journal intime
19 _ Samedi 5 octobre 2002

Retour à l'école

Hier soir, j'étais à l'école de ma mère (elle est institutrice). Et ça m'a fait tout drôle car c'est à cette école que j'allais étant petite. C'est ma mère qui était ma maîtresse, c'est elle qui m'a appris à lire et à écrire. Et je n'y étais pas retournée depuis maintenant six ans…comme ça fait drôle ! Pour ma mère, qui n'a jamais cessé d'y travailler depuis tout ce temps, c'est un décor habituel. Mais pour moi c'était une plongée dans mon enfance.
C'est une toute petite école de rien du tout, dans un tout petit village de rien du tout, perdu dans la campagne charentaise, à une demi-heure en voiture de La Rochelle. Un petit village où il ne se passe jamais rien, avec une kermesse à la fin de l'année, le petit discours du maire, et c'est à peu près tout. Je me revois encore entrer dans cette école pour la première fois.
J'avais six ans à l'époque et c'était un grand jour que celui-ci : la rentrée dans la grande école ! Je me souviens que j'avais mis ma petite robe rouge, ma préférée. J'étais une des premières à entrer dans la classe alors j'étais allée m'asseoir près de la fenêtre, j'avais posé mon coude sur la table, ma tête sur ma main, et je regardais les autres rentrer, le plus souvent accompagnés de leurs parents. Je revois bien cette image, il y a des choses comme ça qui marquent. Mais plus le temps passe et plus cette image devient floue, hélas. Mais je ne pense pas que je l'oublierai un jour, elle est trop belle et bien ancrée en moi.
Et c'est ce jour là que j'ai rencontré Mathieu, celui qui est devenu ensuite l'un de mes meilleurs amis d'enfance. Ma mère restait tous les jours une heure ou deux dans sa classe, le soir, pour corriger les cahiers et préparer son travail du lendemain. Et il y avait dans l'école une autre institutrice qui faisait pareil, et elle avait un fils du même âge que moi : Mathieu. On passait donc beaucoup de temps ensemble le soir après l'école.
Le premier jour, je m'étais installée sur les marches dans la cour pour prendre mon goûter. C'était un pain au lait avec un berlingot à la vanille, c'est ce que ma mère m'a donné pendant des années. J'étais en train de manger ça quand Mathieu est arrivé. Il avait un ballon de foot et il tapait dedans pour le faire rebondir contre le mur. Moi je le regardais intriguée. Au bout d'un moment j'ai vu une coquille d'escargot collée tout en haut du mur, sous la gouttière, alors je lui ai demandé s'il était capable de la dégommer avec son ballon. Il a essayé plein de fois, sans réussir. Et hier soir je suis repassée devant le mur et là, quelle surprise !… la coquille d'escargot y est toujours. C'est dingue, dire qu'il y a onze ans elle avait failli tomber, décrochée par un ballon de foot…C'est con de penser ça, non ? Ben moi j'y pense.
Avec Mathieu on trouvait toujours à s'occuper. Parfois on allait dans le bac à sable. On ne faisait jamais ça le jour car on trouvait que c'était réservé aux petits, aux maternelles, et on n'aurait pas voulu se montrer dedans. Mais le soir il n'y avait que nous alors on allait y jouer. Et quand on trouvait un caillou un peu brillant on se persuadait qu'il valait une fortune. Le top, c'est quand on allait dans la salle de jeux. Nos mères nous l'interdisaient mais parfois on prenait le risque. Et là on avait tous les jeux pour nous tout seuls ! Une année, quand le printemps est venu, on s'est mis à attraper des abeilles dans des bocaux. Et plus le temps passait plus on en attrapait, et dans des bocaux de plus en plus petits. Et un jour, Mathieu a attrapé un gros bourdon dans un tout petit bocal en plastique. Wow ! J'étais impressionnée ! Quel courage ! Ce jour là il est devenu mon idole. Enfin pour une ou deux semaines…
Et c'est avec lui que j'ai fait mon premier bisou. Comme ça, juste pour rigoler. Quand il pleuvait dehors on avait le droit de regarder la télé. Et quand je voyais un homme et une femme s'embrasser j'étais toujours très intriguée. Et lui aussi je pense. Alors un jour il a eu l'idée qu'on essaye, tous les deux. Et donc on s'est fait un gros bisou sur la bouche, comme dans les films. Mais j'ai pas aimé, je me suis tout de suite essuyé les lèvres, et vraiment je me suis dit " mais pourquoi est-ce qu'ils s'embrassent tout le temps à la télé ? y a vraiment rien de chouette à ça ! "
On était opposé au niveau du caractère. Moi j'étais plutôt calme et timide, alors que lui c'était une vraie boule de nerfs, très turbulent, toujours à faire plein de conneries. Et pourtant on s'entendait à merveille. D'ailleurs, quand il était avec moi il était plus calme que d'habitude, et moi de mon côté j'avais tendance à me lâcher plus, à plus m'exprimer. Comme quoi y a pas que chez les adultes que ça fonctionne, ce genre de choses.
Et un jour on s'est quitté, de la même manière qu'on s'était rencontré, comme ça, sans joie ni tristesse. C'était le dernier jour de la dernière année, on savait tous les deux qu'on allait chacun partir dans un collège différent l'année suivante, mais on n'y pensait pas. Ca ne nous venait même pas à l'esprit. Tu penses pas à ça quand t'es gamin. Et pourtant on ne s'est plus revu depuis. Enfin jusqu'à hier.
J'étais en train de lire un bouquin dans la classe, hier soir, quand je vois passer un gars dans la cour. Il se dirigeait vers la maison qui est dans l'école (c'est un logement de fonction, c'est à dire réservé aux institutrices de l'école). Alors bien sûr ça a fait tilt, si ce garçon rentrait dans cette maison, ça ne pouvait être que Mathieu. J'ai couru dehors et je suis arrivée dans la cour au moment où il allait entrer chez lui. Alors je l'ai appelé. Il s'est retourné et a froncé les sourcils. J'ai traversé la cour pour m'approcher de lui et je suis arrivée à sa hauteur. Là je crois qu'il avait enfin compris qui j'étais. Je lui souriais, il me dévisageait, puis il a prononcé mon prénom d'un air interrogateur. J'ai fait oui de la tête. Et alors là on est tombé dans les bras l'un de l'autre, j'en avais les larmes aux yeux et lui aussi. Et puis il me tenait du bout de ses bras, me regardait de la tête aux pieds en souriant, puis on se reprenait dans les bras. Quelle joie ! On a mis un moment à s'en remettre…
J'ai regardé les fenêtres de la classe de ma mère : elle avait tout vu et elle souriait. Ca doit être pour ça qu'on est resté vraiment longtemps hier soir : ma mère était sûrement contente de nous voir ensemble. Alors on est allé se promener dans le village. La mairie, la salle des fêtes, le foyer des associations…quand on a vu ça on a tout vu. Mais on a aussi vu son oncle Georges, dans son fauteuil roulant. " Tu te rappelles d'elle ? c'est [Aglaia], la fille de Madame A… " lui a dit Mathieu. Et Georges se rappelait très bien de moi et il était tout content lui aussi de me revoir. Il m'a rappelé que dans le temps je passais par la fenêtre de sa maison pour entrer dans sa cuisine. Mais oui ! Je l'avais oublié ça, mais ça m'est revenu quand il me l'a dit. Et ben…
Mathieu m'a demandé des nouvelles de mon petit frère, et m'a dit qu'il était désolé pour ma sœur. Ben ouais y a de quoi l'être, désolé. S'il savait tout ce qui s'est passé dans les détails, je crois qu'il n'aurait pas utilisé le mot " désolé ". Plutôt le mot " bouleversé ", ou même " terrorisé ", mais bon peu importe.
Ce qui me chagrine, c'est qu'il m'a paru triste. Je pense qu'il a pris quelques coups ces dernières années, qui ont dû lui faire mal. Il n'est pas très souriant, il parle beaucoup mais dit beaucoup de choses cassantes, il y a beaucoup de trucs qui lui déplaisent. C'est dommage un peu. Mais je l'aime comme il est, alors je ne m'arrête pas à ça. Je l'ai invité à venir manger avec moi au lycée mardi. Lui il est dans un autre lycée pas très loin du mien, il aura le temps de passer. On mangera tous les trois, lui, Noémie, et moi. Je me demande si Noémie se rappelle de lui, et inversement. Ils se sont déjà vus plusieurs fois dans leur enfance, vu que c'était les deux amis que j'invitais le plus souvent chez moi. On verra bien.
Ce soir, dans même pas deux heures, je sors avec Alain. Première soirée qu'on va passer ensemble, j'ai le stress ! J'ai le stress mais c'est super agréable, c'est bon, c'est doux, il va me prendre dans ses bras et je vais être trop bien. Je suis pressée de le retrouver.

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