journal intime
180 _ jeudi 19 juin 2003

Bain de minuit

Ca m'a fait drôle de rendre ma dernière copie d'examens du bac hier, après cinq heures de grattage. D'un seul coup je me suis sentie plus libre. Et pourtant, je n'étais pas vraiment stressée par les épreuves, loin de là… A chaque fois j'y suis allée décontractée, sans me mettre trop la pression. Je travaillais ce qu'il fallait mais pas non plus comme une folle, je ne me couchais pas tard mais pas spécialement tôt non plus. Mais c'est en rendant ma dernière copie que j'ai pu constater tout le poids de ma concentration. Ca fait quelque chose de sortir tout ce qu'on a mis un an à apprendre… et qu'on va mettre une semaine à oublier. Je suis sortie de là légère comme un oiseau. Bon allez on se casse, c'est pas tout ça mais maintenant c'est les vacances.
Le soir, une fête était prévue pour célébrer la fin des épreuves avec d'autres de ma classe. La fête était grandiose ! Terrible ! Géniale ! Il y avait plein de bonne musique et d'alcool ! C'est ce qu'on m'a dit car moi je n'y suis pas allée. J'avais dit à Noémie de ne pas m'attendre, que je viendrais en cours de route. Mais hier soir, j'étais incapable de prendre une décision. De temps en temps je me disais qu'il était peut-être temps que je me bouge un peu, mais sans conviction. Les temps passait et je restais là à traîner. Vers dix heures Noémie m'appelle : "Mais qu'est ce que tu fous viens vite ! _ Oui, j'arrive". Je suis descendue de ma chambre, j'avais envie de m'y rendre en voiture. Maintenant que je suis de retour chez mes parents, je vais enfin pouvoir faire des kilomètres en vue de mon vrai permis. J'ai demandé à ma mère si elle voulait bien m'accompagner, mais il était tard, elle allait se coucher. Mon père m'a entendue et m'a dit qu'il voulait bien, lui. Un peu plus tard j'étais au volant de la voiture, lui à côté. J'ai peu conduit ces derniers mois, mais la dernière fois c'était sur les Champs Elysées, ce jour-là, alors à La Rochelle le soir c'était un jeu d'enfant. Je voulais faire un détour alors on a descendu l'avenue Guiton, on a traversé Laleu, on est revenu vers la ville puis on est parti pour de bon vers le Nord, vers Pampin. Oubliée la fête, je n'avais plus envie d'y aller. A moi la plage et la mer. Comme il est agréable de rouler la nuit… fenêtre ouverte les cheveux dans le vent…
On a arrêté la voiture au bord et on est parti marcher sur la plage de Pampin, qui est une plage de galets. Il faisait noir mais nous n'étions pas les seuls promeneurs, et il y avait même des jeunes qui s'amusaient, sans doute des lycéens qui fêtaient eux aussi la fin des examens. En face on voyait les lumières de l'île de Ré.
Sur l'île de Ré il y a un terrain militaire, à plusieurs reprises mon père y a fait des simulations de combat, et il m'a raconté ça hier. C'était de bonnes parties de rigolades, ces simulations de combat. Un jour qu'il était encore tout jeune, ils les ont lâchés là-dedans pour tout l'après-midi et toute la nuit, avec des armes chargées à blanc, des grenades de plâtre, des biscuits super-énergétiques mais immangeables, tout ça… Mon père et un copain à lui se sont trouvé un petit coin à l'ombre d'un buisson et loin des points rouges, et ils y ont piqué un bon petit somme, tranquille. D'un seul coup un type arrive, il devait se croire en pleine guerre du Viet-Nâm sans doute : il s'est dressé en haut d'un talus et a vidé le chargeur de sa mitrailleuse sur mon père et son copain ! Du coup ça les a complètement réveillés. Mon père, qui était sensé être mort avec une cinquantaine de balles dans le corps, a saisi une grenade et l'a envoyée vers le gars. Et celui-là, plutôt que de se coucher il s'est enfui en courant : la grenade a explosé et il s'est retrouvé arrosé de plâtre. Et c'est là qu'il s'est couché. Mon père et son copain lui ont alors balancé toutes leurs grenades, elles explosaient à moins d'un mètre de lui ! A la fin il était tout blanc, entièrement recouvert de plâtre de la tête au pied, les vêtements, les chaussures, le visage, le casque, les cheveux, tout ! Ah ! Ah ! Ah ! Le pire c'est qu'en rentrant son chef lui a fait remarquer qu'il avait dû mourir au moins vingt fois dans la journée, tandis que mon père était indemne.
Quand mon père m'a raconté ça je n'en pouvais plus de rire. C'était nerveux, la pression du bac qui retombait. J'imaginais le gars en train de se prendre pour Rambo avec sa mitrailleuse, et cette vision me pliait en quatre j'aurais pu tenir dans ma poche ! J'en avais les larmes aux yeux, des fous rires comme ça sont bien rares. Mon père n'en revenait pas et me disait "ben remets-toi !" J'en avais les larmes aux yeux, bon sang…
J'ai jeté un bâton à mon chien, il a atterri tout près de l'eau. Le temps qu'Adonis s'approche pour le saisir, une vague l'avait recouvert. Mais Adonis a sauté dedans et me l'a rapporté tout content. Alors je l'ai regardé dans les yeux et je lui ai expliqué qu'il avait fait un mauvais calcul. Qu'après être montée, la vague, elle redescend, et qu'il suffit donc de patienter quelques secondes. Lui il ne comprenait rien, il attendait que je lui relance. Alors je lui ai fait une démonstration. J'ai lancé le bâton, je me suis approchée de la vague, j'ai attendu qu'elle descende et j'ai récupéré le bâton. Ce jeu m'amusait beaucoup alors j'ai recommencé une fois, puis deux, puis trois… Finalement j'ai décidé de compliquer un peu. J'ai enlevé mes tennis et mes chaussettes et j'ai remonté mon jean jusqu'aux genoux, et du coup je laissais l'eau me grimper aux chevilles, je pouvais aller plus loin. Et puis à force j'ai poussé un peu trop le bouchon et une vague plus grosse qu'une autre m'a rebondi sur les mollets et je me suis faite arroser jusqu'à la taille. Mon jean était trempé. Mais j'adorais ça, et pis mince, je venais de finir mon bac, c'est les vacances. Alors mouillée pour mouillée j'y suis restée, dans l'eau, jusqu'à la taille.
En rentrant dans la voiture je me suis assise sur la couverture d'Adonis. C'était vraiment chouette, hier soir. Je ne regrette pas de ne pas être allée à la fête.

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