J'ai accueilli
mon père à la gare Montparnasse
hier soir. Un petit événement dans
ma vie, mais un grand événement
dans ma journée. Et comme pour tout grand
événement, je me suis longuement
préparée.
C'est marrant, mais j'étais toute fière
de l'accueillir. Toute fière de lui dire,
quelque part, " voici ma nouvelle ville,
voici ma nouvelle vie, je connais les gares, je
sais prendre le métro, et je commence à
bien connaître toutes ces rues que j'ai
déjà marquées de mon emprunte
". Bah
mon père connaît
très bien Paris, il y a vécu plusieurs
années dans sa jeunesse, et il y remonte
encore assez souvent. Alors s'il y a des plans
et des combines à connaître ici,
c'est plus mon père qui me les apprendra
que l'inverse.
Comme je l'ai dit, je me suis longuement préparée
à cet événement. Je n'ai
rien fait de plus que d'habitude, mais je l'ai
fait différemment. En général
je fais les lacets de mes chaussures accroupie,
en pensant à autre chose. Hier je les ai
noués assise sur une chaise, en pensant
à mon père, et au trajet que j'allais
emprunter pour rejoindre la gare Montparnasse.
C'est donc un peu pour lui que je nouais les pauv'
lacets de mes pauv' tennis.
De Saint Lazare à Montparnasse il n'y a
qu'un pas, le métro y va directement. Cette
fois-ci j'étais sans mon chien. Autant
je comprends que fumer soit interdit dans les
couloirs, autant j'ai du mal à accepter
que les chiens soient refusés. Je serais
pourtant prête à lui passer une muselière
s'il le fallait. Mais non, muselière ou
pas, y faut pas, c'est pas bien !
Les gens en étaient encore à débaucher,
je n'ai donc pas eu de place assise. J'étais
debout au milieu, la main accrochée à
cette barre toute graisseuse. A mon avis, il vaut
mieux éviter de sucer son pouce quand on
s'est tenu à cette barre pendant tout un
voyage. Un paquet de mains doit passer dessus,
et pas des plus propres. Je repensais à
une petite anecdote que m'avait racontée
mon père. A l'époque il était
matelot, il travaillait dans une guitoune au ministère
de la marine. Autrement dit il attendait que le
temps passe devant la porte. Parfois il prenait
le métro avec ses copains. Un jour, dans
un métro, ils ont dévissé
cette fameuse barre sur laquelle les gens s'appuient
pour ne pas être emportés par les
mouvements du métro, surtout lors des freinages.
Ils l'ont dévissée puis l'ont remise
en place. Evidemment elle ne tenait pas toute
seule, alors ils faisaient semblant de s'y accrocher
à deux ou trois. Quelqu'un arrivait, et
naturellement il s'accrochait à la barre.
Les gens autour souriaient doucement en sachant
ce qui allait lui arriver. Quand le métro
freinait, les matelots lâchaient tout, et
le type partait à la renverse avec la barre
dans la main ! Mais bon, ils le retenaient pour
pas qu'il se blesse, ce n'était pas méchant
Je suis arrivée à Montparnasse avec
un petit quart d'heure d'avance, alors je me suis
assise par terre dans le hall, près d'un
marchand de journaux. J'ai fumé une cigarette
histoire de passer un peu le temps, et le train
de mon père est arrivé.
C'était un TGV, alors il faut pas mal de
temps aux passagers pour faire le trajet de leur
wagon jusqu'à la tête du train. Moi
j'attendais postée là, et je me
demandais comment serait habillé mon père,
en uniforme ou en civil. Tout dépendait
s'il avait pris le train aussitôt en quittant
la base à Rochefort, ou bien s'il était
passé par la maison entre temps. J'espérais
qu'il serait en civil, car l'uniforme attire les
regards. Il est arrivé, en civil.
Il m'a serrée dans ses bras, il avait l'air
très content de me revoir, et c'était
bien réciproque.
On a fait le chemin à pied jusqu'à
l'hôtel Odessa qui, comme son nom l'indique,
se situe rue d'Odessa. Une chambre lui était
réservée là-bas. En chemin
il me demandait comment j'allais, comment allait
Adonis, mes cours, mon cousin, et si j'étais
toujours avec David. Moi je répondais oui
à tout ça, parce que tout va bien
en ce moment dans ma vie.
A l'hôtel, le type de la réception
n'avait pas l'air bien réveillé.
Il baillait vaguement en regardant une télé
accrochée en face de lui. Il n'y a que
pour s'occuper du mode de paiement que là,
comme par miracle, il faisait son travail avec
beaucoup d'attention.
La chambre de mon père était au
dernier étage, on est monté là-haut
en ascenseur. Je n'aime pas trop les ascenseurs,
j'ai un peu peur dedans
Peur qu'il se décroche,
pour une raison ou pour une autre. Si j'avais
été seule j'aurais pris l'escalier,
mais je n'allais quand même pas imposer
ça à mon père. Il a voulu
prendre une douche, ce qui peut se comprendre.
Alors j'ai patienté au balcon avec une
petite cigarette, je regardais les gens en bas
et les bâtiments à côté.
Mais rien d'extraordinaire dans cette vue, alors
je suis revenue dans la chambre et me suis allongée
sur le lit histoire de sommeiller un peu devant
la télé. Dans tous les grands événements
il y a une pause, et ce moment où j'ai
bullé devant la télé était
justement cette pause.
Par la suite, comme avec mon père il n'est
absolument pas question de retrouver quelqu'un
sans boire un bon petit coup dans un café
quelconque, on est retourné vers la gare,
dans une brasserie. Je n'aime pas trop ce genre
d'endroits que l'on trouve à Paris, au
bord des lieux hyper fréquentés.
Les gens sont tous de passage et les patrons le
savent bien. Alors pour le sens du commerce, on
repassera. Les patrons savent qu'on ne reviendra
plus chez eux, alors ils font payer le prix fort
et ne sont pas vraiment aimables. L'intérieur
de la brasserie était complètement
surfait, d'ailleurs ce n'était même
pas une vraie brasserie. Mon père a commandé
un demi et moi un café. On a encore parlé
un peu sous les néons et sur les banquettes
multicolores. Mon père m'a expliqué
un peu ce qu'il venait faire ici à Paris,
et combien de temps il allait rester, etc
Il nous invitera tous au restaurant jeudi soir.
Et il y aura aussi Serge, un copain à lui
que je n'ai pas vu depuis belle lurette, et sa
fille. Du moins j'espère qu'elle viendra,
elle aussi ça fait longtemps.
Ce matin, je suis allée rendre visite à
mon père. Mais ce sera pour mon texte de
demain.
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