Je ne pourrai
pas dire que j'ai fini de me présenter
tant que je n'aurai pas parlé d'un des
êtres qui m'est le plus cher : mon chien.
C'est un berger-allemand et il s'appelle Adonis.
Avoir un chien quand on habite en ville c'est
pas évident, et mes parents ont résisté
pendant des années avant de bien vouloir
en adopter un. Mais j'ai tellement insisté
qu'ils ont fini par céder. Je leur promettais
que je le promènerais énormément,
que je l'éduquerais et qu'il serait le
plus sage des animaux. Ils ne me croyaient pas,
il faut dire que j'étais une gamine à
l'époque
Mais ils ont fini par comprendre
que ce n'était pas un simple caprice de
ma part
et puis en ce temps là j'étais
un peu timide, un peu introvertie, alors ils ont
consenti à me l'offrir.
Ils m'avaient auparavant proposé un poisson
rouge
puis un oiseau, puis un chat, mais
il n'y avait rien à faire, c'est un chien
que je voulais. Ils ont cru me contenter en me
proposant d'adopter un petit caniche mais moi
c'est un berger-allemand que je voulais, comme
la bête de mon grand-père, un bel
animal auquel je m'étais liée et
qui s'appelait
Gadgo !
Ce Gadgo avait eu un tel effet sur moi que lorsqu'il
était mort j'avais tellement pleuré
que mon grand-père en tremblait d'émotions.
Il disait que jamais il n'aurait cru qu'on puisse
tant pleurer sur une " bestiole ". Il
faut dire que j'avais cinq ans à peine,
et que je venais de perdre un ami.
Et depuis je harcelais mes parents pour que nous
aussi nous adoptions un berger-allemand. Je leur
affirmais que j'étais prête à
aller vivre avec grand-père puisque apparemment
c'est notre vie de citadins qui les retenait le
plus. Un jour pourtant ils ont fini par accepter
et pour mes huit ans ils m'ont offert Adonis.
Ce jour là, lorsqu'on m'a distribué
les cadeaux, j'ai cru que j'allais mourir de bonheur.
C'était un dimanche midi, mes grands-parents
étaient là, et ils avaient tous
admirablement bien gardé le secret pour
me faire la surprise. Ils m'ont tendu une gosse
boîte avec un petit sourire coquin, en me
demandant de ne pas la secouer ni de la renverser
quand je déchirerais le papier cadeau.
Je ne m'attendais toujours pas à ça,
étant donné que depuis plusieurs
semaines mes parents étaient plus catégoriques
que jamais quant à l'adoption d'une bête.
J'ai déchiré curieusement le papier
cadeau et c'est là que j'ai vu deux petits
yeux bleus avec un grand sourire, et une petite
queue qui bougeait dans tous les sens. Avec le
recul, je crois que ma première réaction
a été une grande admiration, mais
aussitôt j'ai détourné les
yeux du chien pour regarder mes parents
qu'est
ce que cela signifiait ? Pourquoi ce chien dans
cette boîte puisque je n'avais pas le droit
? J'ai cru que c'était une plaisanterie,
une cruelle plaisanterie, que ce chiot n'était
pas pour moi, que je devrais le rendre, et déjà
je souffrais de ce geste abominable. Mais ma mère
m'a dit : " il te plaît ? il est à
toi. " Alors là je peux vous dire
que j'ai fondu en larmes de joie et que j'ai pleuré
pendant au moins une heure. Je l'ai sorti de sa
boîte et je l'ai porté dans mes bras,
il était si heureux d'être libéré
qu'il me donnait des coups de langue sur le visage
et dans le cou en poussant des petits gémissements
et en agitant la queue !
Je l'ai roulé
sur le tapis en riant aux éclats tout en
continuant de pleurer. C'était le plus
beau jour de ma vie.
Je crois me rappeler que mes parents et mes grands-parents,
surtout Papi, étaient eux aussi très
émus. Pas pour le chiot mais pour moi,
enfin je pense
En tous cas j'ai à
peine regardé mes autres cadeaux, je serais
bien incapable de dire ce qu'ils étaient,
ce jour là je n'ai eu d'yeux que pour mon
chien.
Les jours suivants aussi d'ailleurs. Il m'a autant
adopté que moi, et j'aime mieux vous dire
que c'est à moi qu'il obéissait
et pas aux autres. J'étais une gamine de
huit ans, mais c'était bel et bien moi
sa maîtresse, pas mon père ou ma
mère ou ma grande sur. D'ailleurs
c'est moi qui lui donnais à manger, c'est
moi qui jouais avec lui
et c'est moi qui
le dressais ! C'est vrai, je tenais à ce
qu'il soit obéissant et respectueux, et
je pense que j'y suis bien arrivée. Oh
! je ne lui demandais pas grand chose : simplement
qu'il réponde à son nom et qu'il
ne fasse pas de bêtises, ou pas trop
Tous les jours je consacrais une heure ou deux
à son éducation. Au grand étonnement
de mes parents, je m'installais dans ma chambre
avec lui, moi sur le lit et lui à l'autre
bout de la pièce. Je le regardais dans
les yeux, j'attendais un certain temps et lui
disais : " Adonis, ici ". S'il venait
avant que je ne lui en aie donné l'ordre,
je me mettais en colère, enfin je faisais
semblant bien sûr, jamais je n'aurais pu
m'énerver contre lui, il était si
mignon
J'élevais aussi la voix s'il
allait ailleurs que juste devant moi. Mes parents
me reprochaient d'être un peu sévère
avec lui, pourtant mon petit Adonis n'avait pas
l'air d'avoir peur de moi le moins du monde. Ce
qui troublait mes parents c'est que quand je le
disputais, il pleurait un petit peu, et moi je
ne faiblissais pas pour autant
C'était
parfois dur, mais tant qu'il ne réussissait
pas l'exercice je restais ferme et inflexible.
Mais quand enfin il venait à moi sur mon
ordre et qu'il se plantait à mes pieds,
alors je lui faisais de gros câlins en le
laissant me lécher le visage, et parfois
même je lui donnais un sucre. Et là
il était aux anges mon petit Adonis
Je lui ai également appris à s'asseoir
et à se coucher, et ne pas pisser n'importe-où.
Je suis très fière de lui aujourd'hui
: quand je vois tous ces chiens qui ignorent complètement
leur maître et que lui à côté
il répond à toutes mes paroles comme
s'il comprenait le français, je me dis
que c'est une bête bien élevée.
Et je me vante aussi d'avoir réussi, à
l'âge de huit ans, à le dresser impeccablement.
Parfois on me demande comment je m'y suis prise
je
pense qu'il n'y a pas de secret : j'aime ce chien
et je le respecte, et je crois qu'il le sent,
tout simplement. Quand je vois certains abrutis
dans la rue hurler de rage après une bête
qui n'en fait qu'à sa tête, ou pire
certaines vielles sorcières qui tiennent
la laisse d'une main et le martinet de l'autre,
je trouve ça tout simplement répugnant.
Mes parents ont refusé - sous prétexte
que c'était sale - qu'Adonis dorme avec
moi dans ma chambre. Le premier soir je les ai
suppliés d'accepter et mon grand-père,
qui était là, m'a bien aidée
dans mes supplications. Alors ils ont dit oui,
mais rien que pour une nuit, et encore à
condition que le lendemain je ne le demande pas
à nouveau, ce que j'ai promis de ne pas
faire.
Ah ! Comme j'étais heureuse ce soir là
de me coucher avec mon Adonis ! J'ai joué
avec lui pendant une heure, puis quand il a été
bien fatigué je l'ai installé dans
sa panière sur mon tapis. Il s'est endormi
aussitôt et je l'ai dévoré
des yeux pendant encore cinq bonnes minutes avant
d'éteindre la lumière. D'habitude
je rêvais dans le noir, je m'inventais des
histoires, une autre vie, je m'imaginais dans
un autre monde, je faisais des projets d'avenir,
je concevais les plans de la maison qui abriterait
un jour ma famille
Mais ce soir là
je n'ai rien imaginé. A quoi bon inventer
une autre vie puisque j'étais parfaitement
heureuse ? J'étais couchée dans
mon lit et mon chien était là, à
côté de moi. De quoi aurais-je pu
rêver à ce moment là ? Je
me suis endormie paisiblement, beaucoup plus vite
que d'habitude
Le lendemain quand ma mère est venue me
réveiller, figurez-vous qu'Adonis avait
pris la place de ma tête
sur mon oreiller
! Le petit malin, il avait grimpé sur le
lit, s'était collé à moi,
et dans mon sommeil je lui avais abandonné
mon oreiller
c'est chouette
Le lendemain soir, je mourais d'envie d'emmener
Adonis à nouveau dans ma chambre et de
passer la nuit avec lui une deuxième fois.
Mais j'avais promis de ne rien demander, aussi
je me suis couchée résignée.
Impossible de fermer l'il ! Je voyais la
lumière se glisser sous ma porte, j'entendais
le ron-ron de la télé et ma mère
faire des aller-retours
Et surtout je me
demandais à quel endroit de la maison pouvait
bien être Adonis, ce qu'il pouvait bien
faire, et si je lui manquais
J'avais les
yeux fixés au bas de la porte, sur la fente
de lumière, et plusieurs fois j'ai vu une
ombre passer, ça ne pouvait être
que lui. A un moment l'ombre s'est arrêtée
et là, j'ai failli craquer et l'appeler
pour lui montrer que j'étais bien là,
de l'autre côté de la porte. Mais
non, j'avais promis de ne rien faire, et je tenais
à ce que mes parents constatent que je
respectais mes paroles et que je méritais
qu'on me fasse confiance. Mais ce fut dur !
Quand toutes les lumières furent éteintes
dans la maison, je me suis remise à rêver
mais
bien vite j'ai été ramenée
à la réalité par un petit
bruit aigu : c'était Adonis qui pleurait
! Il gémissait d'être tout seul dans
son coin, le pauvre
C'était insupportable,
j'en étais malade de douleur d'entendre
ses petites plaintes. Au bout d'un moment j'ai
entendu la voix de mon père autoritaire
: " mais tais-toi donc ! " Je n'ai rien
dit mais je trouvais ça insensé
: j'étais malheureuse de ne pas avoir mon
chien à mes côtés, lui l'était
tout autant, une simple porte nous séparait
et
il nous était interdit de l'ouvrir ! !
!J'en étais malade, d'autant qu'Adonis
ne cessait pas de gémir, et ce collé
devant ma porte.
Et là quelle surprise ! La porte s'est
entrouverte et Adonis est entré. C'est
mon père qui s'était finalement
levé, sans doute un peu énervé
Depuis, je n'ai pas passé une seule nuit
sans Adonis sur mon lit.
Tous les soirs avec ma mère et mon petit
frère, après l'école, on
allait promener Adonis dans le parc Charruyer,
tout près de chez nous. Et là on
le laissait courir comme un petit fou pendant
une heure, plus parfois. Ma mère était
très étonnée de m'entendre
tant parler, moi qui avais tendance à me
taire avant. Mais désormais j'avais toujours
la goule ouverte, et elle en était heureuse.
Aujourd'hui Adonis a neuf ans, mais c'est un chien
toujours en pleine forme, même si la vieillesse
commence à se faire sentir. Je passe des
heures et des heures à le promener dans
les rues, le matin, l'après-midi, le soir,
nous allons partout, nous traversons La Rochelle
dans tous les sens. Nous continuons de nous rendre
très souvent dans le parc, même si
un jour un responsable m'a dit qu'il valait mieux
que j'évite. Quand je vais au lycée
c'est plus difficile bien sûr. Ma mère
s'occupe un peu de lui à midi, mon père
aussi quand il ne travaille pas, et le soir je
prends la relève dès que je rentre.
Je l'emmène partout avec moi, même
chez mes amies. Elles savent très bien
que si je viens chez elles ce ne sera pas seule
Avec
Adonis je n'ai pas peur de marcher seule dans
les rues, de jour comme de nuit, ce qui n'est
pas forcément recommandé pour une
jeune fille
Mais avec lui je n'ai aucune
crainte, car je sais qu'il donnerait sa vie si
quelqu'un osait toucher à un seul de mes
cheveux.
Bien, je vous ai parlé de mon chien, mon cher chien…et je vais terminer par cette jolie citation dont j'ai hélas oublié l'auteur : " Beaucoup qui ont vécu toute une vie vous en raconteront moins qu'un enfant qui a perdu son chien. "

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