journal intime
183 _ jeudi 26 juin 2003

Ceux qui m'écrivent

Les gens qui m'écrivent sont parfois étranges. Pas facile de savoir ce que vaut mon journal, entre ceux qui m'écrivent qu'il est merveilleux, que c'est une œuvre d'art, et ceux qui m'écrivent qu'il est affligeant, que c'est un détritus. Entre ceux qui me disent que mon écriture s'améliore et ceux qui me disent que je suis de plus en plus niaise. Pas facile de comprendre quelque chose. Surtout quand on n'a pas envie de faire l'effort de comprendre.
Les gentils mails me font plaisir, certains me mettraient presque les larmes aux yeux. Les méchants m'attristent non pas pour moi, mais pour leur auteur. L'autre jour, c'est une fille de treize ans et demi qui m'écrivait qu'il fallait vraiment que je sois une pauvre conne pour raconter ma vie sur le net. A treize ans elle a déjà le langage d'un adulte, ça craint pour elle.
La chaleur ne s'est pas beaucoup atténuée. Le gars qui s'occupe du temps, là-haut, fait vraiment son travail n'importe comment en ce moment. Peut-être est-il parti en vacances. Sûr qu'il se fera engueuler par son chef en revenant. Sauf l'autre soir, où le climat est subitement devenu orageux, mais ce fut de courte durée. J'en ai profité pour aller regarder la mer déchaînée, depuis le temps que je ne l'avais pas vue ainsi… Alors malgré les conseils de ma mère, j'ai pris un bon manteau et je suis allée sur la plage. Pas mal. Mais rien à voir avec d'autres moments bien plus furieux. Lors de la grande tempête de décembre 1999, j'étais allée la voir. Pas au moment où la tempête était à son summum, c'eût été de la folie. Mais quelques heures avant. Quelle beauté… On aurait dit que le diable s'était couché sous l'eau.
Mais l'autre soir, mon père ne rentrait pas, il avait du retard. Beaucoup de retard. Alors avec le temps soudain mauvais, avec toutes ces histoires qu'on entend, on a imaginé le pire. Et s'il était mort ? Et s'il était dans le fossé avec sa voiture ? Bien sûr ces réflexions, je me les suis gardée pour moi. Pas la peine de tracasser ma mère plus qu'elle ne le faisait elle-même. Je sais bien qu'on n'a peur que de ce qu'on imagine, de ce qui va peut-être arriver. Mais c'est le "peut-être" qui est gênant. Alors moi, bêtement, j'ai imaginé très fort que mon père était mort, fort jusqu'à m'en persuader.
Quel malheur ce serait… Après ma sœur, mon père. Je pense que je n'y survivrais pas. Pas la peine de me suicider : rien que d'apprendre la nouvelle me ferait tomber par terre, le cœur arrêté. Parce que ma sœur on l'a vue partir, et peu à peu on s'était fait à l'idée que c'était pour bientôt. Mais apprendre ça d'un coup sec par téléphone… Mais non, je ne mourrais pas, car on se remet de tout même du pire. Le temps passerait, les années, et un jour mon père ne serait plus qu'un souvenir. C'est con à dire, c'est difficile à penser, et pourtant c'est ainsi que ça se passerait. L'être humain est incroyablement fort, quand on y pense.
Je pensais très fort à mon père en me disant "il est mort, il est mort", comme ça, juste pour voir ce que ça faisait. J'ai recherché dans ma mémoire la dernière image que j'avais de lui : la veille au soir, quand je lui avais souhaité bonne nuit et qu'il regardait la télé. Et dire que j'ai vécu cette scène sans savoir que c'était la dernière… D'un seul coup, je me suis rendue compte de la beauté de ce moment. Un moment magique : mon père qui regarde la télé. Et il a fallu qu'il meure pour me rendre compte que ce moment était magique… La vie est pleine de ces moments magiques, du matin jusqu'au soir, mais on ne les voit pas. Voilà ce à quoi je pensais l'autre soir.
Puis mon père a appelé pour expliquer les raisons de son retard. Il m'a dit "Vous vous inquiétiez ? " Moi : "Non non, ça va".
En tous cas, je ne me suiciderai jamais. JAMAIS. La vie a beau être toute pourrie, j'ai encore trop de choses à faire avant d'arrêter. Et puis ma sœur ne serait pas contente, là-haut, si je venais la rejoindre si tôt, sans même lui avoir rendu un dernier petit hommage. Elle me dirait "Mais ! Ca fait à peine trois ans que je suis là et tu viens déjà me casser les pieds avec tes questions sur la vie ! !" Je vais rarement au cimetière où elle est enterrée, et toujours par hasard. Je ne suis pas plus triste là-bas qu'ici ou qu'ailleurs. Peu importe que son corps y soit enterré. Mais je n'aime pas trop les cimetières, les plaques me chagrinent : "A ma mère", "A notre ami", "a ma fille", quelle vie je vous jure… Nous, on ne lui a pas mis de plaque à ma sœur. Je ne vois pas ce que j'aurais pu y faire graver. "A ma sœur" ? C'est craignos, elle n'aurait pas aimé. On n'a rien mis. Ma mère dépose des fleurs là-bas, parfois. Souvent, même. Chaque fois que j'y vais la tombe est fleurie, et ça m'étonnerait que les fleurs poussent toutes seules. Surtout dans des pots avec du plastique autour et en bouquets multicolores. Alors ça doit être ma mère, bien qu'elle ne m'en parle jamais.
Ma mère se fait facilement du souci pour mon petit frère ou pour moi. Ca en devient comique, parfois… Eh eh. Un jour, il y avait un cirque à La Rochelle. Au moment où je sors balader mon chien, ma mère me dit : "Fais attention, parfois il y a des lions qui s'échappent des cirques". Maman… En rentrant j'ai dit comme ça à mon petit frère : "Ouf ! J'ai échappé de justesse aux lions !" On avait bien rigolé.

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