Lundi 9 décembre
2002
Julie a téléphoné ce
soir : elle est très bien arrivée à Paris,
je suis contente ! Le téléphone a sonné
ce soir, c'est sa mère qui appelait la mienne. Elles
ont discuté vingt bonnes minutes, et moi à côté
je me lamentais d'impatience, j'avais envie d'arracher le
téléphone de la main de ma mère et de
dire à Mireille : " Oui c'est bien passe-moi ta
fille maintenant merci "
Enfin on a pu discuter
un peu, avec Julie. Beaucoup, même. Je voulais tout
savoir alors elle m'a tout raconté.
Tout d'abord le voyage en train, qui a bizarrement été
très agréable. Je dis " bizarrement "
car en général un voyage en train n'est pas
quelque chose de très amusant. Mais là si. En
effet, à un moment le train s'est arrêté
dans une gare, des gens sont descendus et d'autres sont montés.
Et quand il est reparti, les voyageurs ont entendu une voix
qui appelait au bout du wagon : " Eh Marco ! Je suis
encore là ! "
Le Marco en question se retourne
et ouvre d'immenses yeux : " Beh qu'est ce que tu fous
dans le train ? " Et l'autre : " Ben j'ai pas eu
le temps de descendre ! " Eh eh
le type il est
monté dans le train pour aider son ami à monter
ses bagages, mais il n'avait pas eu le temps de quitter le
wagon avant le départ
et le voilà rendu
pour Paris où il n'a strictement rien à faire
Ce n'est pas marrant, on devrait avoir honte d'en rire, mais
Julie ne s'est pas gênée, et elle en riait encore
en me le racontant au téléphone. Mais le plus
beau de l'histoire, c'est que le monsieur, en plus d'être
monté dans le train, avait oublié l'un des bagages
sur le quai ! Il se retrouvait dans un train dans lequel il
n'avait rien à faire, tout en ayant abandonné
un pauvre petit sac sur le quai de gare. Il y a des gens,
franchement, qui vivent dans un autre monde. Mais c'est beau.
Son ami Marco était un peu déçu pour
son sac, mais il se moquait surtout de l'étourderie
de son compère, qui à l'entendre n'en était
pas à sa première gaffe du genre, un spécialiste
même à en croire ses dires
Il répétait
: " Alors des comme toi mon vieux y en a pas deux
" Ou encore " Si tu n'existais pas il faudrait t'inventer
"Et l'autre ça le faisait rire, il le prenait
bien, tant mieux !
Puis il a parcouru tout le wagon en long en large et en travers
en demandant aux gens " z'auriez pas vu un petit sac
noir avec marqué SFR dessus ? " Car à vrai
dire il n'était pas certain de l'avoir oublié
sur le quai. Mais personne ne l'avait vu, le fameux petit
sac noir avec marqué SFR dessus. Alors il s'est assis
à côté de son ami Marco en rigolant de
sa bêtise. Puis le contrôleur est passé
alors il lui a tout raconté afin que celui-ci prévienne
le personnel de gare de fouiller le quai à la recherche
du sac. Mais vingt minutes plus tard, le contrôleur
est revenu : " ils ont parcouru tout le quai ils n'ont
pas vu de sac
il était comment ? " L'autre
: " un petit sac noir avec marqué SFR " Et
là le contrôleur baisse les yeux et fronce les
sourcils en regardant par terre : " ce n'est pas celui-là
? " Le rêveur regarde : le sac était juste
à côté de lui, légèrement
glissé sous le siège
Là je dis
bravo. Monter dans un train dans lequel on n'a rien à
faire puis alerter tout le personnel d'une gare pour leur
demander de chercher un sac qui est juste à côté
de soi, effectivement, s'il n'existait pas, ce gars-là
il faudrait l'inventer
En me racontant cela Julie n'arrêtait pas de rire, et
moi aussi d'ailleurs ça m'a bien amusée. Au
moins le voyage n'aura pas été triste !
Mais revenons à l'essentiel.
C'est à la gare Montparnasse qu'elles sont arrivées,
Julie et sa mère. Elle m'a expliqué qu'il y
avait six ou sept gars à Paris, mais qu'à elle
seule la gare Montparnasse était vingt à trente
fois plus grande que celle de La Rochelle. Ca laisse pensif,
quand même
Elles n'avaient pas marché dix
mètres depuis la porte du train qu'un homme leur demandait
déjà si elles n'avaient pas une petite pièce
pour lui
Ensuite, le métro. Elles ont regagné
l'appartement qu'elles avaient quitté il y a un peu
plus d'un mois en espérant ne plus avoir à y
retourner
Je lui ai demandé où était situé
cet appartement car j'aime bien situer les choses avec précision,
même si à vrai dire je n'étais guère
avancée d'apprendre qu'il se trouvait entre le canal
St Martin et le boulevard Magenta, étant donné
que je ne connais ni l'un ni l'autre
étant donné
même que je ne connais rien du tout de Paris, moi qui
n'ai presque jamais mis les pieds en dehors de La Rochelle.
Et je l'ai accablée de milliers de questions car je
voulais tout savoir. J'aime bien pouvoir m'imaginer l'endroit
dans lequel les gens que j'aime vivent, ce qu'ils ont en face
des yeux quand ils mettent le nez à leur fenêtre,
sur quelle distance ils doivent se déplacer pour aller
faire leurs courses, enfin tous ces petits détails
qui créent le décor d'une vie. Ainsi son appartement
est assez petit, quatre pièces en tout, un peu comme
celui qu'elles occupaient ici, mais cette fois-ci c'est dans
un vieux bâtiment. Le bâtiment en face est si
proche qu'elle voit tout ce que font les gens qui y vivent,
qui eux-mêmes voit tout ce qu'elle fait. En bas, une
cour triangulaire. Et au rez-de-chaussée une bande
d'allumés qui jouent du reggae toute la nuit, et que
sans arrêt les voisins viennent leur demander de jouer
moins fort, et que sans arrêt ils tombent des nues d'apprendre
qu'ils font du bruit, et que sans arrêt ils s'excusent
mais ne jouent moins fort que les dix minutes qui suivent
Chouette !
Elles vivent tout près d'une station de métro,
ce qui est très pratique m'a-t-elle dit. Par contre
elles sont au quatrième étage sans ascenseur,
et là pas pratique du tout quand tu reviens des courses.
Elle est allée au lycée aujourd'hui, comme si
de rien n'était. C'est fou, elle est arrivée
hier et sa vie a déjà repris son cours, je ne
sais pas comment elle fait
Par contre, son père n'est pas là, et c'est
la petite chose qui m'inquiète encore. Apparemment
c'est un drôle de numéro, son père, et
j'ai bien peur que les choses se gâtent dès son
arrivée. En attendant ce monsieur est à Lille,
je me demande bien ce qu'il fait là-bas, lui qui exige
que sa famille revienne vivre près de lui, la moindre
des choses aurait quand même été de l'accueillir.
Mais Julie semblait ne pas avoir envie de parler de ça,
alors j'ai évité le sujet. Mais pour le moment
tout va bien, c'est le principal.
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