journal intime
133 _ mercredi 2 avril 2003

Dans le bus

En fin de matinée j'étais dans le bus, le chauffeur avait mis la radio, c'était "Pour un flirt avec toi". C'est nul ces chansons, ça vaut pas un kopek, mais quand tu l'entends une fois tu l'as en tête tout le reste de la journée. Pourtant, j'aurais fait n'importe quoi pour qu'il coupe le son. Après ça, "Si j'avais un marteau", de Claude François. Là je me suis dit en moi-même " encore une chanson de ce genre et je sors de ce bus ". Ben oui, il ne faut quand même pas exagérer…
Je revenais du Monoprix de Saint Augustin, vu que c'est le plus proche de chez nous, et que c'est presque toujours moi qui fais les courses. Je n'avais pas grand chose, juste une poche de provisions, des choses que j'avais oubliées la dernière fois, comme je ne fais jamais de liste. Et puis plutôt que de rentrer à pied, j'ai voulu voyager un peu. Alors j'ai pris un bus au hasard, vers une destination inconnue et peut-être nouvelle. J'étais assise tout à fait devant, près du conducteur, près du bon son qu'il nous donnait. Morceau suivant : Jimmy Cliff. Le reggea commercial merci, hop j'appuie sur le bouton arrêt et je descends.
J'ai marché comme ça, sans vraiment savoir où j'étais, et je me suis retrouvée devant un lycée. Il était midi : les élèves sortaient tous d'un seul bloc en discutant ou en rigolant. Moi j'ai voulu entrer. C'est pas que l'ambiance du lycée me manque, non, je suis très contente de suivre mes cours par correspondance. Mais bon, je n'avais rien à faire, et puis j'aime bien pénétrer à l'intérieur des vieux bâtiments. J'ai réussi à m'infiltrer à contre-courant, et à entrer dans la cour, qui d'ailleurs était plutôt charmante, avec un petit coin de verdure, des bancs, et un peuplier. Je me suis assise près de l'arbre avec ma poche Monoprix, je devais être très élégante. Mais si l'habit ne fait pas le moine, la poche Monoprix ne fait pas non plus la consommatrice de base. J'ai commencé à me rouler une cigarette, tranquille. Et là, une femme vient me voir. Sans doute une surveillante, parce que pas assez jeune pour être élève, et une prof ne serait pas venue ici. J'avais fini de rouler ma cigarette, et elle me fait comme ça : " vous voulez mon briquet ? " Moi : " non ça va merci j'en ai un ". Elle me regarde ébahie : " tu te fous de ma gueule ? " C'est là que j'ai compris qu'il était interdit de fumer dans l'enceinte du bâtiment. J'ai rangé ma cigarette pour plus tard en disant que je n'avais pas vu, et elle est partie. Mine de rien, cette femme était très désagréable. Notez bien comme elle m'a parlé : elle a d'abord employé le vouvoiement, puis est passée au tutoiement. Est-ce une manière correcte de procéder ?
A tous les coups je suis dans un lycée privé, ai-je pensé. Eh bien j'avais raison. J'avais entendu dire, en effet, qu'il était interdit de fumer dans de nombreux lycées privés, allez savoir pourquoi. Pfff... et dire que Julie risque de se retrouver là-dedans l'an prochain. Tiens à propos de Julie, j'ai vu dernièrement que son ancien appartement, près du canal, était désormais occupé par de nouveaux locataires. C'est bizarre, de changer sans arrêt de lieu ainsi, moi ça me dérangerait je crois. C'est important, je pense, de se sentir vraiment chez soi quelque part. D'avoir un lieu dans lequel tu as tes repères. Cet appartement de Julie, je l'ai un jour décrit dans mon journal. Et puis j'ai effacé le texte, car le lendemain Julie m'avait téléphoné en larmes, et dans ma tristesse j'avais supprimé l'entrée de la veille. Peut-être que certains d'entre vous s'en rappellent, c'était en décembre, le 10. Eh bien je vais le remettre, ce texte. Eh oui, il est ici. Deux textes pour le prix d'un, ça s'passe comme ça chez Aglaia.
Mais revenons à Julie : elle sera bientôt ici, à Paris. Pour ses vacances. Je suis trop impatiente, je sens qu'on va bien s'amuser elle et moi. Allez, Julie, viens vite, j'ai des trucs à te montrer. Deux semaines avec elle, ça va être chouette. Je me demande comment je vais faire pour écrire dans mon journal pendant tout ce temps. La première semaine ça ira car on sera seules toutes les deux, David compte aller voir ses parents qui vivent en province, en bons retraités fatigués qu'ils sont. Mais la seconde, il sera là, et peut-être même qu'il y aura aussi mon cousin si Poitiers l'ennuie trop. Je ne sais pas… A moins que j'apprenne à Julie que je publie mon journal intime sur le Net. Mais sans lui donner l'adresse ni mon pseudo. Comme ça, Julie saurait ce que je fais sur l'ordi, et ça m'éviterait de me cacher. Et puis l'Internet et elle ça fait deux, je crois même qu'elle n'y est jamais allée de sa vie. Chez moi, à La Rochelle, quand j'allumais l'ordi elle regardait vaguement l'écran puis allait s'asseoir sur le lit, pas tellement intéressée. Il y a des gens qui n'accrochent pas trop, avec ça. Donc si ça se trouve, si je lui dis que je raconte ma vie sur le Net, elle ne va même pas comprendre ce que ça signifie.
Enfin c'est ce que je pense aujourd'hui, mais peut-être que je changerai d'avis demain. Parce qu'aujourd'hui, je me fous de tout. Il y des jours comme ça où tout m'est indifférent. La Terre tremble ? Pas de problème. Ma mère lit mon journal intime ? Pas de problème. Je rigole bien sûr, ça m'embêterait bien qu'elle tombe dessus.
A part ça, j'ai vu la conseillère d'orientation hier, qui m'a renseignée sur la façon dont on devient journaliste. Bon alors il y a trois fameuses écoles, mais elles sont privées, et vous savez ce que je pense des écoles privées. Il y a aussi des DUT, mais certainement pas pour moi, ces machins là ça ressemble trop au lycée. Je ne l'ai pas quitté pour y retourner l'an prochain. Non, moi il me faut une fac, où tu es en totale liberté, où tu fais ce qui te chante. Si tu veux travailler, tu travailles, si tu veux te la couler douce, tu te la coules douce. Moi je veux travailler. Mais à ma manière. Seule. J'irai aux cours intéressants, et pour les cours ennuyeux, je me trouverai de bons bouquins. Voilà ce qu'il me faut. Conclusion, je vais m'inscrire en fac de lettres. Je fais ça trois ans, et après je me spécialise pour le journalisme. Par contre, je crois qu'ils sont en train de changer le système DEUG - licence, franchement ils abusent, ils auraient pu attendre que je sois passée avant de le faire.

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