En ce moment,
certains lecteurs m'envoient de gentils mails
pour me remonter le moral. C'est étrange
je ne suis pourtant pas malheureuse
Mais
je reconnais que mes écrits de ces derniers
jours pourraient laisser croire que je ne vais
pas bien.
La semaine dernière, j'ai appris que mon
cousin lisait mon journal. Alors pour éviter
de parler de choses trop intimes, de mon copain
David, tout ça, j'ai choisi un autre sujet.
Et c'est ainsi que j'en suis venue à parler
de mes nounours, et de là de mon enfance.
Et c'est bizarre, ça m'a un peu perturbée
et j'ai pris du plaisir à faire revenir
tous ces souvenirs plus ou moins enfouis. Evidemment,
il doit s'en dégager une certaine nostalgie.
Mais comme le dit Aznavour, la nostalgie est une
tristesse qui caresse. Et dans le fond, je ne
suis pas triste du tout.
Mais je vais arrêter de parler de tout ça.
Si je raconte mes souvenirs, j'en ai pour des
années avant d'épuiser le sujet.
Autant m'arrêter tout de suite, surtout
que ça ne résout rien. L'écriture
est un exutoire qui fait du bien, mais elle ne
répond pas aux questions. Enfin je crois.
Mais je me trompe peut-être. J'espère
que je me trompe.
Et puis de toutes façons, que ce soit avec
des mots ou avec autre chose, cette enfant qui
est en moi n'a pas disparu. Je la sens toujours,
dans certains de mes gestes, dans certains de
mes mots, dans le regard de ma mère quand
je ris
Elle n'est pas près de s'éteindre,
et elle ne mourra pas avant moi.
Pour conclure, je vais raconter deux anecdotes
qui remontent à pas mal d'années.
Deux anecdotes qui aujourd'hui encore me laissent
bien perplexe quand j'y songe.
La première se passe chez mes grands-parents,
sur l'île de Ré. Un jour, je devais
avoir dans les cinq ans, je demande à ma
grand-mère si elle veut bien aller me pousser
à la balançoire. Elle me dit oui,
mais à quatre heures. Alors je lui demande
quand est-ce qu'il sera quatre heures, elle me
montre l'horloge en me disant " c'est quand
la petite aiguille sera sur le quatre ".
A cet instant précis, il était deux
heures
J'ai pris une chaise et je me suis assise devant
l'horloge. Et pendant deux heures, j'ai regardé
la petite aiguille avancer. Deux heures à
ne rien faire, deux heures de vide complet. Ce
n'est pas aujourd'hui que ça m'arriverait.
Rien que l'idée de perdre dix minutes me
fait peur. Rien que le sentiment de n'avoir rien
fait de ma journée quand je me couche le
soir me rend le sommeil plus difficile. Alors
rester deux heures assise sur une chaise
Et pourtant, à bien y réfléchir,
je me dis que c'est peut-être le summum
du bonheur. Celui qui est capable de rester assis
deux heures sans rien faire, et sans penser à
rien, c'est quelqu'un qui n'a pas peur du temps
qui passe, pas peur de ce qu'il y aura au terme
de ces deux heures, pas peur de l'avenir et pas
peur de la mort. Peut-être qu'un jour, j'y
arriverai de nouveau.
L'autre anecdote se passe au collège, lors
de ma première année là-bas.
Comme je l'ai raconté ici, j'ai fait une
petite fugue. Mais ce que je n'ai pas raconté,
c'est le lendemain de cette fugue. J'avais l'impression
d'être le centre du monde. Mes parents avaient
prévenu tout le monde, une annonce était
passée à la radio, alors je me sentais
au centre de tous les regards. Mais c'était
désagréable, surtout que j'étais
extrêmement fatiguée de mon escapade
de la veille. Des filles que je ne connaissais
même pas me regardaient de biais, ce n'était
pas méchant mais très troublant.
Et puis l'après-midi, mon professeur d'histoire-géo,
Monsieur C, m'avait demandé pourquoi j'avais
fait ça. Je n'avais pas pu répondre.
La raison je la connaissais, mais j'avais honte
de moi. C'est dommage, il aurait certainement
été de bon conseil.
Ce Monsieur C était formidable. Le premier
cours qu'on a eu avec lui, c'était juste
après deux heures de sport en plein soleil.
Alors imaginez dans quel état d'excitation
on était entré dans la salle ! Je
me souviens que j'étais tout à fait
au fond à côté d'un gars,
et qu'on discutait comme si on était au
marché. Et puis peu à peu, en quelques
minutes, le bruit est retombé et Monsieur
C a commencé a chuchoté tout doucement
: " Bonjour. Je ne parle jamais plus fort
que ça. Pourquoi ? Parce que je ne veux
pas user ma voix ". Et effectivement, tout
le reste de l'année il n'a jamais parlé
plus fort que ça.
C'était le calme absolu dans la classe.
Certains professeurs imposent leur autorité
par la colère ou par la force, alors que
lui l'imposait tout en douceur. C'est un des meilleurs
professeurs que j'aie eus. Le meilleur.
Avec lui on ne fichait pas grand chose, scolairement
parlant. Quand on entrait dans la salle, il y
avait une feuille posée sur chaque table,
avec une carte de géographie sur cette
feuille. Cette même carte était dessinée
au tableau, mais coloriée à la craie.
Et pendant une heure, notre tache consistait à
colorier notre carte. A la fin on rendait la feuille
et on était noté sur notre coloriage.
Quand le travail était terminé on
avait forcément la moyenne. Et avec de
bons crayons de couleur et un peu d'attention,
on avait facilement 20 sur 20. Pendant qu'on "
travaillait ", Monsieur C nous posait des
questions sur le pays dont on coloriait la carte.
Et nous on lui répondait. C'était
chouette. Quand on ressortait de là, c'est
fou comme on était décontracté.
Mais venons-en à l'anecdote dont je parlais.
A la fin de chaque trimestre, il y avait des réunions
parents-professeurs individuelles. Chaque professeur
avait son bureau dans une salle, et les parents,
à tour de rôle, avaient un petit
entretien d'une dizaine de minutes. C'est ma mère
qui y est allée.
De retour à la maison, le soir, elle m'a
informé que les professeurs étaient
plutôt satisfaits de moi dans l'ensemble.
Et bien sûr elle m'a parlé de Monsieur
C. Elle l'avait trouvé très original
! Et elle riait encore de ce qu'il lui avait dit.
En plein entretien, et de l'air le plus sérieux
du monde, il lui avait déclaré :
" Mais vous saviez, Madame. Votre fille,
elle pense ! Ce n'est pas un légume ! !
" Eh eh
Ma mère s'était
retenue pour ne pas éclater de rire. Et
au moment de se séparer, il avait lui longuement
serré la main en lui disant " Vous
verrez, Madame, votre fille, elle nous épatera
" Et il a répété plusieurs
fois en boucle " elle nous épatera,
vous verrez, elle nous épatera
"
Quand j'ai le moral qui va moyen, ou bien que
je perds confiance en moi, je repense à
ces paroles. En dix-sept ans de vie, il y a au
moins une personne qui a cru en moi. Et qui plus
est une personne que j'adorais. Rien qu'une, à
ma connaissance, mais c'est déjà
énorme.
Mais bien souvent, je me demande ce qu'il a voulu
dire par " elle nous épatera ".
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