journal intime
134 _ jeudi 3 avril 2003

Poisson d'avril

Un lecteur m'a fait remarquer que je n'avais même fait une bonne grosse blague dans mon journal pour le premier avril. Eh bien figurez-vous que je n'y ai même pas pensé, d'ailleurs je ne pense jamais à ce genre de choses. C'est pratique pour les autres : je gobe tout ce qu'on me raconte ce jour-là. Eh oui, je suis naïve. Mais je l'assume et le vis plutôt bien. Et puis mon chien me disait ce matin : " une vérité est dépassée sitôt qu'elle est énoncée ". Aussi, si je dis que je suis naïve c'est que je le sais, et donc si je le sais je ne le suis pas tant que ça.
Allez, je vais faire un petit effort à retardement pour ce premier avril : je suis enceinte. Eh oui, malgré l'utilisation de trois préservatifs les uns par-dessus les autres à chaque rapport, sexuel ou non, eh bien j'ai un petit bébé dans le ventre depuis trois jours. Et le kiné est formel : c'est un garçon. C'est David qui va être content ! Enfin quand je lui dirai, parce que je veux d'abord être sûre que c'est bien lui le père, sait-on jamais. Ben oui, il paraît que maintenant on peut faire un bébé toute seule. Tu commandes un magazine de papas, avec plein de photos d'hommes dedans, tu en choisis un, beau de préférence, parce qu'autant faire les choses proprement, tu passes une commande, et ils t'envoient un colis avec un tube de semence. Tu bois la semence et neuf mois plus tard, le petit sort tout seul. Mais il paraît que ce n'est pas encore très efficace et que ça ne marche qu'une fois sur deux : si vous êtes un homme, c'est perdu d'avance.
Poisson d'avril, je suis même pas enceinte. Et heureusement d'ailleurs. Je m'imagine mal téléphoner à ma mère : " _ Maman, je suis enceinte. _ Tu plaisantes ? _ Non non. _ Mais comment t'as fait ! ? _ Beh chais po. _ Bon ben tu vas avorter ? _ Ah non ! Pas question ! Je le garde ! " Hou la la… je crois que même dans une famille ouverte et pas très catholique comme la mienne, ça coincerait légèrement. Trois mois plus tard : " Maman, bonne nouvelle, ce sont des jumeaux. _ Mais comment t'as fait ? _ Beh chais po. _ Bon ben tu gardes le plus beau et tu éjectes l'autre immédiatement ! _ Ah non ! Pas question ! Il m'en voudrait toute sa vie ! "
Trêve de plaisanteries, je ne suis pas enceinte. Enfin j'espère.
Ca c'était pour la rubrique " rions un peu ", passons maintenant à la rubrique " concentrons-nous ".
Il paraît que l'article sur le théâtre que j'ai écrit pour le journal est mauvais. Ou plus exactement, il ne suit pas la " ligne éditoriale " de la revue. Je m'enflamme trop, je ne suis pas objective, et puis je consacre une longue première partie à la troupe de Cécile, et une toute petite au second atelier. Mais je n'y peux rien, moi, si Cécile est quelqu'un de fantastique, et que la deuxième troupe est insipide… J'étais assez déçue par la réaction de mes collègues. J'ai posté mon article sur le site privé hier, et j'ai récolté deux ou trois commentaires assez mitigés. Mais l'essentiel, c'est que l'article plaise au chef, au professeur. Mais même lui, ben il a trouvé ça moyen. Je suis allée le voir ce matin à l'Université (au passage merci la grève), parce que dialoguer sur le Net ça va deux minutes, rien ne vaut un bon face à face. On a discuté une vingtaine de minutes. Il m'a dit que mon article n'était pas mauvais, non, loin de là, mais j'aurais dû présenter les choses de façon plus sobre, plus posée, et faire un peu moins de pub.
Je trouvais que ce dernier argument n'était pas très logique. Pourquoi écrit-on, dans ce journal distribué gratuitement ? Pour présenter les différentes activités du coin, les différentes associations, les gens qui s'investissent. Donc forcément, on écrit pour les faire connaître, pour leur faire un peu de pub, je crois… Je n'aime pas la pub, mais quand elle est faite proprement, comme par exemple dans un bel article de journal, eh bien ça ne me dérange pas. Donc oui, j'ai fait de la pub à l'atelier théâtre de Cécile, car j'ai envie que tout le monde aille les voir jouer. Et je suis sûre que mon article aurait été efficace en ce sens. Mais non, apparemment j'en ai fait un peu trop.
Le professeur a fait des gribouillages sur mon texte, pour m'indiquer quelles étaient les parties à conserver, les parties à supprimer, et les parties à développer. Bon, ben je n'ai plus qu'à recommencer.
Je suis sortie de son bureau et suis descendue dans le petit parc, en bas. Je me suis assise sur un banc et j'ai profité de mon droit de fumer. Et j'ai réfléchi, activité courante quand on est assis sur un banc et qu'on n'a rien à faire. D'accord, je suis nouvelle dans ce journal, et je dois m'adapter. C'est à moi de suivre la " ligne éditoriale ", pas à la ligne éditoriale de s'adapter à moi. Il est donc normal que je modifie mon article. Ok, n'en parlons plus. Mais quand même, je sentais qu'il y avait quelque chose à faire, sans savoir trop quoi. Et là, j'ai eu une idée de génie. Oui, de génie. Puisque mon article ne répond pas à la demande, il n'y a qu'à proposer une autre demande !
Je suis immédiatement retournée voir le professeur pour lui faire part de mon projet. Je lui ai dit que plutôt que de rédiger une bafouille sur la représentation théâtrale à laquelle Caroline et moi avons assisté, eh bien je pourrais rédiger une bafouille sur les coulisses, je veux dire sur l'activité proprement dite de l'association. Dire ce qu'il y a derrière, et non me contenter du spectacle en lui-même. Dire qui fait quoi, qui anime, comment, etc… Eh bien le professeur a trouvé mon idée excellente et m'a donné carte blanche, j'étais bien contente ! Il m'a juste demandé d'en parler d'abord à Caroline, vu qu'on fait équipe, ce n'est pas qu'à moi de prendre les décisions. Mais Caroline est d'accord.
Je vais donc retourner assister à une répétition la semaine prochaine, pour poser des questions plus axées sur mon article. Et je vais faire un truc magnifique, je le vois d'ici.

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