Il fait toujours
aussi chaud ces temps-ci, ce n'est vraiment pas
un temps pour travailler. Ca tombe bien : je ne
travaille pas. Mais j'envoie une petite pensée
de soutien à tous ceux qui galèrent,
dans un bureau ou en plein air, et dont je ferai
bientôt partie. D'ailleurs j'ai déjà
un peu commencé : j'ai travaillé
une demi-journée cette semaine.
Le gars de l'agence m'appelle le matin et me demande
si je suis disponible pour l'après-midi.
Alors j'ai dit oui. Bien sûr ce n'est pas
très intéressant, juste une demi-journée,
et ce n'est pas avec ça que je vais me
payer un ordinateur portable. Mais j'ai accepté
pour leur montrer que je suis motivée,
prête, disponible, et qu'ils peuvent compter
sur moi. Eh oui je suis "aware" comme
fille, une vraie petite jeune cadre dynamique
avant l'âge.
J'arrive là-bas à 14H00 et je croise
une dame. Je lui demande où je peux trouver
Madame Unetelle, elle me répond que c'est
elle-même. Ah ! Et où puis-je vous
trouver ? Non, mieux vaut éviter l'humour
juste au début. Elle m'a amenée
devant une pile de journaux. Je devais les prendre
un par un, repérer la petite publicité
pour l'entreprise, la découper, l'agrafer
sur une feuille blanche et y noter le nom, le
numéro et la date de sortie du journal.
Elle m'a montré l'exemple sur les deux
premiers, j'ai fait les deux cents autres toute
seule. Ca m'a pris cinq heures, et sans fumer
s'il vous plaît. Je n'avais pas le droit.
Je voulais sortir faire une petite pause cigarette
mais j'avais peur que Madame Unetelle tombe sur
moi juste à ce moment-là, elle aurait
pu penser que j'étais fainéante.
Et il faisait si chaud
J'ai voulu allumer
le ventilateur, mais il faisait s'envoler tous
les petits papelards que j'étais en train
de découper. Ce n'était pas rentable
d'un point de vue rendement/confort. Aware, vous
dis-je.
A la fin, je lui ai demandé si j'avais
bien fait tout comme il fallait, elle m'a répondu
oui. Alors je lui ai dit de ne pas hésiter
à le répéter à l'agence
d'intérim. Elle a rigolé de ma réflexion
et a rajouté qu'elle était très
satisfaite de ma prestation, et qu'elle ne manquerait
pas de le dire à l'agence. Si après
ça ils ne me trouvent pas un boulot pour
tout l'été, c'est que je n'ai rien
compris au social ingeenering !
Mine de rien avec ça, j'ai travaillé
autour de la publicité. Heureusement, je
ne faisais que du découpage. Car ce n'est
pas demain la veille qu'on me fera travailler
dans la publicité pure et dure. Faire partie
de ces gens qui passent leur temps à chercher
des slogans accrocheurs, des images chocs, pour
convaincre les gens d'acheter. Existe-t-il un
domaine plus pitoyable ? J'emploie "pitoyable"
au sens premier du terme, qui inspire la pitié,
le chagrin, qui remue le cur
Ben oui
nous sommes de pauvres petits êtres humains
imparfaits. Personne parmi nous n'a choisi de
venir sur cette Terre. Mais il faut faire avec,
avec tous nos petits défauts et toutes
nos petites faiblesses. Avec nos petites envies,
nos rêves et nos désirs. Mais il
y a des monstres qui ont tout compris à
ça et qui en profitent. La publicité
est perverse et vicieuse, elle joue avec notre
petit cur pour nous faire consommer. Et
ceux-ci en font toujours plus. Ce sont eux, entre
autres, qui ont tué ma sur.
Oui, ils ont contribué à sa mort.
Parce que partout autour de nous, à la
télé, sur les affiches, on voit
des publicités avec des filles si minces,
que les jeunes adolescentes qui regardent finissent
par penser que le seul moyen d'être quelqu'un
de bien est de leur ressembler. Ressembler à
ces filles qui ne ressemblent à rien. C'est
criminel, à force. Hier sur AOL, on avait
droit à ce titre : "Crânez au
soleil". A côté, quatre photos
de postérieurs féminins. Et bien
sûr des liens vers des régimes, des
méthodes alimentaires et j'en passe. Bon
sang mais que c'est nul
Je suis sûre
que nombre de filles ont parcouru ceci avec angoisse
et envie. Ce genre de publicité devrait
être interdite aux moins de seize ans, à
l'âge où on se pose ces questions.
C'est bien plus dangereux qu'un film érotique,
tout ça.
Bien sûr, moi aussi je fais attention à
mon corps, j'ai envie d'être bien, et j'aime
bien savoir que je plais à un gars. Mais
c'est humain. Ce n'est même pas humain,
c'est animal, nous sommes ici entre autres pour
nous reproduire, il faut bien séduire le
sexe opposé. Mais ce n'est pas normal quand
ça devient obsessionnel. Quand quelqu'un
comme ma sur finissait par ne plus penser
qu'à ça.
Un soir avec David, on regardait une émission
sur la chirurgie esthétique. Ils interrogeaient
une fille qui à même pas vingt ans
s'était déjà faite refaire
le nez. David m'avait dit : "Tu crois pas
qu'elle est superficielle cette fille ?"
Si, j'en suis même certaine. Et avec ses
méthodes elle n'attirera que des hommes
superficiels, des niais, préfabriqués
moulés y a plus qu'à emballer. Le
pire, c'est que la fille en question était
déjà très jolie. C'est ça
qui est dingue. Quand je regarde des photos de
ma sur, du temps où elle était
encore présentable, je me dis qu'elle était
belle. Et je ne dis pas ça parce que c'était
ma sur. Elle était mince. Alors je
me dis bon sang mais pourquoi avais-tu besoin
de te faire maigrir d'avantage
Mais même
quand il ne lui restait plus que la peau sur les
os elle se trouvait trop grosse. Même décédée,
si ça se trouve, si elle avait pu penser
encore, elle se serait trouvée trop large.
C'est fou
Mais là je ne peux plus
accuser la publicité, ce serait trop facile.
Je ne peux accuser personne, le problème
était dans la tête de ma sur
et nulle part ailleurs. Pourtant, j'aimerais bien
qu'un jour, quelqu'un me l'explique, ce problème.
Mais il ne faut pas rêver.
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