Hier soir, j'étais
à l'école de ma mère (elle
est institutrice). Et ça m'a fait tout
drôle car c'est à cette école
que j'allais étant petite. C'est ma mère
qui était ma maîtresse, c'est elle
qui m'a appris à lire et à écrire.
Et je n'y étais pas retournée depuis
maintenant six ans
comme ça fait drôle
! Pour ma mère, qui n'a jamais cessé
d'y travailler depuis tout ce temps, c'est un
décor habituel. Mais pour moi c'était
une plongée dans mon enfance.
C'est une toute petite école de rien du
tout, dans un tout petit village de rien du tout,
perdu dans la campagne charentaise, à une
demi-heure en voiture de La Rochelle. Un petit
village où il ne se passe jamais rien,
avec une kermesse à la fin de l'année,
le petit discours du maire, et c'est à
peu près tout. Je me revois encore entrer
dans cette école pour la première
fois.
J'avais six ans à l'époque et c'était
un grand jour que celui-ci : la rentrée
dans la grande école ! Je me souviens que
j'avais mis ma petite robe rouge, ma préférée.
J'étais une des premières à
entrer dans la classe alors j'étais allée
m'asseoir près de la fenêtre, j'avais
posé mon coude sur la table, ma tête
sur ma main, et je regardais les autres rentrer,
le plus souvent accompagnés de leurs parents.
Je revois bien cette image, il y a des choses
comme ça qui marquent. Mais plus le temps
passe et plus cette image devient floue, hélas.
Mais je ne pense pas que je l'oublierai un jour,
elle est trop belle et bien ancrée en moi.
Et c'est ce jour là que j'ai rencontré
Mathieu, celui qui est devenu ensuite l'un de
mes meilleurs amis d'enfance. Ma mère restait
tous les jours une heure ou deux dans sa classe,
le soir, pour corriger les cahiers et préparer
son travail du lendemain. Et il y avait dans l'école
une autre institutrice qui faisait pareil, et
elle avait un fils du même âge que
moi : Mathieu. On passait donc beaucoup de temps
ensemble le soir après l'école.
Le premier jour, je m'étais installée
sur les marches dans la cour pour prendre mon
goûter. C'était un pain au lait avec
un berlingot à la vanille, c'est ce que
ma mère m'a donné pendant des années.
J'étais en train de manger ça quand
Mathieu est arrivé. Il avait un ballon
de foot et il tapait dedans pour le faire rebondir
contre le mur. Moi je le regardais intriguée.
Au bout d'un moment j'ai vu une coquille d'escargot
collée tout en haut du mur, sous la gouttière,
alors je lui ai demandé s'il était
capable de la dégommer avec son ballon.
Il a essayé plein de fois, sans réussir.
Et hier soir je suis repassée devant le
mur et là, quelle surprise !
la coquille
d'escargot y est toujours. C'est dingue, dire
qu'il y a onze ans elle avait failli tomber, décrochée
par un ballon de foot
C'est con de penser
ça, non ? Ben moi j'y pense.
Avec Mathieu on trouvait toujours à s'occuper.
Parfois on allait dans le bac à sable.
On ne faisait jamais ça le jour car on
trouvait que c'était réservé
aux petits, aux maternelles, et on n'aurait pas
voulu se montrer dedans. Mais le soir il n'y avait
que nous alors on allait y jouer. Et quand on
trouvait un caillou un peu brillant on se persuadait
qu'il valait une fortune. Le top, c'est quand
on allait dans la salle de jeux. Nos mères
nous l'interdisaient mais parfois on prenait le
risque. Et là on avait tous les jeux pour
nous tout seuls ! Une année, quand le printemps
est venu, on s'est mis à attraper des abeilles
dans des bocaux. Et plus le temps passait plus
on en attrapait, et dans des bocaux de plus en
plus petits. Et un jour, Mathieu a attrapé
un gros bourdon dans un tout petit bocal en plastique.
Wow ! J'étais impressionnée ! Quel
courage ! Ce jour là il est devenu mon
idole. Enfin pour une ou deux semaines
Et c'est avec lui que j'ai fait mon premier bisou.
Comme ça, juste pour rigoler. Quand il
pleuvait dehors on avait le droit de regarder
la télé. Et quand je voyais un homme
et une femme s'embrasser j'étais toujours
très intriguée. Et lui aussi je
pense. Alors un jour il a eu l'idée qu'on
essaye, tous les deux. Et donc on s'est fait un
gros bisou sur la bouche, comme dans les films.
Mais j'ai pas aimé, je me suis tout de
suite essuyé les lèvres, et vraiment
je me suis dit " mais pourquoi est-ce qu'ils
s'embrassent tout le temps à la télé
? y a vraiment rien de chouette à ça
! "
On était opposé au niveau du caractère.
Moi j'étais plutôt calme et timide,
alors que lui c'était une vraie boule de
nerfs, très turbulent, toujours à
faire plein de conneries. Et pourtant on s'entendait
à merveille. D'ailleurs, quand il était
avec moi il était plus calme que d'habitude,
et moi de mon côté j'avais tendance
à me lâcher plus, à plus m'exprimer.
Comme quoi y a pas que chez les adultes que ça
fonctionne, ce genre de choses.
Et un jour on s'est quitté, de la même
manière qu'on s'était rencontré,
comme ça, sans joie ni tristesse. C'était
le dernier jour de la dernière année,
on savait tous les deux qu'on allait chacun partir
dans un collège différent l'année
suivante, mais on n'y pensait pas. Ca ne nous
venait même pas à l'esprit. Tu penses
pas à ça quand t'es gamin. Et pourtant
on ne s'est plus revu depuis. Enfin jusqu'à
hier.
J'étais en train de lire un bouquin dans
la classe, hier soir, quand je vois passer un
gars dans la cour. Il se dirigeait vers la maison
qui est dans l'école (c'est un logement
de fonction, c'est à dire réservé
aux institutrices de l'école). Alors bien
sûr ça a fait tilt, si ce garçon
rentrait dans cette maison, ça ne pouvait
être que Mathieu. J'ai couru dehors et je
suis arrivée dans la cour au moment où
il allait entrer chez lui. Alors je l'ai appelé.
Il s'est retourné et a froncé les
sourcils. J'ai traversé la cour pour m'approcher
de lui et je suis arrivée à sa hauteur.
Là je crois qu'il avait enfin compris qui
j'étais. Je lui souriais, il me dévisageait,
puis il a prononcé mon prénom d'un
air interrogateur. J'ai fait oui de la tête.
Et alors là on est tombé dans les
bras l'un de l'autre, j'en avais les larmes aux
yeux et lui aussi. Et puis il me tenait du bout
de ses bras, me regardait de la tête aux
pieds en souriant, puis on se reprenait dans les
bras. Quelle joie ! On a mis un moment à
s'en remettre
J'ai regardé les fenêtres de la classe
de ma mère : elle avait tout vu et elle
souriait. Ca doit être pour ça qu'on
est resté vraiment longtemps hier soir
: ma mère était sûrement contente
de nous voir ensemble. Alors on est allé
se promener dans le village. La mairie, la salle
des fêtes, le foyer des associations
quand
on a vu ça on a tout vu. Mais on a aussi
vu son oncle Georges, dans son fauteuil roulant.
" Tu te rappelles d'elle ? c'est [Aglaia],
la fille de Madame A
" lui a dit Mathieu.
Et Georges se rappelait très bien de moi
et il était tout content lui aussi de me
revoir. Il m'a rappelé que dans le temps
je passais par la fenêtre de sa maison pour
entrer dans sa cuisine. Mais oui ! Je l'avais
oublié ça, mais ça m'est
revenu quand il me l'a dit. Et ben
Mathieu m'a demandé des nouvelles de mon
petit frère, et m'a dit qu'il était
désolé pour ma sur. Ben ouais
y a de quoi l'être, désolé.
S'il savait tout ce qui s'est passé dans
les détails, je crois qu'il n'aurait pas
utilisé le mot " désolé
". Plutôt le mot " bouleversé
", ou même " terrorisé
", mais bon peu importe.
Ce qui me chagrine, c'est qu'il m'a paru triste.
Je pense qu'il a pris quelques coups ces dernières
années, qui ont dû lui faire mal.
Il n'est pas très souriant, il parle beaucoup
mais dit beaucoup de choses cassantes, il y a
beaucoup de trucs qui lui déplaisent. C'est
dommage un peu. Mais je l'aime comme il est, alors
je ne m'arrête pas à ça. Je
l'ai invité à venir manger avec
moi au lycée mardi. Lui il est dans un
autre lycée pas très loin du mien,
il aura le temps de passer. On mangera tous les
trois, lui, Noémie, et moi. Je me demande
si Noémie se rappelle de lui, et inversement.
Ils se sont déjà vus plusieurs fois
dans leur enfance, vu que c'était les deux
amis que j'invitais le plus souvent chez moi.
On verra bien.
Ce soir, dans même pas deux heures, je sors
avec Alain. Première soirée qu'on
va passer ensemble, j'ai le stress ! J'ai le stress
mais c'est super agréable, c'est bon, c'est
doux, il va me prendre dans ses bras et je vais
être trop bien. Je suis pressée de
le retrouver.
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