Les gens qui m'écrivent
sont parfois étranges. Pas facile de savoir
ce que vaut mon journal, entre ceux qui m'écrivent
qu'il est merveilleux, que c'est une uvre
d'art, et ceux qui m'écrivent qu'il est
affligeant, que c'est un détritus. Entre
ceux qui me disent que mon écriture s'améliore
et ceux qui me disent que je suis de plus en plus
niaise. Pas facile de comprendre quelque chose.
Surtout quand on n'a pas envie de faire l'effort
de comprendre.
Les gentils mails me font plaisir, certains me
mettraient presque les larmes aux yeux. Les méchants
m'attristent non pas pour moi, mais pour leur
auteur. L'autre jour, c'est une fille de treize
ans et demi qui m'écrivait qu'il fallait
vraiment que je sois une pauvre conne pour raconter
ma vie sur le net. A treize ans elle a déjà
le langage d'un adulte, ça craint pour
elle.
La chaleur ne s'est pas beaucoup atténuée.
Le gars qui s'occupe du temps, là-haut,
fait vraiment son travail n'importe comment en
ce moment. Peut-être est-il parti en vacances.
Sûr qu'il se fera engueuler par son chef
en revenant. Sauf l'autre soir, où le climat
est subitement devenu orageux, mais ce fut de
courte durée. J'en ai profité pour
aller regarder la mer déchaînée,
depuis le temps que je ne l'avais pas vue ainsi
Alors malgré les conseils de ma mère,
j'ai pris un bon manteau et je suis allée
sur la plage. Pas mal. Mais rien à voir
avec d'autres moments bien plus furieux. Lors
de la grande tempête de décembre
1999, j'étais allée la voir. Pas
au moment où la tempête était
à son summum, c'eût été
de la folie. Mais quelques heures avant. Quelle
beauté
On aurait dit que le diable
s'était couché sous l'eau.
Mais l'autre soir, mon père ne rentrait
pas, il avait du retard. Beaucoup de retard. Alors
avec le temps soudain mauvais, avec toutes ces
histoires qu'on entend, on a imaginé le
pire. Et s'il était mort ? Et s'il était
dans le fossé avec sa voiture ? Bien sûr
ces réflexions, je me les suis gardée
pour moi. Pas la peine de tracasser ma mère
plus qu'elle ne le faisait elle-même. Je
sais bien qu'on n'a peur que de ce qu'on imagine,
de ce qui va peut-être arriver. Mais c'est
le "peut-être" qui est gênant.
Alors moi, bêtement, j'ai imaginé
très fort que mon père était
mort, fort jusqu'à m'en persuader.
Quel malheur ce serait
Après ma sur,
mon père. Je pense que je n'y survivrais
pas. Pas la peine de me suicider : rien que d'apprendre
la nouvelle me ferait tomber par terre, le cur
arrêté. Parce que ma sur on
l'a vue partir, et peu à peu on s'était
fait à l'idée que c'était
pour bientôt. Mais apprendre ça d'un
coup sec par téléphone
Mais
non, je ne mourrais pas, car on se remet de tout
même du pire. Le temps passerait, les années,
et un jour mon père ne serait plus qu'un
souvenir. C'est con à dire, c'est difficile
à penser, et pourtant c'est ainsi que ça
se passerait. L'être humain est incroyablement
fort, quand on y pense.
Je pensais très fort à mon père
en me disant "il est mort, il est mort",
comme ça, juste pour voir ce que ça
faisait. J'ai recherché dans ma mémoire
la dernière image que j'avais de lui :
la veille au soir, quand je lui avais souhaité
bonne nuit et qu'il regardait la télé.
Et dire que j'ai vécu cette scène
sans savoir que c'était la dernière
D'un seul coup, je me suis rendue compte de la
beauté de ce moment. Un moment magique
: mon père qui regarde la télé.
Et il a fallu qu'il meure pour me rendre compte
que ce moment était magique
La vie
est pleine de ces moments magiques, du matin jusqu'au
soir, mais on ne les voit pas. Voilà ce
à quoi je pensais l'autre soir.
Puis mon père a appelé pour expliquer
les raisons de son retard. Il m'a dit "Vous
vous inquiétiez ? " Moi : "Non
non, ça va".
En tous cas, je ne me suiciderai jamais. JAMAIS.
La vie a beau être toute pourrie, j'ai encore
trop de choses à faire avant d'arrêter.
Et puis ma sur ne serait pas contente, là-haut,
si je venais la rejoindre si tôt, sans même
lui avoir rendu un dernier petit hommage. Elle
me dirait "Mais ! Ca fait à peine
trois ans que je suis là et tu viens déjà
me casser les pieds avec tes questions sur la
vie ! !" Je vais rarement au cimetière
où elle est enterrée, et toujours
par hasard. Je ne suis pas plus triste là-bas
qu'ici ou qu'ailleurs. Peu importe que son corps
y soit enterré. Mais je n'aime pas trop
les cimetières, les plaques me chagrinent
: "A ma mère", "A notre
ami", "a ma fille", quelle vie
je vous jure
Nous, on ne lui a pas mis de
plaque à ma sur. Je ne vois pas ce
que j'aurais pu y faire graver. "A ma sur"
? C'est craignos, elle n'aurait pas aimé.
On n'a rien mis. Ma mère dépose
des fleurs là-bas, parfois. Souvent, même.
Chaque fois que j'y vais la tombe est fleurie,
et ça m'étonnerait que les fleurs
poussent toutes seules. Surtout dans des pots
avec du plastique autour et en bouquets multicolores.
Alors ça doit être ma mère,
bien qu'elle ne m'en parle jamais.
Ma mère se fait facilement du souci pour
mon petit frère ou pour moi. Ca en devient
comique, parfois
Eh eh. Un jour, il y avait
un cirque à La Rochelle. Au moment où
je sors balader mon chien, ma mère me dit
: "Fais attention, parfois il y a des lions
qui s'échappent des cirques". Maman
En rentrant j'ai dit comme ça à
mon petit frère : "Ouf ! J'ai échappé
de justesse aux lions !" On avait bien rigolé.
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