Samedi soir, après
que mon copain Olivier eût fini de travailler,
on est sorti en ville. Une fille de ma classe,
Audrey, organisait un repas de classe chez elle.
Je ne la connaissais pas encore, mais comme on
n'avait rien d'autre à faire et qu'elle
habite à cinq minutes à pied de
chez moi, on a décidé d'y aller.
Les repas de classe, on en fait tous les ans depuis
qu'on est au lycée, mais en général
on attend quelques semaines après la rentrée,
histoire que tout le monde se connaisse un petit
peu déjà, et on fait ça dans
un resto du centre-ville, une créperie
quelconque
Or là il y avait à
peine trois jours que les cours avaient repris
et le repas se faisait chez une fille plutôt
que dans un resto, on aurait pu flairer que ça
allait être louche. L'heure du rendez-vous
était " en début de soirée
", ce qui veut tout et rien dire, et chacun
devait amener un peu de quoi manger. Le genre
de soirées où tout le monde arrive
et repart comme dans un moulin. Enfin peu importe
on y est allé, d'autant que ma copine Noémie
m'avait prévenue qu'elle serait de la partie.
On s'est donc pointé pour 9H00 du soir,
Olivier, mon chien Adonis et moi, avec une pizza,
une bouteille d'Oasis à l'orange, et un
flacon de cognac.
Première surprise en arrivant : on n'était
que trois de la classe : Audrey, Noémie
et moi. Etonnant pour un repas de classe. Et deuxième
surprise : il y avait là toute une bande
de types et de filles que j'avais croisés
à plusieurs reprises dans les rues de La
Rochelle. Sachez que, sans vouloir me vanter,
j'ai une très grande mémoire et
que je me rappelle toujours de tout, même
des trucs sans intérêt, même
les visages et les prénoms de gens que
j'ai à peine connus pendant quelques secondes.
Et ces personnes qui étaient chez Audrey,
je les avais croisées un bon nombre de
fois : c'étaient des espèces de
jeunes (genre vingt-cinq ans) sans domiciles,
des punks, qui sont toujours à traîner
au coin des rues, à demander de l'argent
aux passants, à jouer du djembé
jusqu'à pas d'heures
Eux ne m'ont
pas reconnue bien sûr, il faut dire que
j'ai un " look " beaucoup plus "
ordinaire ". Quoique
c'est vrai que
je passe beaucoup de temps à promener mon
berger-allemand, il y a bien des gens qui ont
dû me remarquer
A propos de chiens ils en avaient tous un ou deux
chacun, et en les voyant Olivier n'était
pas rassuré car c'est vrai qu'ils n'étaient
pas de races très tendres. Il croyait que
c'était des pitt-bulls, mais je l'ai rassuré
ça n'en était pas, c'était
probablement des bâtards, mais il faut dire
qu'ils avaient de quoi impressionner quand même
avec leur encolure et leur énorme mâchoire.
Heureusement c'étaient presque tous des
chiots, et comme Adonis est très sociable
il s'est bien entendu avec. Mais si ces chiots
avaient mesuré quelques centimètres
de plus, je pense que je serais rentrée
illico car ils n'auraient sûrement pas fait
bon ménage avec mon chien à moi.
On était en train de discuter avec Olivier
et Noémie quand l'un des types est venu
nous voir en disant : " Vous et moi on est
les deux extrêmes. Vous, vous êtes
des coincés, et moi je me considère
comme un paumé, un drogué. Mais
je suis sûr que si on cherche un juste milieu,
on va passer ensemble une super soirée
" J'étais morte de rire intérieurement.
Et après ça il s'est roulé
une clope et quand il a tiré la langue
pour mouiller sa feuille j'ai vu qu'il avait un
clou planté dedans
Trop marrant.
Quand deux personnes sont complètement
différentes, il suffit qu'elles aient un
petit point en commun et qu'elles accrochent dessus
pour réussir à s'entendre, et c'est
effectivement ce qui s'est passé entre
Freddy (c'était le nom de ce type) et moi,
qui avons pour point commun l'amour des chiens.
Lui il est plutôt branché pitt-bulls
et moi plutôt berger-allemands, mais quand
même on a pu discuter plusieurs heures de
nos bêtes. Il m'a raconté la vie
de son chiot et moi celle de mon Adonis, je lui
ai entre autres parler de l'éducation que
je lui avais donnée et dont j'ai déjà
causé dans une précédente
entrée. On s'est quitté en très
bonne entente, il a dit qu'il espérait
me revoir prochainement, ce qui à mon avis
ne tardera pas étant donné qu'il
est toujours à traîner quelque part
en ville et que moi de mon côté je
passe le plus clair de mon temps à promener
mon chien dans les rues. Surtout que La Rochelle
est loin d'être une ville immense.
Hier, c'était dimanche. J'ai toujours détesté
les dimanches. Enfin non pas toujours
quand
j'étais petite ce jour là on allait
toujours chez mes grands-parents, qui habitent
sur l'île de Ré. Je vous parle d'un
temps où l'île de Ré était
encore très agréable, c'est à
dire avant qu'ils ne construisent le pont qui
la relie désormais au continent. On s'en
allait, mes parents, ma sur, mon petit frère
et moi, à l'embarcadère d'assez
bonne heure et on allait là-bas en bateau.
Le soir c'était encore mieux, surtout l'hiver,
on revenait par la mer dans le noir et le froid,
c'était terrible
J'avais pas cinq
ans à l'époque mais ça fait
partie de mes souvenirs impérissables.
Hier mes parents sont donc allés là-bas,
comme de coutume, et moi je suis restée
avec Olivier et mon petit frère. Je n'aime
pas le dimanche, tout est bizarre le dimanche,
le temps est arrêté, personne ne
fait rien, et on a toujours en tête l'idée
que le lendemain, la vie va reprendre de plus
belle pour plusieurs jours, quelle horreur ! Et
en septembre c'est pire. Septembre, c'est le mois
de la rentrée, la fin de l'été
: les dimanches de septembre sont encore plus
nostalgiques et plus tristes que ceux des autres
mois de l'année. Pour peu qu'il pleuve
un peu ce jour-là, et j'en ai un cafard
à couper au couteau.
Olivier et moi on est resté plusieurs heures
dans les bras l'un de l'autre, sur mon lit, à
rien faire, juste parler un peu, c'était
chouette. Quand j'y repense ça me déprime
déjà, dire que je vais bientôt
le quitter
Il va tomber des nues le pauvre,
et il en sera certainement très malheureux
et j'aimerais en demander pardon par avance. Mais
demander pardon à qui ? En attendant c'est
vrai qu'hierr on était bien tous les deux
sur mon lit. C'était doux.
Le soir je l'ai raccompagné à la
gare, et quand son train est parti j'avais une
petite larme. Je ne pleurais pas pour lui non,
ce serait mentir que de dire ça, mais je
pleurais sur ce foutu dimanche qui venait de passer,
sur ce foutu mois de septembre, et sur ce qui
m'attendait le lendemain, les cours, le travail
Enfin, il y a des choses plus graves dans la vie.
Tout passe, et la journée d'aujourd'hui
a été loin d'être une sale
journée. A bien y réfléchir,
je crois que j'aime encore mieux le lundi que
le dimanche.
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