journal intime
63 _ Mercredi 11 décembre 2002

Mon enfant

Quelquefois, j'aimerais bien avoir un gosse. Un petit gars ou une petite fille, mais plutôt un petit gars car ça doit être moins difficile qu'une fille une fois que ça grandit. J'ai l'impression que c'est une nouvelle vie qui commencerait, une vie pleine de jolies choses. Au début, je sentirais quelque chose pousser dans mon ventre. Et petit à petit ça grandirait et un beau jour ça se mettrait à bouger, et là je serais toute contente et je demanderais au père de toucher mon ventre. Parfois je le touche, mon ventre. Et j'essaie d'imaginer ce que ça peut faire que de se dire " là-dedans il y a un être vivant qui n'est pas moi mais qui se nourrit de moi. Et il va grandir, et pour le reste de ma vie il sera dans mon cœur, et moi dans le sien. " Ca doit être beau.
Et puis un jour il sortirait en criant très fort, ce serait le plus grand malheur de sa vie, mais le plus beau jour de la mienne. Il serait tout vilain parce qu'un bébé qui vient de naître est toujours tout vilain, mais moi je trouverais que c'est le plus beau du monde. Je le prendrais dans mes bras en me demandant pourquoi il pleure, et son père serait juste à côté, heureux de voir que ce serait un garçon. Et il lui caresserait la tête avec ses grosses mains maladroites.
Et puis on rentrerait chez nous où tout serait prêt pour accueillir le petit : la chambre ridiculement colorée, des nounours ridicules aussi, un pur cliché, mais ça respirerait le bien-être. Je le prendrais très souvent dans mes bras pour lui donner le sein et pour le bercer en lui chantant des chansons insouciantes avec des grenouilles et des princesses qui dorment au bois, ou mieux, quand il serait en âge de comprendre quelque chose je lui ferais la lecture du Petit Prince, et il me poserait des milliers de questions sur ce qu'il n'aurait pas compris. Et je répondrais patiemment à tout. Puis je lui ferais un gros bisou sur le front avant qu'il ne s'endorme.
Evidemment la nuit il se mettrait à crier toutes les cinq minutes. Alors je me relèverais pour aller le calmer, ça me ferait du sommeil en moins et je devrais donc me coucher plus tôt. Et ne plus fumer pour protéger sa petite santé fragile.
Les mois passeraient et un jour il arriverait à se tenir debout et à traverser le salon tout d'une traite, ce serait une grande victoire pour lui et je serais très fière. Et plus tard il prononcerait son premier mot : " Maman ". Oui c'est moi.
Il faudrait hélas qu'il aille à l'école car c'est obligatoire. Alors je l'emmènerais, je lui aurais préparé son goûter dans un petit sac, et je l'abandonnerais au monde le temps d'une journée. Mais je finirais par m'y faire de l'abandonner pour une journée, une fois que j'aurais vu que tout se passe bien. Il ne serait pas surdoué, ni très attentionné, il aurait parfois un peu de mal à se concentrer, il ne comprendrait pas toujours tout du premier coup, mais au moins il prendrait le temps de grandir. Il ferait de jolis dessins, jolis ou moches d'ailleurs peu importe je les accrocherais quand même au-dessus de mon bureau.
Et un jour il saurait lire alors je lui donnerais toute ma collection de Ouioui, puis je lui ferais découvrir Tintin et il serait passionné comme je l'étais à son âge.
Parfois il reviendrait tout tristement de l'école parce qu'un méchant camarade lui aurait fait du mal, mais ce jour-là je serais encore plus attentive que d'habitude, et je lui demanderais de tout me raconter sans le brusquer et sans l'accabler de conseils inutiles. Il aurait des jours heureux et d'autres moins, parce que la vie c'est comme ça, parfois tout est magnifique et parfois tout craint.
Et puis les moments pas faciles arriveraient avec l'adolescence. Il se rendrait compte d'un seul coup que sa mère elle est trop possessive, et ce jour-là il ne me regarderait plus de la même façon, il verrait en moi un obstacle à tout ce dont il rêverait, il serait persuadé que je ne le comprends pas. Peut-être même qu'un jour il se mettrait en colère et déverserait toute sa haine sur moi, et je serais bien malheureuse de l'entendre me parler comme ça. Et j'aurais beau lui dire, comme tous les parents, que je suis passée par-là moi aussi, il me prendrait pour une vielle folle. Ce serait dur.
Mais ce mauvais moment passé, il serait un homme. Et il regretterait tout ce qu'il m'aurait dit. Mais moi j'aurais oublié ces mauvaises paroles depuis longtemps, et je serais fière de ce qu'il serait devenu. Un jour il ramènerait une fille et je serais aimable avec elle, bien qu'un peu jalouse peut-être. Et puis voilà, à leur tour ils auraient un enfant et moi je serais vielle et moche, mais j'aurais des petits bambins qui m'appelleraient " Mamie " et que je gâterais comme des rois.
Mais non, il faut encore que j'attende.
Je sais très bien que si j'avais un enfant maintenant il serait malheureux. Je serais une très mauvaise mère. Je ne serais pas capable de subvenir à ses besoins, je lui transmettrais sans le vouloir tout mon lot d'angoisses et de peurs, tout le dégoût que j'éprouve pour ce monde misérable je le déverserais sur lui, et quelques années plus tard, quand il serait malheureux et dérangé, je n'aurais que mes yeux pour pleurer du mal que je lui aurais fait. Je n'aurai d'enfant que le jour où j'aurai la certitude au plus profond de moi-même que je suis capable d'être une mère, disons, correcte… Evidemment je ferai des erreurs. Evidemment il aura plus tard tout un tas de choses à me reprocher dans son éducation, mais ces choses-là je les aurai faites en croyant à bien. Mais je ferai tout mon possible pour ne pas engendrer un être humain malheureux de plus.
Tiens… Peut-être que quand il serait un homme, mon fils, je lui chanterais cela (c'est extrait d'une chanson de Mano Solo ) :

Te souviens-tu de cet enfant ?
De notre amour si fort, nos joies, nos réconforts ?
Nos milliers de pourquoi…
Te souviens-tu mon fils ? Te souviens-tu de toi ?


Te souviens-tu de cet enfant ?
Quand son auréole s'allumait d'un sourire
Dans la cour d'école, voyant sa mère venir
Quand la tête entre deux mamelles
Il disait " Maman t'es la plus belle ! ! "

Tous les âges de la vie
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