journal intime
118 _ mardi 11 mars 2003

Rue d'Odessa

J'ai accueilli mon père à la gare Montparnasse hier soir. Un petit événement dans ma vie, mais un grand événement dans ma journée. Et comme pour tout grand événement, je me suis longuement préparée.
C'est marrant, mais j'étais toute fière de l'accueillir. Toute fière de lui dire, quelque part, " voici ma nouvelle ville, voici ma nouvelle vie, je connais les gares, je sais prendre le métro, et je commence à bien connaître toutes ces rues que j'ai déjà marquées de mon emprunte ". Bah… mon père connaît très bien Paris, il y a vécu plusieurs années dans sa jeunesse, et il y remonte encore assez souvent. Alors s'il y a des plans et des combines à connaître ici, c'est plus mon père qui me les apprendra que l'inverse.
Comme je l'ai dit, je me suis longuement préparée à cet événement. Je n'ai rien fait de plus que d'habitude, mais je l'ai fait différemment. En général je fais les lacets de mes chaussures accroupie, en pensant à autre chose. Hier je les ai noués assise sur une chaise, en pensant à mon père, et au trajet que j'allais emprunter pour rejoindre la gare Montparnasse. C'est donc un peu pour lui que je nouais les pauv' lacets de mes pauv' tennis.
De Saint Lazare à Montparnasse il n'y a qu'un pas, le métro y va directement. Cette fois-ci j'étais sans mon chien. Autant je comprends que fumer soit interdit dans les couloirs, autant j'ai du mal à accepter que les chiens soient refusés. Je serais pourtant prête à lui passer une muselière s'il le fallait. Mais non, muselière ou pas, y faut pas, c'est pas bien !
Les gens en étaient encore à débaucher, je n'ai donc pas eu de place assise. J'étais debout au milieu, la main accrochée à cette barre toute graisseuse. A mon avis, il vaut mieux éviter de sucer son pouce quand on s'est tenu à cette barre pendant tout un voyage. Un paquet de mains doit passer dessus, et pas des plus propres. Je repensais à une petite anecdote que m'avait racontée mon père. A l'époque il était matelot, il travaillait dans une guitoune au ministère de la marine. Autrement dit il attendait que le temps passe devant la porte. Parfois il prenait le métro avec ses copains. Un jour, dans un métro, ils ont dévissé cette fameuse barre sur laquelle les gens s'appuient pour ne pas être emportés par les mouvements du métro, surtout lors des freinages. Ils l'ont dévissée puis l'ont remise en place. Evidemment elle ne tenait pas toute seule, alors ils faisaient semblant de s'y accrocher à deux ou trois. Quelqu'un arrivait, et naturellement il s'accrochait à la barre. Les gens autour souriaient doucement en sachant ce qui allait lui arriver. Quand le métro freinait, les matelots lâchaient tout, et le type partait à la renverse avec la barre dans la main ! Mais bon, ils le retenaient pour pas qu'il se blesse, ce n'était pas méchant…
Je suis arrivée à Montparnasse avec un petit quart d'heure d'avance, alors je me suis assise par terre dans le hall, près d'un marchand de journaux. J'ai fumé une cigarette histoire de passer un peu le temps, et le train de mon père est arrivé.
C'était un TGV, alors il faut pas mal de temps aux passagers pour faire le trajet de leur wagon jusqu'à la tête du train. Moi j'attendais postée là, et je me demandais comment serait habillé mon père, en uniforme ou en civil. Tout dépendait s'il avait pris le train aussitôt en quittant la base à Rochefort, ou bien s'il était passé par la maison entre temps. J'espérais qu'il serait en civil, car l'uniforme attire les regards. Il est arrivé, en civil.
Il m'a serrée dans ses bras, il avait l'air très content de me revoir, et c'était bien réciproque.
On a fait le chemin à pied jusqu'à l'hôtel Odessa qui, comme son nom l'indique, se situe rue d'Odessa. Une chambre lui était réservée là-bas. En chemin il me demandait comment j'allais, comment allait Adonis, mes cours, mon cousin, et si j'étais toujours avec David. Moi je répondais oui à tout ça, parce que tout va bien en ce moment dans ma vie.
A l'hôtel, le type de la réception n'avait pas l'air bien réveillé. Il baillait vaguement en regardant une télé accrochée en face de lui. Il n'y a que pour s'occuper du mode de paiement que là, comme par miracle, il faisait son travail avec beaucoup d'attention.
La chambre de mon père était au dernier étage, on est monté là-haut en ascenseur. Je n'aime pas trop les ascenseurs, j'ai un peu peur dedans… Peur qu'il se décroche, pour une raison ou pour une autre. Si j'avais été seule j'aurais pris l'escalier, mais je n'allais quand même pas imposer ça à mon père. Il a voulu prendre une douche, ce qui peut se comprendre. Alors j'ai patienté au balcon avec une petite cigarette, je regardais les gens en bas et les bâtiments à côté. Mais rien d'extraordinaire dans cette vue, alors je suis revenue dans la chambre et me suis allongée sur le lit histoire de sommeiller un peu devant la télé. Dans tous les grands événements il y a une pause, et ce moment où j'ai bullé devant la télé était justement cette pause.
Par la suite, comme avec mon père il n'est absolument pas question de retrouver quelqu'un sans boire un bon petit coup dans un café quelconque, on est retourné vers la gare, dans une brasserie. Je n'aime pas trop ce genre d'endroits que l'on trouve à Paris, au bord des lieux hyper fréquentés. Les gens sont tous de passage et les patrons le savent bien. Alors pour le sens du commerce, on repassera. Les patrons savent qu'on ne reviendra plus chez eux, alors ils font payer le prix fort et ne sont pas vraiment aimables. L'intérieur de la brasserie était complètement surfait, d'ailleurs ce n'était même pas une vraie brasserie. Mon père a commandé un demi et moi un café. On a encore parlé un peu sous les néons et sur les banquettes multicolores. Mon père m'a expliqué un peu ce qu'il venait faire ici à Paris, et combien de temps il allait rester, etc… Il nous invitera tous au restaurant jeudi soir. Et il y aura aussi Serge, un copain à lui que je n'ai pas vu depuis belle lurette, et sa fille. Du moins j'espère qu'elle viendra, elle aussi ça fait longtemps.
Ce matin, je suis allée rendre visite à mon père. Mais ce sera pour mon texte de demain.

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