Quelquefois, j'aimerais
bien avoir un gosse. Un petit gars ou une petite
fille, mais plutôt un petit gars car ça
doit être moins difficile qu'une fille une
fois que ça grandit. J'ai l'impression
que c'est une nouvelle vie qui commencerait, une
vie pleine de jolies choses. Au début,
je sentirais quelque chose pousser dans mon ventre.
Et petit à petit ça grandirait et
un beau jour ça se mettrait à bouger,
et là je serais toute contente et je demanderais
au père de toucher mon ventre. Parfois
je le touche, mon ventre. Et j'essaie d'imaginer
ce que ça peut faire que de se dire "
là-dedans il y a un être vivant qui
n'est pas moi mais qui se nourrit de moi. Et il
va grandir, et pour le reste de ma vie il sera
dans mon cur, et moi dans le sien. "
Ca doit être beau.
Et puis un jour il sortirait en criant très
fort, ce serait le plus grand malheur de sa vie,
mais le plus beau jour de la mienne. Il serait
tout vilain parce qu'un bébé qui
vient de naître est toujours tout vilain,
mais moi je trouverais que c'est le plus beau
du monde. Je le prendrais dans mes bras en me
demandant pourquoi il pleure, et son père
serait juste à côté, heureux
de voir que ce serait un garçon. Et il
lui caresserait la tête avec ses grosses
mains maladroites.
Et puis on rentrerait chez nous où tout
serait prêt pour accueillir le petit : la
chambre ridiculement colorée, des nounours
ridicules aussi, un pur cliché, mais ça
respirerait le bien-être. Je le prendrais
très souvent dans mes bras pour lui donner
le sein et pour le bercer en lui chantant des
chansons insouciantes avec des grenouilles et
des princesses qui dorment au bois, ou mieux,
quand il serait en âge de comprendre quelque
chose je lui ferais la lecture du Petit Prince,
et il me poserait des milliers de questions sur
ce qu'il n'aurait pas compris. Et je répondrais
patiemment à tout. Puis je lui ferais un
gros bisou sur le front avant qu'il ne s'endorme.
Evidemment la nuit il se mettrait à crier
toutes les cinq minutes. Alors je me relèverais
pour aller le calmer, ça me ferait du sommeil
en moins et je devrais donc me coucher plus tôt.
Et ne plus fumer pour protéger sa petite
santé fragile.
Les mois passeraient et un jour il arriverait
à se tenir debout et à traverser
le salon tout d'une traite, ce serait une grande
victoire pour lui et je serais très fière.
Et plus tard il prononcerait son premier mot :
" Maman ". Oui c'est moi.
Il faudrait hélas qu'il aille à
l'école car c'est obligatoire. Alors je
l'emmènerais, je lui aurais préparé
son goûter dans un petit sac, et je l'abandonnerais
au monde le temps d'une journée. Mais je
finirais par m'y faire de l'abandonner pour une
journée, une fois que j'aurais vu que tout
se passe bien. Il ne serait pas surdoué,
ni très attentionné, il aurait parfois
un peu de mal à se concentrer, il ne comprendrait
pas toujours tout du premier coup, mais au moins
il prendrait le temps de grandir. Il ferait de
jolis dessins, jolis ou moches d'ailleurs peu
importe je les accrocherais quand même au-dessus
de mon bureau.
Et un jour il saurait lire alors je lui donnerais
toute ma collection de Ouioui, puis je lui ferais
découvrir Tintin et il serait passionné
comme je l'étais à son âge.
Parfois il reviendrait tout tristement de l'école
parce qu'un méchant camarade lui aurait
fait du mal, mais ce jour-là je serais
encore plus attentive que d'habitude, et je lui
demanderais de tout me raconter sans le brusquer
et sans l'accabler de conseils inutiles. Il aurait
des jours heureux et d'autres moins, parce que
la vie c'est comme ça, parfois tout est
magnifique et parfois tout craint.
Et puis les moments pas faciles arriveraient avec
l'adolescence. Il se rendrait compte d'un seul
coup que sa mère elle est trop possessive,
et ce jour-là il ne me regarderait plus
de la même façon, il verrait en moi
un obstacle à tout ce dont il rêverait,
il serait persuadé que je ne le comprends
pas. Peut-être même qu'un jour il
se mettrait en colère et déverserait
toute sa haine sur moi, et je serais bien malheureuse
de l'entendre me parler comme ça. Et j'aurais
beau lui dire, comme tous les parents, que je
suis passée par-là moi aussi, il
me prendrait pour une vielle folle. Ce serait
dur.
Mais ce mauvais moment passé, il serait
un homme. Et il regretterait tout ce qu'il m'aurait
dit. Mais moi j'aurais oublié ces mauvaises
paroles depuis longtemps, et je serais fière
de ce qu'il serait devenu. Un jour il ramènerait
une fille et je serais aimable avec elle, bien
qu'un peu jalouse peut-être. Et puis voilà,
à leur tour ils auraient un enfant et moi
je serais vielle et moche, mais j'aurais des petits
bambins qui m'appelleraient " Mamie "
et que je gâterais comme des rois.
Mais non, il faut encore que j'attende.
Je sais très bien que si j'avais un enfant
maintenant il serait malheureux. Je serais une
très mauvaise mère. Je ne serais
pas capable de subvenir à ses besoins,
je lui transmettrais sans le vouloir tout mon
lot d'angoisses et de peurs, tout le dégoût
que j'éprouve pour ce monde misérable
je le déverserais sur lui, et quelques
années plus tard, quand il serait malheureux
et dérangé, je n'aurais que mes
yeux pour pleurer du mal que je lui aurais fait.
Je n'aurai d'enfant que le jour où j'aurai
la certitude au plus profond de moi-même
que je suis capable d'être une mère,
disons, correcte
Evidemment je ferai des
erreurs. Evidemment il aura plus tard tout un
tas de choses à me reprocher dans son éducation,
mais ces choses-là je les aurai faites
en croyant à bien. Mais je ferai tout mon
possible pour ne pas engendrer un être humain
malheureux de plus.
Tiens
Peut-être que quand il serait
un homme, mon fils, je lui chanterais cela (c'est
extrait d'une chanson de Mano Solo ) :
Te souviens-tu de cet enfant ?
De notre amour si fort, nos joies, nos réconforts
?
Nos milliers de pourquoi
Te souviens-tu mon fils ? Te souviens-tu de toi
?
Te souviens-tu de cet enfant ?
Quand son auréole s'allumait d'un sourire
Dans la cour d'école, voyant sa mère
venir
Quand la tête entre deux mamelles
Il disait " Maman t'es la plus belle ! !
"

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