journal intime
4 _ Samedi 31 août 2002

Veuillez rendre l'âme

Aujourd'hui en début d'après-midi, une amie à moi, Elodie, est venue me rendre visite comme ça à l'improviste. Ca fait un mois que je ne l'avais pas vue et ça m'a fait très plaisir, d'une part parce que je l'aime bien, et surtout parce qu'elle me ramenait un disque que je lui avais prêté et auquel je tiens comme à la prunelle de mes yeux.
Je lui ai servi un petit apéro histoire qu'elle me raconte ce qu'elle avait fait de beau de son mois d'août. Elle m'a raconté qu'elle était en vacances sur la côte méditerranéenne, près de la ville de Narbonne. Je lui ai dit que moi la Méditerranée j'y étais allée l'été dernier avec mes parents et que j'avais pas aimé car c'était noir de monde, dans les rues, sur les plages, sur les parkings, moi qui déteste devoir regarder où je mets les pieds quand je marche. Mais elle, elle a adoré apparemment, bon, chacun son truc. Moi mes vacances je les ai passées ici même, je n'ai pas décollé de La Rochelle, pourquoi aller ailleurs alors qu'il y a tout ce qu'on veut ici. L'eau de l'Atlantique est peut-être un peu plus froide que celle de la côte d'azur, et le sable peut-être un peu moins fin, mais c'est très acceptable et de toutes manières j'aime pas me baigner ou rester des heures au soleil à griller histoire d'avoir un petit bronzage inutile.
Elodie a un an de plus que moi, et donc cette année elle entre à l'université…elle a de la chance, j'aimerais bien y entrer moi aussi à l'université : ça me ferait trois semaines de vacances supplémentaires. Enfin tant pis c'est comme ça. Elle a dit qu'elle m'inviterait chez elle un de ces soirs, et que d'ici un ou deux mois elle me ferait visiter sa fac. Enfin elle a dit beaucoup de choses mais à savoir si elle les fera c'est une autre histoire, je commence à la connaître maintenant. Elle est comme ça…mais bon je l'apprécie beaucoup quand même.
Le disque en question qu'elle me ramenait c'est " Veuillez rendre l'âme " de Noir Désir. C'est ma grande sœur qui me l'avait offert, je devais avoir douze ans, car elle savait que j'aimais l'un des morceaux du disque, alors peut-être que j'aimerais les autres…Elle me l'avait acheté comme ça, ce n'était ni mon anniversaire ni Noël, ni même ma fête, elle me l'avait offert uniquement pour me faire plaisir, sans autre raison. C'était donc un véritable cadeau, un vrai de vrai, comme on en reçoit rarement, le plus beau qu'on m'ait jamais fait., avec mon chien peut être…
Je l'ai écouté une fois, puis deux, puis en boucle pendant des jours et des semaines et des mois. A douze ans je connaissais cet album dans les moindres détails, et au fil du temps il m'a fait découvrir les unes après les autres toutes les émotions que la musique peut te donner.
J'ai un peu honte de le dire mais au bout d'un moment j'étais pressée qu'Elodie reparte, non pas qu'elle m'ennuyât, au contraire, mais je crevais d'envie de m'écouter le disque, seule. Enfin vers les cinq heures j'avais la voie libre, en plus j'étais seule chez moi : j'allais pouvoir monter suffisamment le volume. J'ai mis le disque dans la chaîne, je me suis allongée sur mon lit, et j'ai écouté.
Putain ! ! ! Au début t'as la guitare électrique en fond, puis le chanteur pousse un soupir bruyant et c'est parti pour un terrible morceau qui se chante presque en totalité sur une seule note, ça peut paraître bizarre mais ça rend trop bien. Ca t'emballe et tu t'envoles. Quand j'écoute de la musique je vois des images, une ambiance, une atmosphère, et là je voyais du noir, de l'eau, un fleuve quelque part à Moscou, et des mains courir sur cette eau déformée. J'étais là les yeux dans le vague à en prendre plein la tête en fumant mes cigarettes, et uniquement des cigarettes. Puis la musique finit par s'évanouir à la fin sur les derniers cris de détresse de Cantat le chanteur : " tant que les heures passent…tant que les heures passent… " Ce type il a le don d'avoir une voix qui m'envoie des frissons partout quand je l'entends. J'étais scotchée.
Après c'est les sombres héros de l'amer, une chanson sur la mer et les marins, à moins que ce ne soit autre chose… Mais ce ne sont pas la mer et les marins que l'on voit par ici, non, dans le morceau la mer est plus transparente et plus visqueuse je trouve, et les marins moins raisonnables. Ensuite c'est la chanson Le Fleuve, et là je vois les dessous d'une ville rouge, un labyrinthe de caves perdues et une fille qui a peur qui court d'une cave à l'autre, faisant grincer les portes dans la nuit…
Enfin bref pendant trois quarts d'heure j'ai pris mon pied. J'ai eu ma dose de couleurs et d'imagination pour toute une semaine. Mais tôt ou tard la musique s'arrête, l'album est fini, et c'est le silence. Le silence aussi est important, il fait presque partie de l'œuvre, c'est en quelque sorte le dernier morceau, même s'il n'est pas programmé sur le CD…Là tu reprends tes esprits et tu reviens à la réalité. Ce disque est construit comme une énigme en deux parties, dont la charnière est la chanson du milieu Sweat Mary. Et le dernier morceau c'est la clé du problème, la solution de l'énigme. Enfin c'est comme ça que je le vois moi, "veuillez rendre l'âme"...
Ensuite je me suis mise d'autres musiques, très agréables aussi, mais bon quand on a soif c'est toujours la première gorgée la meilleure. J'ai repensé à certaines choses, à Elodie et ses vacances dans le Sud, à mon copain Olivier que je vais bientôt quitter, à ma sœur, à moi, à la rentrée au lycée dans quelques jours…pfff, ça m'emmerde tout ça.
Heureusement qu'il y a des gens bien pour nous faire rêver, des musiciens, des écrivains, des gens qui font du cinéma…qu'est ce qu'on se ferait chier sinon…

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