Aujourd'hui, c'était
le jour de la rentrée, celui que je déteste
parmi tous
Hier soir en me mettant au lit,
j'avais un petit pincement au cur, ça
me fait toujours ça les veilles de rentrée
Je
me sens stressée, nerveuse
Ce n'est
pas que j'aie peur à l'idée de devoir
m'intégrer dans une nouvelle classe avec
de nouveaux professeurs, non, je n'ai jamais été
timide, réservée peut-être
mais pas timide, et je n'ai jamais eu de mal à
m'intégrer. D'ailleurs je n'ai jamais eu
à le faire puisque je n'ai jamais bougé
d'ici. Mais c'est autre chose, une petite boule
dans la gorge, un petit nud dans le ventre,
une peur du temps qui passe, puisque le jour de
la rentrée marque le début d'une
nouvelle année.
Quand mon réveil a sonné ce matin,
j'ai eu envie de lui foutre des claques pour qu'il
s'arrête, mais c'est lui qui m'en mettait,
des claques, pour que je me réveille. Alors
je suis restée dix minutes dans mon lit
à attendre, à repousser le moment
du lever le plus tard possible, et ces dix minutes
m'ont semblé être quelques secondes.
J'écoutais les bruits de la maison, tous
ces petits bruits que j'avais oubliés pour
ne pas les avoir entendus depuis plus de deux
mois. Mon père qui descend l'escalier,
la cafetière qui chauffe, la porte du frigo
qui s'ouvre, mon père qui prend son petit-dêj'
en quatrième vitesse, les voitures dans
la rue
Je regardais la lumière se
glisser sous ma porte et je me rappelais ce qui
m'attendait après. Mon chien Adonis lui
aussi comprenait ce qui arrivait, comprenait que
j'allais bientôt devoir le quitter pour
toute la journée, et il en était
tout nerveux. Enfin je sors du lit.
J'ouvre les volets et une grosse bouffée
d'air froid vient terminer d'ouvrir mes paupières,
quelle horreur ! Je descends à mon tour
l'escalier et je me dirige vers la cuisine pieds
nus sur le carrelage froid. Le café est
brûlant alors j'attends un peu. Je remplis
la gamelle d'Adonis, je regarde les voitures dehors
et l'intérieur de la maison en face. Là-bas
aussi on se réveille. Le café est
buvable, il est maintenant temps d'aller s'habiller.
Puis vient le moment où il faut quitter
la maison. J'embrasse mon chien en lui assurant
que j'aurais préféré rester
avec lui toute la journée, et que ce n'est
pas par plaisir que je l'abandonne ici. Je sors
dehors.
Ben voilà la galère, c'est parti
pour un tour
Je dois aller au lycée à pied, vu
que ma mobylette a cramé cet été
et que je déteste prendre le bus. Vingt
minutes de marche ça réchauffe,
que je me dis pour essayer de me rassurer. Je
marche, je descends l'avenue Guiton dans la brume,
le brouillard, les phares de voitures qui se croisent,
et tous ces gens qui font la gueule. Je peux pas
leur en vouloir de faire la gueule, je la fais
aussi.
Je peux, si je veux, passer par le parc pour aller
au lycée. C'est toujours plus agréable
que la rue. Ici je retrouve les animaux déjà
réveillés et en pleine forme, il
faut dire qu'ils se couchent beaucoup plus tôt
que moi
Je repense au temps où étant
petite, je passais déjà par là,
et j'emmenais avec moi un croûton de pain
pour donner aux canards. Aujourd'hui les canards
ils pourraient crever de faim que ça me
laisserait indifférente. Non j'exagère,
après tout, ces canards ce sont les seuls
qui ne font pas la gueule à cette heure-ci.
Encore quelques minutes de marche dans le parc
et je traverse le chemin des Remparts, et là
se dresse fièrement mon lycée, Dautet
qu'il s'appelle.
Je reste à l'écart quelques instants
pour regarder la cohue devant les grilles. Il
y a là les petits jeunes de quinze ans
qui font déjà les branleurs sur
leur mobylette. J'entre dans la foule, je regarde
ma montre, il me reste encore un peu de temps
avant de devoir passer les grilles. Alors je m'allume
une cigarette et j'écoute les conversations
autour de moi. Ca cause surtout de vacances :
de côte d'azur, de Pyrénées
et de Méditerranée. Y en a même
un qui raconte son voyage en Floride. Putain mais
qu'est ce que tu viens nous parler de la Floride
un matin de rentrée à 8H00 !
Autour de moi je cherche quelques visages connus.
Certains viennent à moi et me voilà
malgré moi au centre d'un groupe de connaissances
plus ou moins anciennes. On me demande sans cesse
où j'ai passé mes vacances et ça
choque tout le monde que je sois resté
ici, à La Rochelle, chez moi. Je ne me
justifie pas, je n'en ai ni l'envie ni le courage.
Et puis surtout je m'en fous.
Il est désormais plus que temps de pénétrer
dans la cour et d'aller regarder sur les listes
pour voir dans quelle salle je suis. Evidemment,
ils ont plaqué toutes les listes au même
endroit et plusieurs centaines de personnes sont
scotchées devant. Je déteste devoir
me frayer un chemin dans les foules alors tant
pis, je serai en retard, je me fume une autre
clope en attendant que la masse s'éparpille.
Ben voilà la galère, je suis déjà
à la bourre
Quand je peux enfin lire les feuilles, je m'approche.
Merde ! Trois étages à monter !
Enfin j'ai au moins un réconfort : Noémie
est dans la même classe que moi. Noémie,
c'est la seule véritable amie que j'ai
dans ce bahut, la seule dont le visage me serait
agréable en cette matinée. Je monte
l'escalier et j'arrive essoufflée, c'est
vrai qu'il n'en faut pas beaucoup pour me fatiguer
Là
je retrouve Noémie et c'est le premier
bon moment de la journée. Enfin quelqu'un
que je retrouve avec plaisir, enfin quelqu'un
qui me demande comment je vais avant de me demander
où j'ai passé mes vacances, enfin
quelqu'un de bien
Enfin
la journée s'est passée
normalement. J'ai découvert mes nouveaux
collègues sans grande surprise, et mes
nouveaux profs également. Les profs sont
toujours très sympas les jours de rentrée.
Notre professeur principal était de bonne
humeur et plein de sourires, il nous a même
sorti quelques plaisanteries. Moi je rigolais
en l'imaginant six mois plus tard, quand il nous
engueulera parce que ce sera le gros bordel dans
la classe. Je sais déjà que peu
à peu, sa bonne humeur et ses sourires
il les laissera chez lui, et qu'il finira par
faire la gueule, comme tout le monde.
Il y a déjà trois profs que je connais
pour les avoir déjà eus : un bon,
un mauvais, et un qui m'est indifférent.
Le bon c'est en histoire, je l'avais l'an dernier,
et avec lui les leçons s'apprenaient toutes
seules, il suffisait de boire ses paroles pour
tout retenir par cur. C'est bien, je sais
déjà que j'aurai la moyenne au bac
en fin d'année en histoire. Le mauvais
c'est en anglais, j'aurai sûrement l'occasion
de reparler de ce beauf plus tard. Celui qui m'est
indifférent c'est ma prof de maths, indifférente
comme me l'est la matière d'ailleurs.
Je ne sais pas combien de fois j'ai pu entendre
le mot " bac " prononcé dans
la journée, mais que ce soit par les élèves
ou par les profs, ça n'a pas arrêté.
Ils nous ont mis dans le bain dès le premier
jour ces emmerdeurs : " attention cette année
vous avez un examen important qui vous attend
attention
vous allez devoir travailler énormément
si vous voulez réussir
" Et
puis les conseils habituels : " il faut travailler
un peu chaque jour plutôt que tout d'un
coup
il faut apprendre vos leçons
régulièrement
" bref,
le même baratin désagréable
et inutile qu'on nous répète depuis
des années, et qu'on n'a probablement pas
fini de nous répéter.
Enfin tout passe, même le plus chiant, même
une journée de rentrée. Alors je
refais le chemin en sens inverse, le cur
plus léger et les jambes moins lourdes.
Déjà les gens sont un plus heureux
de vivre, déjà j'ai le sourire plus
fréquent, déjà je ne suis
plus jalouse des canards dans le parc. J'arrive
chez moi où mon chien me fait la fête,
je balance mon sac dans un coin quelconque
la
journée commence maintenant !
Je monte dans ma chambre, je me fous dans mon
fauteuil et je m'envoie de la musique. Ca c'est
bon, ça c'est pur, ça c'est honnête,
plus que tout ce que j'ai vu aujourd'hui. Puis
je vais promener mon chien dans le parc et je
m'allonge dans l'herbe, les yeux perdus dans le
ciel. Enfin je ne pense plus à rien, je
fais le vide, j'enlève de ma tête
tout ce qui est inutile : la rentrée, les
profs, les cours, mes collègues, le bac,
les canards, Noémie, ma sur, moi-même,
et je suis bien
enfin
Ca ne dure jamais
très longtemps ces moments de bonheur,
rarement plus de trente secondes, mais c'est déjà
pas mal.
Et me voilà ce soir dans ma chambre à
raconter mes déboires à mon ordi.
Tout à l'heure au repas, mon petit frère
nous racontera sa rentrée à lui
aussi, et ma mère également
vu
qu'elle est institutrice, pour elle la rentrée
c'est un peu la même chose que pour nous
autres ses enfants. Sauf que pour elle ça
fait depuis beaucoup plus longtemps que ça
dure.
Et je sais qu'après, le calvaire recommencera
quand il faudra aller se coucher et régler
ce fichu réveil
Et oui, une journée
que ça a commencé, et la routine
s'est déjà installée
Quelle
galère
|