endroit est toujours animé
quelle que soit l'heure. Je suis entrée
dans un petit bistrot du quartier latin, dans
lequel j'étais déjà venue
avec mon cousin, puis avec David, et maintenant
toute seule. Finalement, je suis le seul point
commun à toutes ces histoires. Ah non,
il y a aussi mon chien. Adonis ne comprend rien,
il ne sait sans doute pas que David et moi c'est
fini.
Puis je suis rentrée ici au grand étonnement
de mon cousin. Je me suis couchée, et c'est
là que j'ai senti la place toute froide
à côté de moi. Je ne voulais
pas dormir, alors je me suis mise le casque sur
les oreilles pour écouter Mano Solo chanter
les Gitans. Cette chanson, ça fait des
mois qu'il ne se passe pas une journée
sans que je l'écoute. Elle est parfaite
du début à la fin. Un peu plus loin
sur le disque il y a la petite serveuse de Menilmontant.
Cette chanson aurait pu être écrite
pour Julie. Car Julie aussi elle est discrète
et silencieuse. Julie aussi, ses cheveux racontent
des histoires. Julie aussi, elle a une bouche
qu'on s'y jetterait dedans pour y mourir. Cette
idée me plaisait, alors je me suis imaginée
toute petite petite petite
Ne plus mesurer
qu'un ou deux millimètres, et aller me
glisser entre ses lèvres. Je me suis endormie
sur cette agréable pensée.
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