journal intime
147 _ mardi 29 avril 2003

Dans le bar-tabac

La semaine dernière, nous l'avons passée en grande partie au bistrot. N'allez pas croire que nous sommes des pochtrons, non, c'est juste que la copine de mon cousin travaille dans le bar-tabac au coin de la rue, comme je l'ai dit quand j'ai parlé d'elle la première fois. Mais cette fille, je ne l'ai pas encore présentée, le moment est peut-être venu de le faire.
Comme autre prénom, je vais lui donner Mathilde. Son point positif : elle ne fait pas d'études. C'est un point positif car c'est la seule parmi nous. Eh oui, Julie et moi sommes lycéennes, mon copain et mon cousin étudiants, tous ces cérébraux ensemble ce n'est pas forcément bon. Alors avec Mathilde, ça fait au moins une personne qui ne fait pas marcher que son cerveau. C'est son père qui tient la boutique. J'ai essayé d'obtenir des prix sur le tabac mais il n'a jamais voulu, il me dit qu'il refuse de m'inciter à la consommation en me faisant payer les paquets moins chers. Qu'à la limite il voulait bien m'offrir le café sans problème, ou encore me faire des ristournes sur les stylos ou les cartes postales, mais ça lui donnerait mauvaise conscience s'il me soldait le tabac. J'ai eu beau lui expliquer que quel que soit le prix, je ne fumerais ni plus ni moins, je n'ai pas réussi à le faire fléchir. Il a quand même fait une petite concession sur les briquets, mais c'est beaucoup moins valable…
Ainsi la semaine dernière, dès qu'on ne savait pas quoi faire, eh bien on descendait dans la rue, on allait s'asseoir à une table du bistrot, de préférence à côté de la vitre, et on regardait passer les gens dans la rue. Ca pouvait parfois durer deux ou trois heures, ce petit jeu agréable. Mais désormais Julie est repartie, mon copain et mon cousin ont repris les cours, alors au bistrot, j'y vais toute seule. Par exemple ce matin, mon degré de motivation pour me mettre au travail était au-dessous de zéro. Alors pour m'encourager, j'ai décidé de changer de décor et me rendre dans le bistrot. Je me suis assise à une petite table au fond, et j'ai réussi à étudier sérieusement. De temps en temps j'échangeais quelques mots avec Mathilde qui m'a offert le café, c'était chouette. Avec mon chien étalé sur le sol qui roupillait à côté de moi, je devais passer pour une vieille habituée ! Je suis restée jusque vers onze heures, ensuite je suis rentrée car je ne voulais quand même pas monopoliser une table à moi toute seule, au moment où les clients arrivaient.
Le clou de la semaine, c'est une soirée qu'on s'est faite dans le bar. Les volets et la porte étaient fermés, si bien que de l'extérieur on ne pouvait pas deviner qu'il y avait de l'animation dedans. On avait la salle pour nous tout seuls. On s'est installé dans un coin de la pièce, sur les banquettes, en se passant de la musique. David et Greg avaient invité du monde, on était une bonne douzaine là-dedans. Les boissons nous étaient même offertes. Mais comme on ne voulait pas abuser, on les a achetées avant de venir.
Pour une fois je n'étais pas la plus jeune, puisque c'était Julie. Elle était un petit peu perdue au milieu mais c'est normal, et je pense qu'elle a bien apprécié quand même. Moi aussi en arrivant à Paris début janvier, j'étais toujours paumée lors de ces petites soirées. Mais maintenant que je commence à connaître un peu tout le monde, les choses se passent beaucoup mieux. Dans le bar il y a un baby foot et un billard, gratuits pour nous ce soir-là. On a fait une partie de baby, Julie et moi sommes toujours aussi nulles depuis La Rochelle, mais ça nous a bien amusées quand même. Idem pour le billard, je suis maladroite comme ça devrait être interdit de l'être. Mais je le vis plutôt bien. L'une des filles a commencé à passer de la sale musique et à danser toute seule. Comme elle voyait que personne ne la rejoignait, elle nous a appelés. David lui a répondu : " le jour où je me déhancherai sur de la dance, il pleuvra de la merde ", en imitant le danseur de dance moyen, ridicule, au milieu de la piste, qui pense que tout le monde le regarde. Eh eh… Alors la fille a arrêté de nous soûler avec sa musique à deux kopeks et est revenue s'asseoir.
Ca buvait beaucoup, beaucoup… à part Julie et moi qui carburions au jus d'orange. Vers minuit, mon cousin a rempli mon verre de vodka en me demandant si j'avais soif. Le temps que je réponde, le verre était déjà à moitié plein. Bon… alors j'ai bu une gorgée de vodka pure, et ça m'a littéralement arraché la gorge. Julie rigolait de me voir souffler pour essayer de me refroidir la bouche. Alors j'ai repoussé le verre, c'en était trop pour moi. Et puis déjà que je fume beaucoup, si en plus je me mets à boire… quoique c'est pas un crime non plus.
Vers une heure du matin, la pièce s'était transformée en un aquarium de fumée, mon chien était tout nerveux. Alors avec Julie, on est sorties le promener. On a discuté en chemin… Elle me pose pas mal de questions sur David et moi, plus pour comprendre certaines choses que par curiosité. Moi à son âge, il y a deux ans, j'avais aussi beaucoup de questions, et je regrettais que personne ne soit là pour y répondre. Alors j'essaie d'aider au mieux Julie, le plus sérieusement possible, même si très souvent ses questions me donnent envie de rire. Ce ne sont pas tant ses questions en elles-mêmes qui me donnent envie de rire, mais plutôt sa façon de les poser. Toujours très calmement, très posément, et très attentive à la réponse… Ainsi elle me disait en souriant légèrement : " Je vous ai entendus faire l'amour hier soir, je pouvais plus dormir après ça… " Eh eh. Ensuite : " Vous allez faire l'amour tout à l'heure ?
_ Ben ouais… mais David va être bourré, ce sera pas génial.
_ Pourquoi ? Ca change quoi ?
_ Il ne sait plus très bien ce qu'il fait quand il est bourré. Mais c'est assez rare, juste quand il y a un apéro comme ce soir.
_ Et ça t'embête ?
_ Qu'il soit bourré ?
_ Non ! Qu'il fasse pas bien l'amour quand il est bourré…
_ Bah oui un p'tit peu mais c'est pas grave, du moment que c'est pas souvent ".
On est revenues un peu plus tard au bistrot. Tout le monde buvait, personne ne nous a vues entrer.

Main dans la main en belle tenue
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