journal intime
185 _ mercredi 2 juillet 2003

Collection de cartes postales

Avec Julie, on s'écrit. Si bien que maintenant, elle doit avoir chez elle toute une collection de cartes postales de Paris et de La Rochelle, car à chaque fois je lui en envoie une nouvelle. Evidemment, comme tout ce que j'ai à lui dire ne tient pas sur une simple carte, je joins toujours une feuille, ou deux. Parfois trois, mais c'est de la gourmandise.
Ainsi, peu à peu ces lettres que je lui envoie constituent mon second journal, après celui que je tiens sur le Net. Je n'y parle pas des mêmes choses et je ne les raconte pas de la même façon. Je n'y parle pas de mon passé, mais non plus de mon avenir. Je n'écris pas au clavier mais au stylo. Je ne dis pas simplement "je", j'emploie "tu" et "nous". Et parfois "il", hélas… Ici j'ai tout un tas de réactions de gens que je ne connais pas. Dans mon journal-Julie, une seule personne me répond, mais quelle personne…
Julie repique sa classe de seconde. Ce n'est pas une grande nouvelle, on le savait déjà. Je suis déçue pour elle, mais heureusement elle a l'air de bien le prendre. Et puis qui n'aurait pas échoué à sa place ? Moi par exemple, dans ces conditions, j'aurais baissé les bras depuis bien longtemps. Surtout qu'à seize ans, elle n'est plus obligée d'aller au lycée. Mais elle a raison de continuer, ne rien faire de ses journées c'est bon à petite dose, mais seulement à petite dose.
Sur son bulletin, une prof lui a marqué "grave manque de concentration". Ah ben ça alors quelle coïncidence : un jour j'ai eu exactement la même. Comme quoi on se ressemble, elle et moi. Je me rappelle d'un jour où nous nous promenions dans Paris, marchant vers un point bien précis. Je lui récitais des paroless de Renaud, ça l'amusait. Et à force, ben on s'est perdues, ou plutôt on a dévié de notre but. Voilà ce qui arrive quand deux personnes manquant gravement de concentration se baladent ensemble. Par chance, si nous manquons de concentration, nous sommes dotées d'un sens de l'orientation hors du commun. Et puis quand tu es perdu à Paris c'est simple : il suffit de chercher le Nord. Pour cela observer la mousse sur les poubelles, suivre le rond-point de l'Etoile du berger, etc.
C'est toujours un grand moment de bonheur quand je reçois une lettre de Julie. Et comme c'est toujours moi ou presque qui vais chercher le courrier, je me garde de le répéter aux autres. Je monte dans ma chambre et je lis plusieurs fois. Après ça je range la lettre avec les autres, dans mon tiroir. C'est mon petit secret, mon petit îlot. Sauf l'autre jour, lundi, je ne suis rentrée que le soir. Ma mère m'a dit toute surprise : "Tiens il y a une lettre de Lille ça doit être Julie !" Ben oui, elle ignore que des lettres, on s'en envoie en pagaille. Ce jour-là j'étais déçue, d'un seul coup la lettre ne m'appartenait plus entièrement du fait que ma mère l'avait eue entre les mains. Enfin juste l'enveloppe, le texte dedans était pour moi et rien que pour moi…
Elle me parle de son copain. Elle me dit qu'elle est heureuse, qu'elle pense à lui dès qu'elle se retrouve toute seule, qu'elle est toujours impatiente de le retrouver le matin, de se retrouver à côté, de lui parler et de l'embrasser. Qu'elle a confiance en lui. Je suis contente pour elle mais ça me fend le cœur. Ben mince alors, ça a l'air de durer, cette histoire… Ca fait déjà quelques semaines qu'ils sont ensemble… Si ça se trouve elle a tiré le bon numéro du premier coup, elle a trouvé la perle rare sans la chercher. Et moi à côté je ne suis qu'un pauvre petit caillou usé. Bah, il est quand même rare qu'un premier amour dure toute la vie. Si, j'en ai des exemples autour de moi, mais rare quand même. Alors un jour, ce sera à moi. Julie rien que pour moi, quel délice. Quand on est tout juste à l'école on nous répète toujours "Chacun son tour ! Y en aura pour tout le monde !". Bon ben je vais attendre mon tour, il finira bien par venir bon sang. Mon tour d'essayer, au moins, le reste n'est pas de mon ressort. Et j'espère bien qu'après moi ce ne sera le tour de personne, et qu'il n'y en aura pas pour tout le monde mais rien que pour mon cœur à moi.
Ils n'ont pas encore fait l'amour, me dit-elle. Et c'est très bien, lui réponds-je. Il vaut mieux prendre son temps, même si ça met des mois. C'est trop important pour être gâché. Alors je lui dis qu'il est bon de ne pas se précipiter. D'une part parce que je le pense, mais aussi parce que je garde l'espoir que c'est moi qui aurai cet honneur avec Julie, pour sa première fois. Ils n'ont pas encore fait l'amour, me dit-elle, juste des caresses là où c'est agréable. Elle n'a pas l'air spécialement impatiente ni inquiète. Elle prend ça vraiment bien, quelle fille incroyable… Avec un tempérament pareil, je pense qu'elle saura toujours prendre la vie du bon côté, comme elle le fait déjà d'ailleurs. Certes il y a des tas de questions qui se bousculent dans sa tête, elle manque de confiance en elle, mais je suis certaine que ça viendra. Et puis elle le mérite bien.
Alors la vie continue. Je ne vais pas quand même pas cesser de vivre parce que Julie sort avec quelqu'un et que ce n'est pas moi. Je patiente. Et en attendant, je vis ma vie, rien n'a changé dans le fond. Et si demain je rencontre quelqu'un qui me plaît, eh bien j'éviterai de me poser des questions compliquées et je prendrai ce quelqu'un.
La vie continue… et les vacances. Lundi j'ai travaillé toute la journée, une autre mission d'intérim. A la fin j'ai encore fait dans le relationnel : j'ai demandé au chef s'il embauchait des jeunes pour l'été. Il m'a répondu "Oui bien sûr ! Mais il aurait fallu postuler plus tôt ! Maintenant je n'ai plus de place !" Ben ouais, je le sais bien que je ne me projette pas assez dans l'avenir. Mais il m'a promis que si l'un ou l'une des intérimaires se désistait ou ne faisait pas l'affaire, c'est à moi qu'il ferait signe. Croisons les doigts. Quand il m'a demandé ce que j'envisageais de faire l'an prochain, j'ai répondu que je ne savais pas, fac de lettre ou bien d'histoire. Et là il m'a répondu : "Fac de lettres ? Ah oui… personne n'est parfait… " Sans commentaires.
Nouvelle mise en page : n'hésitez à regarder le sommaire de chaque mois à partir de septembre, il y a un dessin pour chaque. D'autres sont éparpillés dans le journal, ou dans les rubriques. Et bien sûr, visitez la rubrique illustrations.

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