journal intime
66 _ Lundi 16 décembre 2002

J'ai la fièvre

Je suis malade, complètement malade, et cette fois-ci ce n'est pas une image, c'est pour de bon : j'ai la grippe. Des cauchemars toute la nuit, quarante de fièvre au réveil… Je suis restée cloîtrée dans ma chambre toute la journée. Et le docteur a dit que j'étais bonne pour une semaine de repos. Donc une semaine de répit avant d'affronter le monde à nouveau, et surtout avant d'affronter Noémie. C'est bête, je parle d'elle comme une ennemie. C'est pourtant ma meilleure amie… Mais je ne me suis toujours pas remise du crime affreux que j'ai commis samedi soir. Je m'en veux tellement… Je ne pourrai pourtant pas repousser éternellement le moment où je devrai tout lui dire. Car c'est décidé, je vais tout lui avouer. Je ne pourrai jamais la regarder en face tant que je ne lui aurai pas tout raconté. Alors dès que je serai rétablie, dans quelques jours, je marcherai tout droit chez elle, seule, sans même mon chien, et je lui dirai ce que j'ai fait. Peut-être que Mathieu l'aura déjà informée mais tant pis, je veux qu'elle connaisse ma version à moi aussi. Sûrement qu'elle tombera en larmes, peut-être même qu'elle criera, m'insultera et me chassera de chez elle, mais tant pis, c'est normal après tout. J'espère simplement qu'avec le temps, elle me pardonnera peu à peu. On est amies depuis la naissance, on ne peut quand même pas tout casser pour un geste malheureux, aussi horrible soit-il… Moi à sa place je me pardonnerais, mais on est différentes, elle est beaucoup plus impulsive et rancunière que moi… J'ai vraiment peur de la perdre.
J'avais trois amis, en une semaine je me retrouve toute seule. Bien sûr, ces trois amis ne sont pas partis définitivement. Julie est à Paris mais je pense très souvent à elle et je suis sûre que c'est réciproque. Elle m'a d'ailleurs écrit une très jolie lettre dans laquelle elle me parle de la pluie et du beau temps sur la capitale, et je lui ai répondu aussitôt par une très jolie lettre pour lui parler de la pluie et du beau temps au bord de l'Atlantique. Mathieu je ne l'ai pas perdu non plus, après tout il est aussi responsable que moi dans cette histoire. Quant à Noémie, c'est là que j'ai le plus peur… Enfin, je verrai bien.
J'ai quand même pris un petit peu l'air aujourd'hui. Malgré les prescriptions du docteur je suis sortie de la maison pour promener mon chien. Je n'aurais pas dû, j'ai failli faire un malaise. Pourtant je m'étais bien couverte, avec un manteau, un bonnet, une écharpe…mais ça n'a pas suffi. Plus je marchais et plus j'avais froid. Et le pire c'est qu'à l'intérieur je bouillais de chaleur. Ma fièvre a dû grimper encore d'avantage. Au bout d'un moment j'ai cru que j'allais tomber dans les pommes, j'ai dû m'asseoir sur le trottoir… J'avais les dents qui claquaient, je ne savais plus où j'étais. Je me suis serrée contre mon chien pour prendre un peu de sa chaleur. Et tant bien que mal je suis revenue chez moi. Ma mère n'était pas là, d'ailleurs elle ne m'aurait jamais laissée sortir. Je suis montée directement dans ma chambre et me suis couchée. Je me suis endormie malgré le mal de tête, et encore une fois j'ai cauchemardé. Je crois même que j'ai déliré. C'est certain, j'ai déliré. Je me voyais sur la planète Terre, et elle explosait. Et cette image se répétait en boucle. C'était infernal, je n'avais plus qu'une explosion continue devant les yeux. J'imaginais alors que je restais sur un morceau de terre propulsé dans l'univers, mais à son tour ce morceau de terre se mettait à exploser. J'en ai chialé tellement c'était infernal. Quand j'allumais la lumière l'image s'en allait, mais le mal de tête revenait. Heureusement j'ai réussi à me calmer, et j'ai pu m'endormir pour de bon. En me réveillant ça allait mieux.
Ma mère en rentrant a été très douce avec moi, elle m'a bien soignée, elle est vraiment gentille…
En attendant je suis cloîtrée dans ma chambre pour plusieurs jours. Mais j'ai décidé que j'allais les mettre à profit pour faire quelque chose d'utile avec ce journal. Oui, pour la première fois ce journal va être intéressant, du moins pour moi. Car depuis des mois que j'écris, je ne fais que raconter des babioles sans intérêt. Car il ne faut se duper : je ne fais que me fuir depuis le début. Bien sûr je prends du plaisir à causer de ma ville, de Julie, de Mathieu, tout ça… Mais je sais très bien que si j'ai commencé ce journal c'était, inconsciemment, pour parler de ma sœur. Voilà deux ans qu'elle est décédée, après une longue agonie, et ça c'est le plus grand malheur de ma vie. Quoique je fasse elle est là, quelque part dans mon esprit. Je sens toujours son regard sur moi, un regard sec et vif comme était le sien, mais en même temps un regard tendre qui me dit " courage petite sœur " Je sais c'est bête… Mais son fantôme hante mon esprit, je la sens dans mon ventre, et j'aimerais la faire sortir, même un tout petit peu… Alors je vais tout reprendre à zéro dans les jours qui viennent. Tout depuis le début. Depuis ce fichu mois de septembre à la con où je l'ai entendue se faire vomir pour la première fois, jusqu'au jour où j'ai vu son corps sans vie. En passant par les lettres noires mais pleines d'espoir qu'elle m'écrivait depuis l'hôpital psychiatrique. Pleines d'espoir, puisque personne n'a jamais vraiment cru qu'elle irait jusqu'au bout de son trip. Même elle, je pense qu'elle ne s'y attendait pas. A mon avis elle voulait pousser son corps jusqu'à l'extrême limite, mais s'arrêter juste avant la ligne rouge. Mais elle avait depuis longtemps perdu le contrôle, la pauvre.
Alors je vais vider mon sac un bon coup. Dans les jours qui viennent je raconterai tout ça dans l'ordre, de mon petit point de vue à moi. Comment je l'ai ressenti. Et comment je le ressens encore au jour le jour. Si j'ai des nouvelles de Mathieu et de Noémie je les mentionnerai mais je ne m'étendrai pas, je dois aller droit au but. Et peut-être que quand j'aurai tout dit, dans une semaine plus ou moins, eh bien j'arrêterai ce journal. Ce n'est pas sûr, je n'en sais rien.
Allez, il faut que je me repose.

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