Les journées
se suivent et se ressemblent. Et tant mieux si
elles se ressemblent, car elles sont plutôt
agréables. Je passe toutes mes nuits chez
David. Le matin le réveil sonne sur le
coup des six heures et demi. On traîne un
peu au lit puis on prend notre petit déjeuner.
Le plus souvent on quitte les lieux en même
temps, sauf quand on un peu trop traîné
au lit et que David est en retard. On sort dans
la rue, lui avec ses cours, et moi avec mon chien.
On fait ensemble le trajet jusqu'au métro,
où je le laisse partir seul. Et moi je
viens ici, à l'appartement. Parfois je
croise mon cousin en chemin, on se fait la bise
mais on ne s'attarde pas trop car il est souvent
en retard. J'arrive ici, je travaille toute la
matinée, de temps en temps je m'arrête
quelques minutes histoire de fumer une cigarette
sur le Net. Rien d'extraordinaire, en somme. L'après-midi,
je m'occupe comme je peux.
Je vais arrêter de parler de mon enfance,
je ne fais que ça depuis plusieurs jours.
Mais c'est fou le mal que j'ai à faire
une croix sur tout ça. Enfin bref, j'étais
heureuse, n'en parlons plus, et la vie continue.
J'échange beaucoup de courrier avec Julie
et au fil des jours, j'en apprends un peu plus
sur sa nouvelle vie. Ecrire et parler sont deux
choses différentes. Certaines personnes
disent plus de choses quand elles écrivent
que quand elles parlent, et c'est le cas de Julie.
Et le mien aussi certainement. Je corresponds
aussi avec Noémie, qui n'a vraiment pas
le moral en ce moment. C'est bizarre ces conversations
par lettres, je parle de Noémie à
Julie, et de Julie à Noémie. En
plus, Noémie m'a demandé l'adresse
de Julie alors si ça se trouve, elles vont
parler de moi ! Si ça continue, et si je
trouve encore un ou deux correspondants, de préférence
masculins, je vais bientôt pouvoir écrire
un remake des Liaisons Dangereuses
Les lettres de Julie me font un bien immense.
Rien que de voir son écriture sur l'enveloppe,
ça me repose. Son écriture est aussi
douce qu'elle. Ca me fait rire, elle utilise de
l'encre bleu turquoise, eh eh
C'est tout
elle. A la lire, je sens qu'elle existe très
fort. Si elle me décrit sa maison, je me
retrouve chez elle. Si elle me parle de quelqu'un,
je vois la personne en face de moi. Et si la lettre
est longue, je finis par ne plus lire mais par
entendre les mots les uns à la suite des
autres, prononcés par sa propre voix. Je
devrais lui conseiller de faire comme moi et de
raconter sa vie sur le Net ;)
Je repense à nos moments passés
ensemble. Ca me paraît si loin déjà
Comme un passé qui s'éloigne à
grands pas. C'était pourtant il y a quelques
mois à peine. Mais tant de choses ont changé
pendant ces quelques mois ! Comme dit Brel, c'était
au temps où La Rochelle chantait, c'était
au temps du cinéma muet. Non, pas si vieux
que ça quand même.
Je me rappelle d'un mercredi après-midi,
alors qu'on était à marcher sous
les arcades. Il faut savoir qu'à La Rochelle,
qui est une vieille ville, de nombreux trottoirs
sont abrités par des arcades en pierre.
C'est très pratique quand il pleut, on
peut marcher longuement sans se mouiller.
Et justement ce jour-là, il pleuvait. Comme
on marchait depuis un bon moment déjà,
on s'est assises sur le pas d'une porte, histoire
de regarder un peu la pluie tomber. Il faisait
sombre et gris, c'était le début
de la soirée, ce moment qui ne dure qu'une
vingtaine de minutes, et où la nuit se
pose doucement. On ne se disait rien, quand on
a beaucoup marché et parlé, les
jambes et la langue se reposent en même
temps. Pas très loin de nous, à
droite, il y avait un restaurant de fruits de
mer qui se ravitaillait. Le camion était
vaguement rangé sur le côté,
et un jeune homme faisait des allers et retours
entre le restaurant et le camion, transportant
de grosses caisses de poissons ou de je ne sais
quoi. Il était droit, assez sec, avec un
tablier jaune genre ciré, le propre de
ceux qui manipulent des poissons. Il ne faisait
pas chaud, et pourtant ses manches étaient
retroussées très hauts. Je dois
dire ce qui est : il était très
beau. Ce n'est pas souvent que je dis ça,
mais là il faut bien le reconnaître.
A part le tablier jaune qui était assez
vilain, mais bon, il avait un pull par-dessus.
Julie le regardait. Pas vraiment en face, mais
du coin des yeux. Je la voyais faire et ça
m'amusait car j'avais très bien compris.
Et presque, ça me rassurait. Ben oui, elle
est si sage et si pure, ça ne peut pas
lui faire du mal de penser un peu à ces
choses-là. Je ne lui ai rien dit bien sûr,
sinon elle aurait été capable de
rougir.
Mine de rien, elle me manque. Sa présence
m'apaisait. Ca me ferait du bien de l'avoir à
côté de moi dans cette ville de fous
où tout le monde est stressé et
pressé. David est plutôt nerveux,
et plein d'énergie. En ce moment il est
au foot, mais je sais déjà que quand
je le retrouverai tout à l'heure, il sera
en pleine forme. Et tant mieux, dans un sens
Mais ce n'est pas pour me reposer, tout ça.
J'ai besoin de souffler un peu, alors ma solitude
dans la journée me fait beaucoup de bien.
Autant le soir je vois pas mal de monde car David
a beaucoup de copains, autant dans la journée
je suis absolument seule. Mais je ne m'en plains
pas, au contraire. Et j'apprécie bien plus
les soirées et les apéros, après
ça. Julie aussi était pleine d'énergie,
mais elle l'employait à autre chose. Quelque
part, j'ai l'impression que je lui en prenais
un peu, parfois. Si vous la connaissiez, vous
comprendriez mieux ce que je veux dire par-là.
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