journal intime
9 _ Dimanche 15 septembre 2002

Week-end à Bordeaux

Je reviens de Bordeaux où j'ai passé, disons, un week-end très correct. La ville de Bordeaux m'a bien plu mais alors hou la la ! Quel bordel innommable ! En effet en ce moment ils sont en train de mettre en place le tramway, et je crois honnêtement que ceux qui organisent tout ça ne sont pas à la hauteur. Je ne dis pas que c'est simple de bâtir une telle structure, surtout dans une ville telle que celle-ci où toutes les rues sont étroites et les maisons les unes par-dessus les autres, mais franchement il y a des limites…
J'ai vu des choses auxquelles je n'aurais jamais cru si on me les avait racontées. Une rue entière fermée à la circulation pour un simple petit trou dans la chaussée à un endroit, des quartiers ravagés par les tractopelles, des machines à goudron par centaines éparpillées aux quatre coins de la ville… Les travaux là-bas c'est Apocalypse Now ! Les mecs tu leurs donnes un quartier à aménager, ils t'en font un no man's land !! Des trottoirs défoncés, des chaussées démolies, des routes détournées à ne plus savoir quoi en faire… Olivier m'expliquait que régulièrement il était obligé de modifier son itinéraire pour se rendre d'un point à un autre. Là-bas, une rue qui est ouverte un jour peut très bien se retrouver fermée le lendemain, sans aucune raison apparente. Le plus beau que j'ai vu, quand même, c'était un feu rouge à un endroit où il n'y avait pas d'intersection… ! Même pas de passage piéton, ni de sortie, ni d'arrêt de bus, rien ! Juste un feu planté sur le bord de la route… Hallucinant.
Ce qui est pas mal aussi c'est qu'au lieu de se concentrer sur un point précis et de mettre tous leurs efforts dessus, ils ont préféré tout construire en même temps. Ainsi ils sont après travailler sur le pont d'Aquitaine afin de l'élargir. Le pont d'Aquitaine, construit dans les années soixante, était à l'époque une merveille de technologie, un peu comme le golden gate de San Francisco en plus petit. Manque de bol ils l'ont fait trop étroit… vive la France ! D'après ce qu'on m'a raconté ça fait deux ans qu'ils essaient de l'élargir, sans succès pour l'instant. Il paraît même que pendant un moment il menaçait de s'effondrer. Deux-cent milles tonnes de goudron au milieu du fleuve ça aurait été chouette…
Cela-dit j'ai trouvé cette ville très charmante. Si on se masque les yeux sur ces travaux provisoires, Bordeaux est une ville qui a du charme. A part Paris, j'ai pu visiter la plupart des grandes villes de ce pays (Lyon, Marseille, …), et chaque ville a son " style ". C'est un peu normal d'ailleurs, des milliers d'années de civilisation ne peuvent pas laisser une cité sans âme, sans caractère… Dans le Sud, vers Nîmes, c'est le style à la romaine, les cirques et les aqueducs… A Marseille, c'est la Méditerranée, le soleil et la soif… Bordeaux quant à elle me donne l'impression d'une ville anciennement très riche. Qui dit Bordeaux dit vin rouge, et qui dit vin rouge dit grands viticulteurs énormément riches, qui exportent le sang de leur terre dans le monde entier. Et ce sont ces viticulteurs qui ont dû donner à Bordeaux cette âme de ville fière et droite. Les quais qui longent le fleuve soutiennent une très longue rangée de bâtiments parfaitement alignés les uns à la suite des autres sur deux ou trois kilomètres. Et tous les trois cents mètres il y a une sorte de vieux hangar tout pourri, en ruine… Ils ont dû connaître leur heure de gloire, ces hangars, à l'époque où les cargos venaient encore en ville vendre leurs marchandises. Mais maintenant ils ne servent plus à grand chose. Je doute qu'ils survivent encore très longtemps.
Olivier habite un très vieil appartement dans le centre, près de la place Gambetta. Il le partage avec un colocataire que j'avais déjà rencontré un jour à La Rochelle. On était donc trois sous le même toit et Olivier le regrettait un peu. Moi aussi mais pas trop, je pense que je me serais sentie mal à l'aise pendant deux jours si nous n'avions été que tous les deux.
J'ai bien aimé ce petit séjour car on n'a pas fait ce que je n'aime pas (manger au Mac Do, danser), et au contraire on a fait ce que j'apprécie : on est allé dans un bistrot bien de chez nous et on y a passé la soirée. Enfin je dis " bien de chez nous "…pas vraiment puisque c'était un pub irlandais. Enfin avec ces américains qui envahissent notre pays depuis cinquante ans avec leurs cochonneries de tout genre, je considère que tout ce qui est européen est de " chez nous ".
On est resté là de 9H00 du soir jusqu'à 02H00. Plusieurs inconnus sont venus à tour de rôle nous adresser la parole, ça fait plaisir de voir que tout le monde n'est pas refermé sur lui-même dans cette société. Le pub était bondé de monde à partir de 10H00, et il y avait là toutes sortes de gens. Des irlandais et des français en majorité, des gros rasés, des femmes, des arabes… Tous ces gens s'entendaient très bien entre eux.
L'autre jour, je pensais en moi-même que la plupart des gens racistes, dans le fond, ne savent pas pourquoi il le sont, et que donc c'est une preuve de manque d'intelligence que de ne pas aimer les étrangers. Et puis à bien y réfléchir, je me suis dit que la plupart des gens qui, au contraire, sont contre le racisme, ne savent pas non plus pourquoi ils sont contre. Au fond, il y a très peu de gens qui se forgent eux-mêmes leurs propres opinions après y avoir mûrement réfléchi. Mais moi samedi soir j'ai compris pourquoi je n'étais pas raciste. Il suffisait d'ouvrir les yeux et de regarder cinq minutes tous ces irlandais, ces français, ces blancs et ces arabes, discuter entre eux et rigoler. Tous étaient différents. Après leur petit verre, certains iront dans un autre bar, certains iront regarder la télé, et d'autres iront faire leur prière. Ils sont tous différents, et c'est ce qui fait le charme du tableau. Qu'est ce qu'on se ferait chier si on était tous pareils !
Quand j'y repense, je crois que c'est pour ça que j'ai bien aimé cette ville. C'est le bordel, les gens sont un peu stressés dans les rues par la circulation, les bistrots sont remplis de monde le samedi soir, parfois les gens s'engueulent, parfois ils se marrent, mais dans le fond c'est ce gros bordel qui donne tout son intérêt à la ville. C'est ça Bordeaux, c'est ça la France même… Et c'est ça l'Europe aussi probablement.
Cela-dit, j'étais bien contente de retrouver ma ville. Elle est bien moins grande, bien moins animée, mais elle aussi elle a son charme. Et pis merde c'est ma ville quoi…

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