Quand je suis
arrivée à Paris début janvier,
mon cousin me parlait souvent de la fille du bar-tabac
d'en bas. Dès la première matinée
du premier lundi, alors qu'il se sauvait à
l'université, je lui ai demandé
: "Où c'est que je peux acheter des
cigarettes ici ?" Il m'a répondu :
"Y a un bar-tabac au coin de la rue. Et tu
vas voir la vendeuse, hmmm
" Effectivement,
j'ai vu la vendeuse, hmmm
Ensuite, il me répétait chaque jour
"demain matin je lui demande son prénom".
Mais il répétait il répétait,
et ne faisait rien. Alors je l'ai menacé
: "si ce soir tu ne connais pas son prénom,
eh bien c'est moi qui vais lui demander".
Il était énervé, mais le
soir il connaissait le prénom. Merci qui
? Merci la cousine. Un jour il me sort comme ça
: "tu verrais elle est blonde avec des reflets
cuivre, des yeux bleu-verts
" Attends,
lui ai-je dit, je vais acheter mon tabac tous
les matins, je sais bien comment elle est ! Un
peu plus tard, j'ai eu l'occasion de parler une
vingtaine de minutes avec la fille, un soir, alors
que son père fermait la boutique. Alors
j'ai raconté ça à mon cousin.
Il était jaloux ! Attends, lui ai-je dit,
moi j'ai un copain, et elle n'est pas lesbienne
à ce que je sache. Et moi non plus.
Et puis il me répétait sans cesse,
je vais l'inviter à boire un pot. Mais
il répétait il répétait,
et ne faisait rien. Alors je l'ai menacé
: "si ce soir tu ne l'as pas invitée,
c'est moi qui vais lui proposer de venir boire
un café ici". Il était énervé,
mais il s'est lancé. Et elle a accepté.
Merci qui ? Merci la cousine. Depuis quelques
jours, ils sortent ensemble. J'ai hésité
à en parler ici, dans mon journal, vu que
mon cousin va tout lire. Mais tant pis, c'est
comme ça, je ne vais pas m'empêcher
de raconter une jolie histoire d'amour à
cause de lui.
Mine de rien avec tout ça, pour la deuxième
semaine de vacances, entre Julie, mon copain,
mon cousin et sa copine aux cheveux blonds avec
des reflets cuivre et des yeux bleu-verts, on
sera cinq dans l'appartement. Ca va être
du propre. On vivra comme ça relax, y aura
les matelas par-terre, les voisins seront furax,
on fera un boucan d'enfer. Retour au temps des
hippies ! Je n'ai plus qu'à me passer des
fleurs dans les cheveux et à fumer le calumet
de la paix.
Il y a une maison à La Nouvelle Orléans,
qu'on appelle la maison du soleil levant. Quelle
jolie phrase pour un début de printemps
! Dommage qu'elle ne soit pas de moi. Avec ma
connaissance pitoyable de la langue de Shakespeare,
j'arrive quand même à traduire quelques
petits bouts de chansons par-ci par-là.
J'ai cette phrase en tête, ces temps-ci.
Je suis très Louisiane, depuis quelques
jours. C'est à cause de David, qui n'arrête
pas de me passer des vieux blues de l'époque
des ghettos du Mississipi, quand ils jouaient
de la musique sur un bout de bois avec des cordes,
qu'ils donnaient des concerts dans les bistrots
paumés, qu'ils jouaient uniquement pour
le plaisir, en transpirant au soleil après
une journée de travail dans les champs.
Ca c'était bon. J'aimerais bien aller là-bas,
à La Nouvelle Orléans, ou à
Memphis dans le Tennessee, enfin dans le quartier
de l'embouchure du Mississipi, faire un remake
de Tom Sawyer c'est l'Amérique le pays
de la liberté.
Mais pas ailleurs. L'Amérique ne m'attire
pas du tout. Et à choisir je préfèrerais
aller dans le Sud, genre Brésil, plutôt
que dans le Nord. Imaginez New-York, comme ça
doit être laid. Et Washington
Et pire,
Los Angeles et Las Vegas, pays du fric et du bizness,
symbole de tout ce que je rejette. Et n'allez
pas croire que c'est dû aux événements
actuels, non non, mon dégoût des
States date de bien avant, et je l'ai hérité
de ma tendre sur. Seulement voilà,
il y a quand même un petit coin que j'aimerais
bien visiter : La Louisiane et le Tennessee. Tout
vient de là-bas, en musique. C'est le point
zéro. Et David me le fait découvrir.
Lui il écoute de tout, et ça entre
autres, et en plus il me raconte les petites histoires
des grands artistes, il en a une connaissance
incroyable, j'adore ça.
Ce matin, alors que je prenais ma douche, il a
envoyé le son avec Robert Johnson. Voilà
qui est bien bon ma foi. The guitariste. Mort
jeune, après avoir enregistré seulement
deux disques dans une chambre d'hôtel, mais
qui a inspiré des milliers d'artistes.
A commencer par les Stones d'ailleurs. Après
je buvais mon café sous ses paroles, et
je me disais qu'aucune musique ne pouvait mieux
représenter un réveil matinal. Tu
sais, quand tu es reposé par une longue
nuit d'amour, mais déçu de ne pas
la prolonger, énervé de devoir aller
travailler, mais content de ne pas encore y être.
J'ai commencé à feuilleter le petit
livret fourni avec le disque, et ça m'a
mise drôlement en retard. Mais c'était
passionnant. J'en ai même oublié
de finir mon café, qui était tout
froid. Dommage, le livret était en anglais,
et l'anglais et moi, ça fait deux. Mais
il y avait de belles images. Robert Johnson, dans
un costard cravate tout de travers, un chapeau,
et un immense sourire sur les lèvres. Tu
m'étonnes, ils prenaient tellement rarement
des photos à l'époque, qu'il valait
mieux ne pas les rater et s'habiller décemment.
Quoiqu'il y en a une autre où il n'a plus
le sourire, où celui-ci a été
remplacé par une longue cigarette, qui
entre parenthèses n'est même pas
allumée. Et puis il y a des images de ses
amis, des musiciens qu'il a inspirés, presque
tous des Noirs. Et des photos de là-bas.
Et puis une copie de l'acte de décès,
il avait vingt-six ans apparemment, mais cette
information n'est pas certaine. Et puis j'ai lu
l'aventure terrible de sa mort. J'espère
que j'ai bien compris, parce que c'était
en anglais. Robert était attiré
par une lady, et le mari de cette lady était
jaloux. Lors d'une pause à un concert,
on a offert une bouteille de whisky à Robert.
Son copain a saisi la bouteille et l'a brisée
sur le sol, lui disant : " Man, ne bois jamais
dans une bouteille déjà ouverte,
tu sais pas ce qu'il peut y avoir dedans ".
Robert a répondu : " Man, ne casse
plus jamais une bouteille qui est entre mes mains
". Un peu plus tard, une seconde bouteille
fut apportée. Robert a bu
et il est
mort empoisonné.
Pourtant c'était un bon. A côté
de lui, Carlos Santana peut ranger sa guitare,
remballer sa daube, se rhabiller et rentrer chez
lui.
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