Il a fait beau
sur Paris, hier. Avec David on était là
à traîner dans le canapé,
alors on s'est dit qu'on serait mieux à
traîner dehors. Nous avons opté pour
le bois de Vincennes, que je ne connaissais pas
encore.
Il faisait beau, et même presque chaud.
Pas question de prendre le métro, le bus
était bien plus approprié au climat.
On était là à traîner
à l'arrêt de bus quand il est arrivé.
Le conducteur a ouvert la porte, je l'ai regardé
poliment et lui ai demandé si on pouvait
monter. Le " on " incluait David, moi
et mon chien. Il a fait la grimace " ah non
les animaux peuvent pas monter ". Bon
Un peu déçus, on a décidé
d'attendre le suivant. En se disant que si la
réponse était la même, eh
bien on irait ailleurs, dans l'espace fumeurs
d'un quelconque bistrot. Le suivant est arrivé.
Le conducteur, déjà, avait une meilleure
mine. Assez rond, un peu rouge, le crâne
dégarni et les cheveux frisés. Je
l'ai regardé poliment et lui ai posé
la question. Il m'a demandé comme ça
" il a un ticket le chien ? " J'étais
assez étonnée, je ne savais pas
que c'était nécessaire. Mais le
conducteur a rigolé tout fort en disant
" allez montez ! " Eh eh
Le long des rues de Paris, il y a de beaux paysages.
Par exemple la mairie du XIX° arrondissement.
C'est un bâtiment plus ou moins vieux, mais
on sent qu'il a été rénové.
Et je le trouve assez charmant. Alors je l'ai
pris en photo du regard. Je faisais souvent ça
étant petite, ces petits instantanés
dans mon esprit. Je me souviens d'un soir où
ma mère avait garé la voiture devant
la pharmacie, dans le noir. Moi j'étais
assise à l'envers sur la banquette, et
je fixais des yeux la vitrine illuminée
de la pharmacie, à travers la buée
posée sur la vitre de la voiture. Et je
me souviens des moindres petits détails
qui composaient cette vitrine. Avec le temps,
j'ai perdu un peu de cette faculté. Les
photos que je prends sont devenues moins précises,
comme si de la poussière s'était
déposée peu à peu entre mes
yeux et le reste du monde.
En descendant du bus, j'ai demandé au conducteur
jusqu'à quelle heure il roulait, afin de
faire le retour avec lui.
Nous voilà au bois de Vincennes. Pour la
première fois depuis que je vis à
Paris, je mettais les pieds au-delà du
périphérique. Le bois est très
grand et très beau. Et très calme,
malgré qu'on fût dimanche et que
tous les badauds étaient de sortie. A peine
arrivés là-bas, mon chien partait
au triple galop vers un point non défini.
En fait, c'est qu'il avait aperçu le lac
avant nous, au loin. En une trentaine de secondes
il était arrivé au bord de l'eau,
et s'élançait de tout son corps
dans la flotte. Il était heureux, et j'étais
heureuse pour lui. On était allé
le rejoindre.
De là on est parti dans les petits chemins
à travers bois. On s'est trouvé
un banc histoire de traîner un peu dessus,
et de se bécoter comme dans la chanson
de Brassens. L'histoire se reproduit infiniment.
On a vu un peu de tout. Par exemple un sportif,
qui courait très vite et qui était
très essoufflé. Son t-shirt était
trempé de sueur, je n'aurais pas aimé
qu'il s'approche de moi. J'ai l'odorat sensible.
On a aussi aperçu la famille Tuyau d'poil
au grand complet. Il y avait là les grands-parents,
les parents et les enfants. Et ils étaient
avec leur radio
C'est incroyable ça,
l'un des seuls coins de nature qu'on peut trouver
à Paris, il faut qu'ils y viennent avec
leur poste. Heureusement le bois est très
grand, et on n'a pas été obligé
de supporter ça trop longtemps.
Je me suis aperçue tout à coup que
je n'avais pas vu mon chien depuis un petit moment.
Je l'ai appelé " Adonis ! " Rien
Une deuxième fois
toujours rien.
Je me suis levée pour le chercher du regard,
et David a sifflé. Parce que moi je ne
sais pas siffler. Après quelques secondes,
je l'ai vu arriver à toute vitesse depuis
un coin d'arbres. C'est bizarre
j'ai eu
très peur pendant quelques secondes, comme
si je l'avais perdu à jamais. En me rasseyant,
j'avais le souffle coupé. Et David a rigolé
un peu. Mais il a bien vu que moi j'étais
loin de rigoler. Et je crois qu'il a été
très étonné de ma réaction.
Je ne pouvais pas rester assise après ce
petit incident, alors on a repris notre promenade.
On a trouvé un autre plan d'eau, avec des
canards dessus. Un peu les mêmes que dans
le parc de La Rochelle. Les mêmes couleurs,
la même absence d'expression dans leur regard.
Avec leurs formes toutes rondes, on a du mal à
se dire qu'ils puissent être méchants.
Et pourtant j'ai vu des scènes très
violentes à La Rochelle, à la saison
des amours
Si j'avais eu du pain je leur en aurais donné,
mais je n'avais que du tabac. Ils n'auraient pas
aimé.
Après trois bonnes heures de balade on
est rentré, par le même bus. On s'est
assis sur une banquette à l'avant, et j'aurais
aimé que le voyage dure deux fois plus
longtemps. C'est fou comme j'étais bien
sur cette banquette, le bras de David sur mes
épaules. J'ai fermé les yeux, et
je n'étais pas loin de m'endormir
Je les ai simplement ouverts au moment de passer
devant la mairie du XIX°. Ma photo avait déjà
vieilli : les couleurs n'étaient déjà
plus les mêmes. L'après-midi touchait
à sa fin.
Mon père arrive ce soir à Paris.
Eh oui, comme je l'ai dit il y a deux ou trois
semaines, il est très souvent en déplacement
ces temps-ci. Et comme dans notre cher vieux pays
tout se passe à la capitale, il fallait
bien qu'il vienne ici. Heureusement, il s'est
fait louer une chambre d'hôtel. Je dis "
heureusement " car je n'aurais pas aimé
qu'il passe la nuit ici. Ca m'aurait obligé
à rester. Mais j'irai quand même
l'accueillir tout à l'heure à la
gare.
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