Qu'est-ce que
je fous là, moi
Je devrais être
au lycée à l'heure qu'il est
Je viens de relire mon texte d'hier soir. Ce n'est
pas possible, ce n'est moi qui ai écrit
ça ! C'est un tissu d'âneries insouciantes
C'est moi qui étais toute joyeuse hier
soir ? C'est moi qui rigolais de l'histoire de
cet homme peut-être un petit peu trop rêveur,
qui était monté dans un train dans
lequel il n'avait rien à faire ? Ca ne
me fait plus rire du tout aujourd'hui. Je ne me
rappelle presque plus de la soirée d'hier,
c'est fou, comme dans un rêve lointain.
J'ai mis deux heures à écrire mon
histoire, j'alignais trois phrases, je m'écoutais
une chanson, je me fumais une cigarette, je jetais
un coup d'oeil à mes mails, puis j'alignais
de nouveau trois phrases, insouciante, heureuse
Complètement déconnectée
de la réalité. Mais aujourd'hui
je suis là et bien là, et je prends
la vérité de la vie en pleine tête.
Si je suis là, c'est parce que j'ai été
renvoyée du cours de pour avoir oublié
ma blouse, obligatoire pour les expériences.
Mais moi c'est physique, je déteste porter
une blouse, ça me rappelle les médecins
de l'hôpital psychiatrique où ma
sur était enfermée. Et quand
je dis " enfermée " j'emploie
le terme exact. Pis de toutes façons c'est
laid une blouse blanche, on est ridicule dedans
et rien que pour ça je ne voudrais jamais
faire chimiste. Et de toutes façons je
n'aime pas la chimie (je fais ça dans le
cadre d'une option), on passe tout notre temps
à faire des mélanges pour voir la
couleur que ça va prendre, je me fiche
de savoir ce qui est acide et ce qui ne l'est
pas, je me fiche de tout ça à un
point que ce n'est même pas imaginable.
Je préfère écouter Jim Morisson
chanter. Lui aussi il s'en fichait de la chimie,
à part peut-être celle des petites
pilules qu'il ingurgitait. Un jour j'irai au cimetière
où il est enterré à Paris,
Jim. Il paraît qu'il y a des amoureux qui
font l'amour sur sa tombe. C'est beau.
Ce matin Julie a téléphoné
au moment où j'allais quitter la maison.
La pauvre elle était en larmes. Son père
est rentré pendant la nuit, et ils ont
passé leur temps à se disputer avec
sa mère. Il les a insultées toutes
les deux. Julie lui avait demandé de bien
s'occuper du chat et de ne pas l'abandonner. Mais
quand elle lui a demandé où il était,
Minou, il a éclaté de rire en répondant
qu'il l'avait égorgé. C'est un mensonge
bien sûr, mais en attendant on ne sait pas
où il est, le chat. Je le hais, ce type.
Sans l'avoir jamais rencontré je le hais.
Je sais bien qu'il faut aimer son prochain même
si c'est un beau salaud, mais quand même
il y a des limites
Depuis ce coup de fil je n'entends plus que la
voix de Julie, sa voix cassée, au bout
du rouleau. J'ai envie de crier ma haine de ce
monde à la con. Pardonnez-moi d'être
vulgaire, mais je ne le suis pas souvent.
J'ai envie de tout plaquer et de monter à
Paris pour aller la retrouver et la convaincre
de revenir ici, lui dire qu'elle serait bien au
chaud dans sa chambre qui n'attend qu'elle, qu'on
irait promener mon chien tous les soirs et qu'on
adopterait un autre petit chat. Mais je ne vais
pas le faire car je suis une poule mouillée.
Oui, voilà ce que je suis, une poule mouillée.
Et le pire c'est que je le reconnais et que je
l'assume. Je sais très bien que si j'y
allais je serais perdue, incapable de me débrouiller,
que je ne saurais pas quoi faire d'autre que de
me blottir dans un coin en attendant qu'une âme
charitable veuille bien m'aider. Alors je ne vais
rien plaquer du tout, cet après-midi je
vais aller au lycée, passivement, comme
tous les jours.
Comment j'ai pu écrire un texte aussi insouciant
que celui d'hier soir
Comme si j'avais oublié,
l'espace de quelques heures, que tout était
moche ici-bas. Ce texte je vais le supprimer de
mon journal, il n'a rien à y faire. C'est
un texte à la con, encore une fois je suis
vulgaire mais il n'y a pas d'autres mots. Ce récit
on dirait le Petit Nicolas en dix fois moins bien.
Si ça continue je vais me faire embaucher
comme écrivain à la bibliothèque
rose. D'ailleurs j'ai déjà une idée
pour le titre de mon bouquin : " Les aventures
de Ouioui et Aglaia ". Pas mal non ?
De toutes façons ce que j'ai écrit
hier soir aurait pu tenir en deux lignes, mieux
vaut en faire un petit résumé rapide
:
Julie arrivée Paris - stop - gare Montparnasse
- stop - habite entre canal St Martin et bvd Magenta
- stop - quatre étages escalier pas pratique
- fin.
Voilà qui est mieux.
Cet après-midi je vais me vautrer dans
ma condition de poule mouillée, je vais
aller au lycée, m'installer au fond à
côté du radiateur et commencer à
écrire une biographie de chanteur. C'est
ma nouvelle lubie : je vais ajouter une rubrique
à mon site dans laquelle je vais écrire
la biographie des vingt ou trente plus grands
chanteurs français de l'histoire, d'Aristide
Bruant à Mano Solo, en passant par Piaf
et Balavoine. Si vous avez des documents intéressants,
merci de me les envoyer.
En ce moment j'écoute l'Italiano de Toto
Cutunio. Ca me rappelle ma sur. Au mariage
d'un de mes cousins, elle l'avait chantée.
Elle avait dix ans mais n'avait peur de rien :
elle était montée sur une table
et avait interprété toute la chanson
en italien. Et si quelqu'un savait chanter, c'était
bien ma sur. Ca avait cloué le bec
à toute l'assistance. Elle avait été
ovationnée et applaudie, moi j'étais
tellement fière d'être sa petite
frangine que je ne l'avais plus quittée
d'une semelle de toute la journée.
Ma sur, c'était la meilleure.
Note (le 2 avril 2003) : j'ai décidé
de remettre le texte supprimé en ligne.
Ici.
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