journal intime
7 _ Lundi 9 septembre 2002

Dimanche de septembre

Samedi soir, après que mon copain Olivier eût fini de travailler, on est sorti en ville. Une fille de ma classe, Audrey, organisait un repas de classe chez elle. Je ne la connaissais pas encore, mais comme on n'avait rien d'autre à faire et qu'elle habite à cinq minutes à pied de chez moi, on a décidé d'y aller. Les repas de classe, on en fait tous les ans depuis qu'on est au lycée, mais en général on attend quelques semaines après la rentrée, histoire que tout le monde se connaisse un petit peu déjà, et on fait ça dans un resto du centre-ville, une créperie quelconque… Or là il y avait à peine trois jours que les cours avaient repris et le repas se faisait chez une fille plutôt que dans un resto, on aurait pu flairer que ça allait être louche. L'heure du rendez-vous était " en début de soirée ", ce qui veut tout et rien dire, et chacun devait amener un peu de quoi manger. Le genre de soirées où tout le monde arrive et repart comme dans un moulin. Enfin peu importe on y est allé, d'autant que ma copine Noémie m'avait prévenue qu'elle serait de la partie. On s'est donc pointé pour 9H00 du soir, Olivier, mon chien Adonis et moi, avec une pizza, une bouteille d'Oasis à l'orange, et un flacon de cognac.
Première surprise en arrivant : on n'était que trois de la classe : Audrey, Noémie et moi. Etonnant pour un repas de classe. Et deuxième surprise : il y avait là toute une bande de types et de filles que j'avais croisés à plusieurs reprises dans les rues de La Rochelle. Sachez que, sans vouloir me vanter, j'ai une très grande mémoire et que je me rappelle toujours de tout, même des trucs sans intérêt, même les visages et les prénoms de gens que j'ai à peine connus pendant quelques secondes. Et ces personnes qui étaient chez Audrey, je les avais croisées un bon nombre de fois : c'étaient des espèces de jeunes (genre vingt-cinq ans) sans domiciles, des punks, qui sont toujours à traîner au coin des rues, à demander de l'argent aux passants, à jouer du djembé jusqu'à pas d'heures…Eux ne m'ont pas reconnue bien sûr, il faut dire que j'ai un " look " beaucoup plus " ordinaire ". Quoique…c'est vrai que je passe beaucoup de temps à promener mon berger-allemand, il y a bien des gens qui ont dû me remarquer…
A propos de chiens ils en avaient tous un ou deux chacun, et en les voyant Olivier n'était pas rassuré car c'est vrai qu'ils n'étaient pas de races très tendres. Il croyait que c'était des pitt-bulls, mais je l'ai rassuré ça n'en était pas, c'était probablement des bâtards, mais il faut dire qu'ils avaient de quoi impressionner quand même avec leur encolure et leur énorme mâchoire. Heureusement c'étaient presque tous des chiots, et comme Adonis est très sociable il s'est bien entendu avec. Mais si ces chiots avaient mesuré quelques centimètres de plus, je pense que je serais rentrée illico car ils n'auraient sûrement pas fait bon ménage avec mon chien à moi.
On était en train de discuter avec Olivier et Noémie quand l'un des types est venu nous voir en disant : " Vous et moi on est les deux extrêmes. Vous, vous êtes des coincés, et moi je me considère comme un paumé, un drogué. Mais je suis sûr que si on cherche un juste milieu, on va passer ensemble une super soirée… " J'étais morte de rire intérieurement. Et après ça il s'est roulé une clope et quand il a tiré la langue pour mouiller sa feuille j'ai vu qu'il avait un clou planté dedans… Trop marrant.
Quand deux personnes sont complètement différentes, il suffit qu'elles aient un petit point en commun et qu'elles accrochent dessus pour réussir à s'entendre, et c'est effectivement ce qui s'est passé entre Freddy (c'était le nom de ce type) et moi, qui avons pour point commun l'amour des chiens. Lui il est plutôt branché pitt-bulls et moi plutôt berger-allemands, mais quand même on a pu discuter plusieurs heures de nos bêtes. Il m'a raconté la vie de son chiot et moi celle de mon Adonis, je lui ai entre autres parler de l'éducation que je lui avais donnée et dont j'ai déjà causé dans une précédente entrée. On s'est quitté en très bonne entente, il a dit qu'il espérait me revoir prochainement, ce qui à mon avis ne tardera pas étant donné qu'il est toujours à traîner quelque part en ville et que moi de mon côté je passe le plus clair de mon temps à promener mon chien dans les rues. Surtout que La Rochelle est loin d'être une ville immense.
Hier, c'était dimanche. J'ai toujours détesté les dimanches. Enfin non pas toujours…quand j'étais petite ce jour là on allait toujours chez mes grands-parents, qui habitent sur l'île de Ré. Je vous parle d'un temps où l'île de Ré était encore très agréable, c'est à dire avant qu'ils ne construisent le pont qui la relie désormais au continent. On s'en allait, mes parents, ma sœur, mon petit frère et moi, à l'embarcadère d'assez bonne heure et on allait là-bas en bateau. Le soir c'était encore mieux, surtout l'hiver, on revenait par la mer dans le noir et le froid, c'était terrible… J'avais pas cinq ans à l'époque mais ça fait partie de mes souvenirs impérissables. Hier mes parents sont donc allés là-bas, comme de coutume, et moi je suis restée avec Olivier et mon petit frère. Je n'aime pas le dimanche, tout est bizarre le dimanche, le temps est arrêté, personne ne fait rien, et on a toujours en tête l'idée que le lendemain, la vie va reprendre de plus belle pour plusieurs jours, quelle horreur ! Et en septembre c'est pire. Septembre, c'est le mois de la rentrée, la fin de l'été : les dimanches de septembre sont encore plus nostalgiques et plus tristes que ceux des autres mois de l'année. Pour peu qu'il pleuve un peu ce jour-là, et j'en ai un cafard à couper au couteau.
Olivier et moi on est resté plusieurs heures dans les bras l'un de l'autre, sur mon lit, à rien faire, juste parler un peu, c'était chouette. Quand j'y repense ça me déprime déjà, dire que je vais bientôt le quitter… Il va tomber des nues le pauvre, et il en sera certainement très malheureux et j'aimerais en demander pardon par avance. Mais demander pardon à qui ? En attendant c'est vrai qu'hierr on était bien tous les deux sur mon lit. C'était doux.
Le soir je l'ai raccompagné à la gare, et quand son train est parti j'avais une petite larme. Je ne pleurais pas pour lui non, ce serait mentir que de dire ça, mais je pleurais sur ce foutu dimanche qui venait de passer, sur ce foutu mois de septembre, et sur ce qui m'attendait le lendemain, les cours, le travail…
Enfin, il y a des choses plus graves dans la vie. Tout passe, et la journée d'aujourd'hui a été loin d'être une sale journée. A bien y réfléchir, je crois que j'aime encore mieux le lundi que le dimanche.

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