journal intime
5 _ Mercredi 5 septembre 2002

Rentrée au lycée

Aujourd'hui, c'était le jour de la rentrée, celui que je déteste parmi tous… Hier soir en me mettant au lit, j'avais un petit pincement au cœur, ça me fait toujours ça les veilles de rentrée…Je me sens stressée, nerveuse…Ce n'est pas que j'aie peur à l'idée de devoir m'intégrer dans une nouvelle classe avec de nouveaux professeurs, non, je n'ai jamais été timide, réservée peut-être mais pas timide, et je n'ai jamais eu de mal à m'intégrer. D'ailleurs je n'ai jamais eu à le faire puisque je n'ai jamais bougé d'ici. Mais c'est autre chose, une petite boule dans la gorge, un petit nœud dans le ventre, une peur du temps qui passe, puisque le jour de la rentrée marque le début d'une nouvelle année.
Quand mon réveil a sonné ce matin, j'ai eu envie de lui foutre des claques pour qu'il s'arrête, mais c'est lui qui m'en mettait, des claques, pour que je me réveille. Alors je suis restée dix minutes dans mon lit à attendre, à repousser le moment du lever le plus tard possible, et ces dix minutes m'ont semblé être quelques secondes. J'écoutais les bruits de la maison, tous ces petits bruits que j'avais oubliés pour ne pas les avoir entendus depuis plus de deux mois. Mon père qui descend l'escalier, la cafetière qui chauffe, la porte du frigo qui s'ouvre, mon père qui prend son petit-dêj' en quatrième vitesse, les voitures dans la rue…Je regardais la lumière se glisser sous ma porte et je me rappelais ce qui m'attendait après. Mon chien Adonis lui aussi comprenait ce qui arrivait, comprenait que j'allais bientôt devoir le quitter pour toute la journée, et il en était tout nerveux. Enfin je sors du lit.
J'ouvre les volets et une grosse bouffée d'air froid vient terminer d'ouvrir mes paupières, quelle horreur ! Je descends à mon tour l'escalier et je me dirige vers la cuisine pieds nus sur le carrelage froid. Le café est brûlant alors j'attends un peu. Je remplis la gamelle d'Adonis, je regarde les voitures dehors et l'intérieur de la maison en face. Là-bas aussi on se réveille. Le café est buvable, il est maintenant temps d'aller s'habiller.
Puis vient le moment où il faut quitter la maison. J'embrasse mon chien en lui assurant que j'aurais préféré rester avec lui toute la journée, et que ce n'est pas par plaisir que je l'abandonne ici. Je sors dehors.
Ben voilà la galère, c'est parti pour un tour…
Je dois aller au lycée à pied, vu que ma mobylette a cramé cet été et que je déteste prendre le bus. Vingt minutes de marche ça réchauffe, que je me dis pour essayer de me rassurer. Je marche, je descends l'avenue Guiton dans la brume, le brouillard, les phares de voitures qui se croisent, et tous ces gens qui font la gueule. Je peux pas leur en vouloir de faire la gueule, je la fais aussi.
Je peux, si je veux, passer par le parc pour aller au lycée. C'est toujours plus agréable que la rue. Ici je retrouve les animaux déjà réveillés et en pleine forme, il faut dire qu'ils se couchent beaucoup plus tôt que moi… Je repense au temps où étant petite, je passais déjà par là, et j'emmenais avec moi un croûton de pain pour donner aux canards. Aujourd'hui les canards ils pourraient crever de faim que ça me laisserait indifférente. Non j'exagère, après tout, ces canards ce sont les seuls qui ne font pas la gueule à cette heure-ci. Encore quelques minutes de marche dans le parc et je traverse le chemin des Remparts, et là se dresse fièrement mon lycée, Dautet qu'il s'appelle.
Je reste à l'écart quelques instants pour regarder la cohue devant les grilles. Il y a là les petits jeunes de quinze ans qui font déjà les branleurs sur leur mobylette. J'entre dans la foule, je regarde ma montre, il me reste encore un peu de temps avant de devoir passer les grilles. Alors je m'allume une cigarette et j'écoute les conversations autour de moi. Ca cause surtout de vacances : de côte d'azur, de Pyrénées et de Méditerranée. Y en a même un qui raconte son voyage en Floride. Putain mais qu'est ce que tu viens nous parler de la Floride un matin de rentrée à 8H00 !…
Autour de moi je cherche quelques visages connus. Certains viennent à moi et me voilà malgré moi au centre d'un groupe de connaissances plus ou moins anciennes. On me demande sans cesse où j'ai passé mes vacances et ça choque tout le monde que je sois resté ici, à La Rochelle, chez moi. Je ne me justifie pas, je n'en ai ni l'envie ni le courage. Et puis surtout je m'en fous.
Il est désormais plus que temps de pénétrer dans la cour et d'aller regarder sur les listes pour voir dans quelle salle je suis. Evidemment, ils ont plaqué toutes les listes au même endroit et plusieurs centaines de personnes sont scotchées devant. Je déteste devoir me frayer un chemin dans les foules alors tant pis, je serai en retard, je me fume une autre clope en attendant que la masse s'éparpille.
Ben voilà la galère, je suis déjà à la bourre…
Quand je peux enfin lire les feuilles, je m'approche. Merde ! Trois étages à monter ! Enfin j'ai au moins un réconfort : Noémie est dans la même classe que moi. Noémie, c'est la seule véritable amie que j'ai dans ce bahut, la seule dont le visage me serait agréable en cette matinée. Je monte l'escalier et j'arrive essoufflée, c'est vrai qu'il n'en faut pas beaucoup pour me fatiguer…Là je retrouve Noémie et c'est le premier bon moment de la journée. Enfin quelqu'un que je retrouve avec plaisir, enfin quelqu'un qui me demande comment je vais avant de me demander où j'ai passé mes vacances, enfin quelqu'un de bien…
Enfin…la journée s'est passée normalement. J'ai découvert mes nouveaux collègues sans grande surprise, et mes nouveaux profs également. Les profs sont toujours très sympas les jours de rentrée. Notre professeur principal était de bonne humeur et plein de sourires, il nous a même sorti quelques plaisanteries. Moi je rigolais en l'imaginant six mois plus tard, quand il nous engueulera parce que ce sera le gros bordel dans la classe. Je sais déjà que peu à peu, sa bonne humeur et ses sourires il les laissera chez lui, et qu'il finira par faire la gueule, comme tout le monde.
Il y a déjà trois profs que je connais pour les avoir déjà eus : un bon, un mauvais, et un qui m'est indifférent. Le bon c'est en histoire, je l'avais l'an dernier, et avec lui les leçons s'apprenaient toutes seules, il suffisait de boire ses paroles pour tout retenir par cœur. C'est bien, je sais déjà que j'aurai la moyenne au bac en fin d'année en histoire. Le mauvais c'est en anglais, j'aurai sûrement l'occasion de reparler de ce beauf plus tard. Celui qui m'est indifférent c'est ma prof de maths, indifférente comme me l'est la matière d'ailleurs.
Je ne sais pas combien de fois j'ai pu entendre le mot " bac " prononcé dans la journée, mais que ce soit par les élèves ou par les profs, ça n'a pas arrêté. Ils nous ont mis dans le bain dès le premier jour ces emmerdeurs : " attention cette année vous avez un examen important qui vous attend…attention vous allez devoir travailler énormément si vous voulez réussir… " Et puis les conseils habituels : " il faut travailler un peu chaque jour plutôt que tout d'un coup… il faut apprendre vos leçons régulièrement… " bref, le même baratin désagréable et inutile qu'on nous répète depuis des années, et qu'on n'a probablement pas fini de nous répéter.
Enfin tout passe, même le plus chiant, même une journée de rentrée. Alors je refais le chemin en sens inverse, le cœur plus léger et les jambes moins lourdes. Déjà les gens sont un plus heureux de vivre, déjà j'ai le sourire plus fréquent, déjà je ne suis plus jalouse des canards dans le parc. J'arrive chez moi où mon chien me fait la fête, je balance mon sac dans un coin quelconque…la journée commence maintenant !
Je monte dans ma chambre, je me fous dans mon fauteuil et je m'envoie de la musique. Ca c'est bon, ça c'est pur, ça c'est honnête, plus que tout ce que j'ai vu aujourd'hui. Puis je vais promener mon chien dans le parc et je m'allonge dans l'herbe, les yeux perdus dans le ciel. Enfin je ne pense plus à rien, je fais le vide, j'enlève de ma tête tout ce qui est inutile : la rentrée, les profs, les cours, mes collègues, le bac, les canards, Noémie, ma sœur, moi-même, et je suis bien…enfin…Ca ne dure jamais très longtemps ces moments de bonheur, rarement plus de trente secondes, mais c'est déjà pas mal.
Et me voilà ce soir dans ma chambre à raconter mes déboires à mon ordi. Tout à l'heure au repas, mon petit frère nous racontera sa rentrée à lui aussi, et ma mère également…vu qu'elle est institutrice, pour elle la rentrée c'est un peu la même chose que pour nous autres ses enfants. Sauf que pour elle ça fait depuis beaucoup plus longtemps que ça dure.
Et je sais qu'après, le calvaire recommencera quand il faudra aller se coucher et régler ce fichu réveil…Et oui, une journée que ça a commencé, et la routine s'est déjà installée…Quelle galère…

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