La semaine dernière,
nous l'avons passée en grande partie au
bistrot. N'allez pas croire que nous sommes des
pochtrons, non, c'est juste que la copine de mon
cousin travaille dans le bar-tabac au coin de
la rue, comme je l'ai dit quand j'ai parlé
d'elle la première
fois. Mais cette fille, je ne l'ai pas encore
présentée, le moment est peut-être
venu de le faire.
Comme autre prénom, je vais lui donner
Mathilde. Son point positif : elle ne fait pas
d'études. C'est un point positif car c'est
la seule parmi nous. Eh oui, Julie et moi sommes
lycéennes, mon copain et mon cousin étudiants,
tous ces cérébraux ensemble ce n'est
pas forcément bon. Alors avec Mathilde,
ça fait au moins une personne qui ne fait
pas marcher que son cerveau. C'est son père
qui tient la boutique. J'ai essayé d'obtenir
des prix sur le tabac mais il n'a jamais voulu,
il me dit qu'il refuse de m'inciter à la
consommation en me faisant payer les paquets moins
chers. Qu'à la limite il voulait bien m'offrir
le café sans problème, ou encore
me faire des ristournes sur les stylos ou les
cartes postales, mais ça lui donnerait
mauvaise conscience s'il me soldait le tabac.
J'ai eu beau lui expliquer que quel que soit le
prix, je ne fumerais ni plus ni moins, je n'ai
pas réussi à le faire fléchir.
Il a quand même fait une petite concession
sur les briquets, mais c'est beaucoup moins valable
Ainsi la semaine dernière, dès qu'on
ne savait pas quoi faire, eh bien on descendait
dans la rue, on allait s'asseoir à une
table du bistrot, de préférence
à côté de la vitre, et on
regardait passer les gens dans la rue. Ca pouvait
parfois durer deux ou trois heures, ce petit jeu
agréable. Mais désormais Julie est
repartie, mon copain et mon cousin ont repris
les cours, alors au bistrot, j'y vais toute seule.
Par exemple ce matin, mon degré de motivation
pour me mettre au travail était au-dessous
de zéro. Alors pour m'encourager, j'ai
décidé de changer de décor
et me rendre dans le bistrot. Je me suis assise
à une petite table au fond, et j'ai réussi
à étudier sérieusement. De
temps en temps j'échangeais quelques mots
avec Mathilde qui m'a offert le café, c'était
chouette. Avec mon chien étalé sur
le sol qui roupillait à côté
de moi, je devais passer pour une vieille habituée
! Je suis restée jusque vers onze heures,
ensuite je suis rentrée car je ne voulais
quand même pas monopoliser une table à
moi toute seule, au moment où les clients
arrivaient.
Le clou de la semaine, c'est une soirée
qu'on s'est faite dans le bar. Les volets et la
porte étaient fermés, si bien que
de l'extérieur on ne pouvait pas deviner
qu'il y avait de l'animation dedans. On avait
la salle pour nous tout seuls. On s'est installé
dans un coin de la pièce, sur les banquettes,
en se passant de la musique. David et Greg avaient
invité du monde, on était une bonne
douzaine là-dedans. Les boissons nous étaient
même offertes. Mais comme on ne voulait
pas abuser, on les a achetées avant de
venir.
Pour une fois je n'étais pas la plus jeune,
puisque c'était Julie. Elle était
un petit peu perdue au milieu mais c'est normal,
et je pense qu'elle a bien apprécié
quand même. Moi aussi en arrivant à
Paris début janvier, j'étais toujours
paumée lors de ces petites soirées.
Mais maintenant que je commence à connaître
un peu tout le monde, les choses se passent beaucoup
mieux. Dans le bar il y a un baby foot et un billard,
gratuits pour nous ce soir-là. On a fait
une partie de baby, Julie et moi sommes toujours
aussi nulles depuis La Rochelle, mais ça
nous a bien amusées quand même. Idem
pour le billard, je suis maladroite comme ça
devrait être interdit de l'être. Mais
je le vis plutôt bien. L'une des filles
a commencé à passer de la sale musique
et à danser toute seule. Comme elle voyait
que personne ne la rejoignait, elle nous a appelés.
David lui a répondu : " le jour où
je me déhancherai sur de la dance, il pleuvra
de la merde ", en imitant le danseur de dance
moyen, ridicule, au milieu de la piste, qui pense
que tout le monde le regarde. Eh eh
Alors
la fille a arrêté de nous soûler
avec sa musique à deux kopeks et est revenue
s'asseoir.
Ca buvait beaucoup, beaucoup
à part
Julie et moi qui carburions au jus d'orange. Vers
minuit, mon cousin a rempli mon verre de vodka
en me demandant si j'avais soif. Le temps que
je réponde, le verre était déjà
à moitié plein. Bon
alors
j'ai bu une gorgée de vodka pure, et ça
m'a littéralement arraché la gorge.
Julie rigolait de me voir souffler pour essayer
de me refroidir la bouche. Alors j'ai repoussé
le verre, c'en était trop pour moi. Et
puis déjà que je fume beaucoup,
si en plus je me mets à boire
quoique
c'est pas un crime non plus.
Vers une heure du matin, la pièce s'était
transformée en un aquarium de fumée,
mon chien était tout nerveux. Alors avec
Julie, on est sorties le promener. On a discuté
en chemin
Elle me pose pas mal de questions
sur David et moi, plus pour comprendre certaines
choses que par curiosité. Moi à
son âge, il y a deux ans, j'avais aussi
beaucoup de questions, et je regrettais que personne
ne soit là pour y répondre. Alors
j'essaie d'aider au mieux Julie, le plus sérieusement
possible, même si très souvent ses
questions me donnent envie de rire. Ce ne sont
pas tant ses questions en elles-mêmes qui
me donnent envie de rire, mais plutôt sa
façon de les poser. Toujours très
calmement, très posément, et très
attentive à la réponse
Ainsi
elle me disait en souriant légèrement
: " Je vous ai entendus faire l'amour hier
soir, je pouvais plus dormir après ça
" Eh eh. Ensuite : " Vous allez faire
l'amour tout à l'heure ?
_ Ben ouais
mais David va être bourré,
ce sera pas génial.
_ Pourquoi ? Ca change quoi ?
_ Il ne sait plus très bien ce qu'il fait
quand il est bourré. Mais c'est assez rare,
juste quand il y a un apéro comme ce soir.
_ Et ça t'embête ?
_ Qu'il soit bourré ?
_ Non ! Qu'il fasse pas bien l'amour quand il
est bourré
_ Bah oui un p'tit peu mais c'est pas grave, du
moment que c'est pas souvent ".
On est revenues un peu plus tard au bistrot. Tout
le monde buvait, personne ne nous a vues entrer.

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