journal intime
64 _ Jeudi 12 décembre 2002

Nouvelle vie

Les journées se suivent, tranquillement. Je pense très souvent à Julie, elle me manque terriblement. Depuis qu'elle est repartie sur Paris avec sa mère, je me sens bien seule, et j'ai bien du chagrin quand je pense à elle. J'essaie d'imaginer sa nouvelle vie : sa chambre, son décor, son lycée, son nouveau petit chat qu'elle vient d'adopter, son père… Mardi matin elle était en larmes au téléphone et j'ai du mal à l'oublier, même si depuis les choses semblent s'être arrangées. Et finalement, pour elle aussi les journées se suivent, tranquillement.
Je l'admire, quand même. Beaucoup à sa place, et peut-être moi-même, seraient abattus. Mais elle tient le coup. Ses parents s'engueulent à longueur de journées, aucun des deux ne travaille, mais elle continue malgré tout de mener sa vie normalement. Bien sûr elle n'est pas indifférente à ce qui se passe, bien sûr mardi matin elle était au fond du gouffre, mais elle s'en sort et jour après jour au téléphone je la sens redevenir joyeuse. Parfois je l'entends qui rit et ça me fait plaisir.
Mardi matin quand elle m'a appelée elle était en sanglots, et moi toute la journée je n'ai plus pensé qu'à ça. Je ne suis pas rentrée dans les détails dans le texte que j'ai écrit sur jour-là car j'avais trop de peine. Mais maintenant que les choses vont mieux je peux le dire, ce qu'elle m'a raconté.
Tout allait bien pour elle, lundi. Jusqu'à ce que son père arrive, vers minuit. Et même quand il est arrivé tout allait bien encore, pendant une heure ou deux… Il avait l'air content de retrouver sa femme et sa fille après si longtemps. Il a dit à Julie qu'il n'avait cessé de penser à elle pendant tout ce temps. C'est peut-être vrai, qui sait… Et puis ils ont discuté un peu, ils avaient tant de choses à se raconter. Mais l'ambiance était tendue, les paroles n'étaient pas sincères de part et d'autre (là c'est moi qui extrapole un peu d'après ce que Julie m'a raconté). Et puis les mots ont commencé à fuir de travers. C'est la mère qui a enclenché les choses, mais il faut la comprendre car si quelqu'un souffre dans l'histoire, c'est bien elle. Elle a demandé à son mari comment il voyait l'avenir proche, le travail, sa famille, tout ça… Au début il faisait la sourde oreille ou bien évitait de répondre, mais peu à peu il fini par s'exaspérer. Et comme sa femme renchérissait il s'est mis en colère, et voilà, ils se sont disputés pendant des heures. Il paraît qu'ils hurlaient dans l'appartement, que Julie avait honte en se disant que les voisins devaient tout entendre. Elle n'intervenait pas, elle regardait, c'est tout. Puis son père est devenu insultant, il a dit à sa femme des choses du genre " De toutes façons je sais très bien ce que tu faisais à La Rochelle, t'avais des amants ! " N'importe quoi. Et il l'a traitée de salope et de traînée. Il devenait presque méchant et Julie a eu peur qu'il devienne violent, mais il est parti en claquant très fort la porte. Alors sa mère s'est assise effondrée en pleurant et encore une fois, c'est Julie qui a dû la consoler.
Mais julie, elle, qui va la consoler ? Son père ? Il ne sait répandre que le mal autour de lui. Sa mère ? C'est la plus accablée de toutes. Il ne reste plus que le petit chaton qu'elle vient d'adopter. Bon, c'est toujours mieux que rien. Mais un chaton ça ne répond pas. Alors on passe énormément de temps au téléphone, tous les soirs. Tout à l'heure on a discuté une heure durant. Mais le téléphone ce n'est pas gratuit alors quand j'ai raccroché ma mère m'a dit " il faudrait essayer de faire plus court, la prochaine fois… " J'étais tellement outrée qu'elle me dise une chose pareille que je n'ai rien répondu. Mais elle a vu ma tête et a rectifié : " Oui enfin t'inquiète pas, vous pouvez parler quand même… " Ben ouais, ma mère a autant de chagrin que moi pour ce qui arrive. La mère de Julie est quand même son amie d'enfance. D'ailleurs elle a tout fait pour la convaincre de rester ici, à La Rochelle, mais sans succès, hélas.
J'aimerais bien aller chez elle, à Paris. Comme ça, ce serait plus facile de m'imaginer comment elle vit. En attendant je fais travailler mon esprit.
Julie est sensible, ce qu'elle vit lui donne bien de la peine. C'est vrai, elle n'a pas participé à la dispute. C'est vrai, elle a consolé sa mère de la même manière qu'une mère consolerait son enfant. Mais ce n'est pas pour ça que les choses ne lui font beaucoup de mal à elle aussi. Alors elle a craqué et c'est pour ça qu'elle m'a appelée mardi matin. Elle s'excusait de me réveiller. Mais non ! Je lui ai dit qu'elle pouvait me téléphoner deux cents fois par jour si elle le voulait, que je serais toujours là pour l'écouter. Je crois que ça lui a fait du bien.
Julie croit très fort en Dieu. Ce n'est même pas qu'elle y croit, d'ailleurs, elle ne se pose même pas la question, pour elle Dieu existe, c'est tout. Et si on lui apportait la preuve qu'il n'existe pas, et bien elle continuerait d'y croire rien que pour le plaisir. Elle se moque de savoir s'il a une existence réelle ou non. Tout ce qu'elle sait, c'est que le soir elle prie la vierge Marie et que ça la comble de bonheur. Alors à quoi débattre pendant des heures… Moi je ne crois pas en tout ça, et quand je me sens mal et que j'essaie de prier Marie, et bien je n'y arrive pas, rien ne sort. Je n'ai rien à lui dire, moi, à la vierge. Enfin si, en fait j'en ai tellement que je ne sais pas par où commencer. Et total je ne dis rien. Je ne peux pas.
Je vais inviter Julie pour les vacances de Noël. Ce sera chouette, comme ça en hiver, il fait noir très tôt, il fait si froid qu'on ne peut pas sortir sans bonnet, les rues sont toutes illuminées, j'adore cette ambiance. Et avec Julie, ce sera encore plus illuminé.
Vivement Noël.
Jolie surprise : j'ai reçu un mail d'une jeune fille, elle a seize ans, elle est roumaine, et elle s'appelle... Aglaia ! Je lui ai répondu qu'elle avait un prénom magnifique, que j'en étais presque jalouse...

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