journal intime
119 _ mercredi 12 mars 2003

Conduite dans Paris

Conduire dans Paris n'est pas une chose facile, surtout quand on n'a pas le permis. C'est pourtant ce que j'ai fait hier.
On avait convenu avec mon père que je le rejoindrais à son travail en milieu de matinée. Je me suis donc rendue au ministère de la Marine vers dix heures. J'avais préparé deux sandwichs, un pour mon père et un pour moi, en vue d'un petit pique-nique dans le jardin des Tuileries. J'ai fait le trajet à pied avec mon chien, rien de tel qu'une bonne petite promenade matinale pour être en jambes toute la journée. Et puis de Saint Lazare à la Concorde, le chemin n'est pas si long que ça.
J'arrive au ministère. Mon père m'avait dit de passer par le côté, que je trouverais là une porte à laquelle il me suffirait de me présenter. J'ai bien vu une porte, mais le bâtiment étant assez grand, je n'étais pas très sûre de moi. Mais la porte était ouverte, alors autant tenter le coup. Je me suis postée devant, à l'intérieur il y avait deux jeunes gars qui parlaient et qui m'ont regardée un peu étonnés, l'air de dire " c'est pour quelle raison ? " Je leur ai dit qui j'étais et ils ont eu l'air contents. Les gens sont comme ça, heureux quand on leur révèle un mystère, même tout petit, et en l'occurrence le mystère c'était " mais qui peut bien être cette jeune fille avec un chien ? "
Je suis entrée à l'intérieur. A ce moment-là, je ne savais pas encore que je me trouvais dans la fameuse guitoune dont mon père m'avait parlé des centaines de fois, où il avait passé plusieurs années dans sa jeunesse. Il devait sûrement faire le même boulot que les deux jeunes militaires aux cheveux courts qui m'avaient accueillie. D'ailleurs je ne sais toujours pas en quoi consiste ce boulot. Peu importe.
L'un des deux m'a dit de ne pas bouger, qu'il allait chercher mon père. Pendant ce temps l'autre rangeait le cendrier rapidement en me disant " ton père y veut pas qu'on fume ici " Eh eh… ça ne m'étonne pas. L'autre a rajouté " pourtant qu'est ce qu'on se fait chier ! "
Mon père est arrivé, il était content, et peut-être même un peu fier de moi. Je crois qu'il a toujours adoré présenter ses enfants à ses collègues, que ce soit ma sœur, mon frangin ou moi. Il a eu l'air hésitant, apparemment il avait quelque chose à faire et il se demandait s'il allait repousser cette chose pour rester avec moi, ou bien la faire avant. Finalement on l'a fait ensemble.
Il y avait un autre collègue qui était entré dans la guitoune en même temps que lui. Il devait avoir la cinquantaine et semblait plutôt décontracté malgré l'uniforme et les galons très élevés. Il m'a plu tout de suite en tous cas, il n'avait pas du tout l'air de se prendre au sérieux, contrairement à certains haut gradés. Mon père et lui devaient se rendre à la Défense, c'était cette chose-là que mon père avait à faire. Alors il fut convenu que je les accompagnerais, en voiture.
On est ressorti de la guitoune pour aller jusqu'au parking réservé. Arrivés devant la voiture, le collègue me regarde : " tu conduis ? " Je lui ai dit que non, que j'avais dix-sept ans, et que je n'avais que le permis de conduite accompagnée. Alors il m'a dit " eh beh on va t'accompagner ! " Oh non… Je lui ai expliqué que je n'avais pas conduit depuis des mois, et jamais à Paris. Mon père, lui, n'avait pas l'air de désapprouver son collègue, et même ça le faisait sourire. Il fallait vraiment qu'il ait confiance en moi ! Mais quand même j'hésitais, les gens conduisent comme des fous à Paris. Et puis le collègue, d'un seul coup, s'est mis à boiter de la jambe en droite en me disant " aïe j'ai une entorse, vaut mieux que tu conduises ". Bon… je suis montée à l'avant. Mon père était à ma droite et l'autre gars derrière.
En s'asseyant sur la banquette il a soupiré " pis si tu l'esquintes, t'inquiète pas, ce sera pas la première fois ". C'est vrai que c'était loin d'être une belle voiture. Je n'y connais rien, je serais bien incapable de vous dire la marque, mais c'était un petit machin. Rien à voir avec les autres véhicules du parking.
Je démarre. Je passe la première. J'avance, doucement, et je sors du parking. Nous voilà dans la rue, et après quelques mètres j'arrivais déjà au premier feu. Rétroviseur, clignotant à gauche, un coup d'œil dans l'angle mort et je tourne. Au bout de la rue, me voilà place de la Concorde. Là, ça se compliquait un peu, j'étais légèrement stressée, mais ça allait. Après quelques hésitations je m'engage, le plus dur était fait. Je me trouvais ainsi sur les Champs Elysées. Mon père regardait partout en même temps que moi, par contre le propriétaire de la voiture avait l'air tout heureux et me répétait " eh beh tu vois, pour ta première conduite à Paris tu remontes les Champs Elysées ! " Mouais… Mon père m'a prévenu " fais attention au rond point ". Le rond point, c'était l'Etoile ! J'étais déjà passée par là mais en tant que piétonne, je n'avais pas fait attention au bordel innommable qui tourne autour. Sur plusieurs files, avec priorité à ceux qui entrent… Le pire c'était les mobylettes, qui me passaient sous le nez devant ou à gauche. Sans parler des voitures qui étaient à l'intérieur et qui sortaient en coupant devant tout le monde. Un truc de fous ! Je me demande encore comment je m'en suis sortie… Le reste du trajet fut de la rigolade, à côté du rond point de l'Etoile.
Je me suis beaucoup ennuyée à la Défense. Mon père et son collègue sont restés au moins une heure là-dedans, et moi je patientais devant. En plus là-bas c'est moche, et je ne pouvais pas trop m'éloigner…
Un peu plus tard, j'étais assise sur un banc du jardin des Tuileries, en compagnie de mon père. Les sandwichs que j'avais préparés étaient impeccables. Mon père m'a demandé si je m'entendais bien avec David, ce qu'il avait déjà fait la veille d'ailleurs. Et ma réponse fut la même… Oui, très bien.
Puis il a déplié l'Equipe pour lire un peu. Depuis que je le connais, c'est à dire depuis toujours, mon père lit le magazine l'Equipe. Il faut dire qu'il est très sportif, et pour ça je ne tiens pas vraiment de lui. Moi je suis partie avec mon chien du côté du Louvres, que je préfère la nuit. Pas terrible, le jour, la pyramide… Elle me paraît bien fragile, à côté des bâtiments éternels qui l'entourent. On m'avait dit que la pyramide du Louvres, l'arc du Carroussel, le jardin des Tuileries, l'obélisque de la Concorde, les Champs Elysées, l'arc de Triomphe, et enfin l'arche de la Défense, étaient parfaitement alignés. De là où j'étais j'ai pu vérifier : c'est exact.

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