J'ai commis un
crime affreux hier soir. Un crime qui n'est pas
puni par la loi mais qui le mériterait.
On devrait m'enfermer à vie pour ce que
j'ai fait. J'ai complètement perdu la tête,
et ce que j'ai fait est irréparable.
Hier soir il y avait une fête dans l'école
de ma mère. Une petite fête de rien
du tout dans ce petit village de rien du tout.
Mais un grand événement pour tous
les habitants. C'est leur manière à
eux de célébrer Noël, les enfants
avaient préparé des danses et des
chants, les parents motivés avaient organisé
un grand repas, et ma mère en tant qu'institutrice
jouait un grand rôle dans cette affaire.
Il ne me serait jamais venu à l'idée
d'y participer si Mathieu ne m'avait pas téléphoné
pour me demander si je comptais venir, étant
donné que lui serait présent, vu
qu'il habite dans ce village et que sa mère
est également institutrice dans l'école.
J'étais très contente à l'idée
de le retrouver. C'est vrai, depuis qu'il sort
avec Noémie je ne les vois presque plus,
tous les deux. Alors j'ai dit oui. Pourtant, j'aurais
mieux fait de rester cloîtrée chez
moi loin du monde.
J'ai passé l'après-midi à
aider ma mère dans les préparatifs.
Pas grand chose : accrocher des guirlandes vielles
comme le monde, brancher les fils pour la sono,
et mettre les couverts. Et puis on était
très nombreux à préparer
tout ça, alors ce fut rapide. Ce village
est si petit, si ridicule
Pas plus de mille
habitants. La cour de l'école n'est pas
grande mais toute en longueur, et trois bâtiments
donnent dessus : l'école, la mairie, et
la maison de Mathieu. Devant l'école vous
avez l'église, et derrière la salle
des fêtes. De là part un chemin jusqu'au
terrain de foot, vous ajoutez le bistrot-PMU et
voilà, vous avez fait le tour.
Alors nous sommes rentrées en attendant
que ce soit l'heure. Et le soir on est retourné
là-bas. Je suis allée directement
retrouver Mathieu chez lui : il était en
train de regarder un film avec un copain à
lui. Alors j'ai pris l'histoire en cours de route,
je n'ai pas compris grand chose. De temps en temps
je regardais par la fenêtre et je voyais
peu à peu les gens arriver. Les enfants
étaient tous déguisés et
contents de l'être, surtout les filles.
Moi aussi j'adorais me déguiser étant
petite
pfff c'est pas aujourd'hui qu'on
m'y reprendrait à mettre des habits de
toutes les couleurs. Puis le copain de Mathieu
est parti alors on est allés se mélanger
à la petite foule.
Tout le monde était là et le maire
nous a fait un discours. C'est un vieux petit
bonhomme de plus de quatre-vingts ans mais ça
fait plus de trente ans qu'il est maire, ici.
Il avait revêtu ses beaux habits, il devait
être allé chez le coiffeur l'après-midi
même, et bien sûr il arborait la fameuse
bande bleu-blanc-rouge autour du buste. En l'écoutant
réciter son monologue, qui est sans doute
le même depuis trente ans, on souriait avec
Mathieu. C'était un peu comique, quand
même
Et puis les enfants ont fait une farandole et
le vieux maire était tout ému. Ils
ont fait des danses, certains parents n'en manquaient
pas une miette avec leur petite caméra,
ou leur appareil photo numérique
Ils ont aussi chanté, c'était marrant.
Puis on a mangé. J'ai bu un verre de vin
blanc, j'ai tellement peu l'habitude de boire
que ça a suffi à me monter à
la tête. Je suis une petite joueuse
Et puis le drame est arrivé. Avec Mathieu
on a fini par s'ennuyer dans cette ambiance alors
on est allé chez lui, dans sa chambre.
Et on a discuté. Et c'était formidable,
parfois je me sens tellement présente dans
la réalité que j'en ressens presque
de la jouissance. Parfois, quand je discute avec
quelqu'un et que je m'entends à merveille
avec, j'ai l'impression que toutes les phrases
sont réglées d'avance. Comme un
scénario écrit. Chaque question
attend une réponse bien précise,
et tout semble tellement naturel qu'on se croirait
sur la scène d'un théâtre.
C'est l'entente parfaite, il n'y a aucun souci
possible. Dans ces cas-là j'ai même
une petite larme qui me coule des yeux. Je vous
jure, c'est étrange
Comme si pendant
quelques minutes j'atteignais le nirvana, le bonheur
parfait, je me sens légère comme
un oiseau. Je prononce une phrase et je sais exactement
quel effet elle va avoir sur la personne en face
de moi. Et quand je constate que l'effet produit
est précisément celui que j'avais
prévu, je me dis " c'est bon la vie
est parfaite ". Je sais, c'est bizarre
Enfin bref, j'étais dans cet état
hier soir, avec Mathieu. Je me sentais incroyablement
bien avec lui. La terre se serait mise à
trembler que je ne me serais pas inquiétée.
Mais je n'ai pas assez dormi cette semaine alors
j'ai senti la fatigue monter. Eh oui, la fatigue
arrive toujours au moment où on se décontracte.
Alors je me suis allongée sur le lit, à
côté de Mathieu. Merde j'ai honte
mais
je dois tout dire dans ce journal.
Je suis un être humain et quoiqu'on en dise,
un être humain a besoin de contact physique.
C'est bien joli les sentiments, mais ça
ne fait pas tout. Je ne me cherche pas d'excuses,
c'est un constat, c'est tout. Je sentais Mathieu
à côté de moi, son corps chaud,
et j'ai eu envie de me serrer contre lui. Je l'ai
fait, j'étais bien, comme dans un rêve
Et je n'ai pas pensé une seule seconde
à Noémie en faisant ça. Pourtant
si elle nous avait vus elle serait devenue folle.
Elle est vraiment très amoureuse de Mathieu.
On a continué de parler un petit peu comme
ça, serrés l'un contre l'autre,
c'était doux. Et puis on s'est embrassé.
C'est lui qui m'a embrassée, je le jure.
Mais qui ne dit rien consent, et je n'ai rien
dit. Et on a continué pendant plus d'une
demi-heure à se faire des bisous. J'étais
tellement bien que je me suis presque endormie.
Heureusement qu'on n'avait pas toute la nuit devant
nous, sinon qui sait jusqu'où nous serions
allés dans cet acte monstrueux
J'ai
entendu ma mère entrer dans la maison en
bas et m'appeler pour me dire qu'il était
l'heure de rentrer. Alors je suis descendue, et
on est monté en voiture.
Durant le trajet je n'ai pas décroché
un mot. Ma mère croyait que j'étais
mal, elle a même cru que j'allais faire
un malaise. Mais le malaise je l'ai fait dans
mon esprit. Je me disais " mais ce n'est
pas possible c'est un cauchemar, comment j'ai
pu faire ça
"
J'ai la trouille. Qu'est ce que je vais devenir
? Je viens de perdre Noémie, ma meilleure
amie
Et c'est la deuxième meilleure
amie que je perds en une semaine. Quant à
Mathieu, je ne vois pas ce que je pourrais avoir
avec lui maintenant. C'est horrible, jamais je
ne pourrai regarder Noémie en face désormais.
Je l'imagine arriver au lycée demain, toute
souriante, merde. Si elle savait. Je n'ai plus
qu'une envie c'est de mourir. Mais je ne vais
pas le faire, une poule mouillée ne se
suicide pas. Si Noémie téléphone
ce soir, je dirai à ma mère de répondre
que je ne suis pas là. Ah oui, voilà
une attitude de lâche : fuir devant les
difficultés. Mais c'est une attitude qui
me convient parfaitement.
Si je lui avoue ce que j'ai fait, elle ne voudra
plus jamais me parler. Et si je ne lui dis rien,
c'est moi qui ne pourrai plus jamais lui parler.
Je ne sais pas quoi faire.
Ne m'écrivez pas, ou bien n'attendez pas
de réponse. Et sachez que je me fous de
vos conseils. Désolée de vous apprendre
que la fille que vous lisez est loin d'être
aussi gentille que vous l'avez pensé.
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