Je suis malade,
complètement malade, et cette fois-ci ce
n'est pas une image, c'est pour de bon : j'ai
la grippe. Des cauchemars toute la nuit, quarante
de fièvre au réveil
Je suis
restée cloîtrée dans ma chambre
toute la journée. Et le docteur a dit que
j'étais bonne pour une semaine de repos.
Donc une semaine de répit avant d'affronter
le monde à nouveau, et surtout avant d'affronter
Noémie. C'est bête, je parle d'elle
comme une ennemie. C'est pourtant ma meilleure
amie
Mais je ne me suis toujours pas remise
du crime affreux que j'ai commis samedi soir.
Je m'en veux tellement
Je ne pourrai pourtant
pas repousser éternellement le moment où
je devrai tout lui dire. Car c'est décidé,
je vais tout lui avouer. Je ne pourrai jamais
la regarder en face tant que je ne lui aurai pas
tout raconté. Alors dès que je serai
rétablie, dans quelques jours, je marcherai
tout droit chez elle, seule, sans même mon
chien, et je lui dirai ce que j'ai fait. Peut-être
que Mathieu l'aura déjà informée
mais tant pis, je veux qu'elle connaisse ma version
à moi aussi. Sûrement qu'elle tombera
en larmes, peut-être même qu'elle
criera, m'insultera et me chassera de chez elle,
mais tant pis, c'est normal après tout.
J'espère simplement qu'avec le temps, elle
me pardonnera peu à peu. On est amies depuis
la naissance, on ne peut quand même pas
tout casser pour un geste malheureux, aussi horrible
soit-il
Moi à sa place je me pardonnerais,
mais on est différentes, elle est beaucoup
plus impulsive et rancunière que moi
J'ai vraiment peur de la perdre.
J'avais trois amis, en une semaine je me retrouve
toute seule. Bien sûr, ces trois amis ne
sont pas partis définitivement. Julie est
à Paris mais je pense très souvent
à elle et je suis sûre que c'est
réciproque. Elle m'a d'ailleurs écrit
une très jolie lettre dans laquelle elle
me parle de la pluie et du beau temps sur la capitale,
et je lui ai répondu aussitôt par
une très jolie lettre pour lui parler de
la pluie et du beau temps au bord de l'Atlantique.
Mathieu je ne l'ai pas perdu non plus, après
tout il est aussi responsable que moi dans cette
histoire. Quant à Noémie, c'est
là que j'ai le plus peur
Enfin, je
verrai bien.
J'ai quand même pris un petit peu l'air
aujourd'hui. Malgré les prescriptions du
docteur je suis sortie de la maison pour promener
mon chien. Je n'aurais pas dû, j'ai failli
faire un malaise. Pourtant je m'étais bien
couverte, avec un manteau, un bonnet, une écharpe
mais
ça n'a pas suffi. Plus je marchais et plus
j'avais froid. Et le pire c'est qu'à l'intérieur
je bouillais de chaleur. Ma fièvre a dû
grimper encore d'avantage. Au bout d'un moment
j'ai cru que j'allais tomber dans les pommes,
j'ai dû m'asseoir sur le trottoir
J'avais les dents qui claquaient, je ne savais
plus où j'étais. Je me suis serrée
contre mon chien pour prendre un peu de sa chaleur.
Et tant bien que mal je suis revenue chez moi.
Ma mère n'était pas là, d'ailleurs
elle ne m'aurait jamais laissée sortir.
Je suis montée directement dans ma chambre
et me suis couchée. Je me suis endormie
malgré le mal de tête, et encore
une fois j'ai cauchemardé. Je crois même
que j'ai déliré. C'est certain,
j'ai déliré. Je me voyais sur la
planète Terre, et elle explosait. Et cette
image se répétait en boucle. C'était
infernal, je n'avais plus qu'une explosion continue
devant les yeux. J'imaginais alors que je restais
sur un morceau de terre propulsé dans l'univers,
mais à son tour ce morceau de terre se
mettait à exploser. J'en ai chialé
tellement c'était infernal. Quand j'allumais
la lumière l'image s'en allait, mais le
mal de tête revenait. Heureusement j'ai
réussi à me calmer, et j'ai pu m'endormir
pour de bon. En me réveillant ça
allait mieux.
Ma mère en rentrant a été
très douce avec moi, elle m'a bien soignée,
elle est vraiment gentille
En attendant je suis cloîtrée dans
ma chambre pour plusieurs jours. Mais j'ai décidé
que j'allais les mettre à profit pour faire
quelque chose d'utile avec ce journal. Oui, pour
la première fois ce journal va être
intéressant, du moins pour moi. Car depuis
des mois que j'écris, je ne fais que raconter
des babioles sans intérêt. Car il
ne faut se duper : je ne fais que me fuir depuis
le début. Bien sûr je prends du plaisir
à causer de ma ville, de Julie, de Mathieu,
tout ça
Mais je sais très
bien que si j'ai commencé ce journal c'était,
inconsciemment, pour parler de ma sur. Voilà
deux ans qu'elle est décédée,
après une longue agonie, et ça c'est
le plus grand malheur de ma vie. Quoique je fasse
elle est là, quelque part dans mon esprit.
Je sens toujours son regard sur moi, un regard
sec et vif comme était le sien, mais en
même temps un regard tendre qui me dit "
courage petite sur " Je sais c'est
bête
Mais son fantôme hante
mon esprit, je la sens dans mon ventre, et j'aimerais
la faire sortir, même un tout petit peu
Alors je vais tout reprendre à zéro
dans les jours qui viennent. Tout depuis le début.
Depuis ce fichu mois de septembre à la
con où je l'ai entendue se faire vomir
pour la première fois, jusqu'au jour où
j'ai vu son corps sans vie. En passant par les
lettres noires mais pleines d'espoir qu'elle m'écrivait
depuis l'hôpital psychiatrique. Pleines
d'espoir, puisque personne n'a jamais vraiment
cru qu'elle irait jusqu'au bout de son trip. Même
elle, je pense qu'elle ne s'y attendait pas. A
mon avis elle voulait pousser son corps jusqu'à
l'extrême limite, mais s'arrêter juste
avant la ligne rouge. Mais elle avait depuis longtemps
perdu le contrôle, la pauvre.
Alors je vais vider mon sac un bon coup. Dans
les jours qui viennent je raconterai tout ça
dans l'ordre, de mon petit point de vue à
moi. Comment je l'ai ressenti. Et comment je le
ressens encore au jour le jour. Si j'ai des nouvelles
de Mathieu et de Noémie je les mentionnerai
mais je ne m'étendrai pas, je dois aller
droit au but. Et peut-être que quand j'aurai
tout dit, dans une semaine plus ou moins, eh bien
j'arrêterai ce journal. Ce n'est pas sûr,
je n'en sais rien.
Allez, il faut que je me repose.
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