journal intime
117 _ lundi 10 mars 2003

Au bois de Vincennes

Il a fait beau sur Paris, hier. Avec David on était là à traîner dans le canapé, alors on s'est dit qu'on serait mieux à traîner dehors. Nous avons opté pour le bois de Vincennes, que je ne connaissais pas encore.
Il faisait beau, et même presque chaud. Pas question de prendre le métro, le bus était bien plus approprié au climat.
On était là à traîner à l'arrêt de bus quand il est arrivé. Le conducteur a ouvert la porte, je l'ai regardé poliment et lui ai demandé si on pouvait monter. Le " on " incluait David, moi… et mon chien. Il a fait la grimace " ah non les animaux peuvent pas monter ". Bon… Un peu déçus, on a décidé d'attendre le suivant. En se disant que si la réponse était la même, eh bien on irait ailleurs, dans l'espace fumeurs d'un quelconque bistrot. Le suivant est arrivé. Le conducteur, déjà, avait une meilleure mine. Assez rond, un peu rouge, le crâne dégarni et les cheveux frisés. Je l'ai regardé poliment et lui ai posé la question. Il m'a demandé comme ça " il a un ticket le chien ? " J'étais assez étonnée, je ne savais pas que c'était nécessaire. Mais le conducteur a rigolé tout fort en disant " allez montez ! " Eh eh…
Le long des rues de Paris, il y a de beaux paysages. Par exemple la mairie du XIX° arrondissement. C'est un bâtiment plus ou moins vieux, mais on sent qu'il a été rénové. Et je le trouve assez charmant. Alors je l'ai pris en photo du regard. Je faisais souvent ça étant petite, ces petits instantanés dans mon esprit. Je me souviens d'un soir où ma mère avait garé la voiture devant la pharmacie, dans le noir. Moi j'étais assise à l'envers sur la banquette, et je fixais des yeux la vitrine illuminée de la pharmacie, à travers la buée posée sur la vitre de la voiture. Et je me souviens des moindres petits détails qui composaient cette vitrine. Avec le temps, j'ai perdu un peu de cette faculté. Les photos que je prends sont devenues moins précises, comme si de la poussière s'était déposée peu à peu entre mes yeux et le reste du monde.
En descendant du bus, j'ai demandé au conducteur jusqu'à quelle heure il roulait, afin de faire le retour avec lui.
Nous voilà au bois de Vincennes. Pour la première fois depuis que je vis à Paris, je mettais les pieds au-delà du périphérique. Le bois est très grand et très beau. Et très calme, malgré qu'on fût dimanche et que tous les badauds étaient de sortie. A peine arrivés là-bas, mon chien partait au triple galop vers un point non défini. En fait, c'est qu'il avait aperçu le lac avant nous, au loin. En une trentaine de secondes il était arrivé au bord de l'eau, et s'élançait de tout son corps dans la flotte. Il était heureux, et j'étais heureuse pour lui. On était allé le rejoindre.
De là on est parti dans les petits chemins à travers bois. On s'est trouvé un banc histoire de traîner un peu dessus, et de se bécoter comme dans la chanson de Brassens. L'histoire se reproduit infiniment. On a vu un peu de tout. Par exemple un sportif, qui courait très vite et qui était très essoufflé. Son t-shirt était trempé de sueur, je n'aurais pas aimé qu'il s'approche de moi. J'ai l'odorat sensible.
On a aussi aperçu la famille Tuyau d'poil au grand complet. Il y avait là les grands-parents, les parents et les enfants. Et ils étaient avec leur radio… C'est incroyable ça, l'un des seuls coins de nature qu'on peut trouver à Paris, il faut qu'ils y viennent avec leur poste. Heureusement le bois est très grand, et on n'a pas été obligé de supporter ça trop longtemps.
Je me suis aperçue tout à coup que je n'avais pas vu mon chien depuis un petit moment. Je l'ai appelé " Adonis ! " Rien… Une deuxième fois… toujours rien. Je me suis levée pour le chercher du regard, et David a sifflé. Parce que moi je ne sais pas siffler. Après quelques secondes, je l'ai vu arriver à toute vitesse depuis un coin d'arbres. C'est bizarre… j'ai eu très peur pendant quelques secondes, comme si je l'avais perdu à jamais. En me rasseyant, j'avais le souffle coupé. Et David a rigolé un peu. Mais il a bien vu que moi j'étais loin de rigoler. Et je crois qu'il a été très étonné de ma réaction.
Je ne pouvais pas rester assise après ce petit incident, alors on a repris notre promenade. On a trouvé un autre plan d'eau, avec des canards dessus. Un peu les mêmes que dans le parc de La Rochelle. Les mêmes couleurs, la même absence d'expression dans leur regard. Avec leurs formes toutes rondes, on a du mal à se dire qu'ils puissent être méchants. Et pourtant j'ai vu des scènes très violentes à La Rochelle, à la saison des amours…
Si j'avais eu du pain je leur en aurais donné, mais je n'avais que du tabac. Ils n'auraient pas aimé.
Après trois bonnes heures de balade on est rentré, par le même bus. On s'est assis sur une banquette à l'avant, et j'aurais aimé que le voyage dure deux fois plus longtemps. C'est fou comme j'étais bien sur cette banquette, le bras de David sur mes épaules. J'ai fermé les yeux, et je n'étais pas loin de m'endormir… Je les ai simplement ouverts au moment de passer devant la mairie du XIX°. Ma photo avait déjà vieilli : les couleurs n'étaient déjà plus les mêmes. L'après-midi touchait à sa fin.
Mon père arrive ce soir à Paris. Eh oui, comme je l'ai dit il y a deux ou trois semaines, il est très souvent en déplacement ces temps-ci. Et comme dans notre cher vieux pays tout se passe à la capitale, il fallait bien qu'il vienne ici. Heureusement, il s'est fait louer une chambre d'hôtel. Je dis " heureusement " car je n'aurais pas aimé qu'il passe la nuit ici. Ca m'aurait obligé à rester. Mais j'irai quand même l'accueillir tout à l'heure à la gare.

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