journal intime
18 _ Jeudi 3 octobre 2002

Mon moniteur (encore)

Je suis sur un petit nuage depuis plusieurs heures. Comme il est bon et comme il est doux de ne plus penser à rien d'autre qu'à ce qui est agréable ! Et comme il est incroyable à quel point tout peut changer en l'espace de quelques jours ou même quelques heures ! J'ai envie de chanter à la terre entière que la vie n'est pas si moche que ça. Il y a longtemps que je ne m'étais pas sentie comme ça…
Hier après-midi, quand l'auto-école est venue me chercher, c'était Alain qui était le moniteur. Quelle joie ! Il n'était pourtant pas prévu sur le planning. C'était peut-être un hasard ou un problème de dernière minute qui l'avait obligé à revoir l'emploi du temps, mais peut-être aussi que c'était pour moi… En tous cas j'avais le cœur qui battait à fond en me mettant au volant. Je ne sais pas si c'était à cause de la joie ou à cause du stress qu'il battait, mais il allait vite. Et puis la leçon s'est passée normalement, rien d'extraordinaire… C'est vrai que c'est son métier, quand même, son rôle est de m'apprendre à conduire, pas de faire la causette (dommage !). Entre parenthèses j'ai appris le démarrage en côte, j'ai calé plusieurs fois mais il faut dire que la côte était très raide. Peu importe.
Ce que j'attendais avec impatience, c'était la leçon de ce soir car elle était à 19H00, c'est à dire la dernière de la journée, et donc je me disais que peut-être on aurait un petit peu de temps pour parler à la fin… J'y ai pensé toute la journée, et je me sentais bien même si rien n'était sûr. Noémie m'a dit qu'elle me trouvait souriante, alors que depuis quelques jours j'étais plutôt tristounette. Elle doit avoir raison.
La leçon de ce soir, c'était génial. Sur la fin, la nuit commençait à tomber, et j'ai roulé sur une longue ligne droite qui longe la mer, c'était beau, et même si ma vitesse était limitée je sentais le vent dans mes cheveux et j'étais bien. Je suis en train de me découvrir un nouveau plaisir : celui de conduire une voiture. Je l'ai dit à Alain et il m'a répondu que c'était un des principaux ingrédients pour réussir l'examen : aimer conduire. C'est vrai que quand on aime, tout est plus facile. Il a bien raison.
Et puis nous sommes rentrés chez moi. En arrivant j'étais toute contente de constater que mes parents n'étaient pas encore rentrés et qu'il n'y avait que mon petit frère dans la maison. Ca me permettait en effet de rester un petit peu dans la voiture pour causer de tout et de rien avec Alain, à condition que ça ne le dérange pas bien sûr. J'avais un sujet de conversation tout prêt pour lui : les Doors, étant donné que j'avais vu des disques dans la boîte à gants. Manque de bol ces disques n'étaient pas à lui, c'est à peine s'il connaissait une ou deux chansons de Jim Morrisson…mon coup était à l'eau. Mais ce n'est pas grave car il a embrayé sur un autre sujet, et on a discuté pendant une bonne dizaine de minutes de mon lycée, de son travail, de la patronne de l'auto-école... Je lui ai dit que j'étais étonnée qu'à vingt-cinq ans elle soit déjà chef d'une petite entreprise, et il m'a raconté son cursus. Mais au bout d'un moment j'ai détourné la conversation, il allait quand même pas me parler pendant une heure d'une autre fille ! Et puis je lui ai dit que j'aimerais sortir pour fumer une cigarette. Et il est sorti lui aussi. C'est là que j'ai commencé à vraiment prendre les choses au sérieux. Qu'il change son planning ne veut rien dire. Qu'il discute un peu avec moi à la fin de la leçon non plus. Mais qu'il sorte lui aussi de la voiture ! Là j'ai commencé à croire que c'était possible, et j'en tremblais d'émotion. En plus je savais que mes parents pouvaient arriver d'un moment à l'autre et je ne voulais pas qu'ils me voient avec Alain, ici, plantée devant chez nous… J'entendais mon chien qui aboyait dans la maison, il fait toujours ça quand il sent que je suis arrivée. La porte s'est ouverte : c'est mon petit frère qui laissait mon chien sortir. Julien m'a vue avec Alain : il a été discret et a refermé la porte. Mon chien est venu se frotter à nous et on le caressait bêtement, Alain et moi, sans rien dire. Et on a regardé mon chien courir dans la rue dans tous les sens, comme ça, côte à côte, c'était terrible ! Il était là à quelques centimètres de moi, je crois même que nos mains se frôlaient mais je n'en suis plus très sûre. Je regardais mon chien car j'osais pas croiser le regard d'Alain. A un moment je l'ai regardé et lui aussi, et c'est incroyable tout ce que j'ai vu passer dans ses yeux. Il y avait tout dans ses pupilles, et surtout de l'hésitation, je crois même qu'il s'est approché légèrement de moi mais trois fois rien, quelques millimètres, c'était fou. Et puis j'ai encore détourné les yeux. Et je me disais " putain fais quelque chose, dépêche-toi ou tu vas le regretter pendant des semaines ". Les pensées défilaient à cent à l'heure dans ma tête. Et là, on s'est de nouveau regardé, il a pris ma main et m'a embrassée. Ouf......
Je crois que j'ai été un peu violente dans le bisou, comme si je lâchais toute mon émotion d'un seul coup. Mais j'étais bien. J'avais conscience au fond de moi que ce moment resterait gravé dans mon cœur pour pas mal de temps. J'ai senti quelque chose me caresser la jambe : c'était mon chien. C'est vrai, il n'aime pas quand il voit que je suis proche avec un étranger, surtout quand c'est un homme, il est un peu jaloux. Mais dans ces cas là je le caresse et il redevient tout content. N'empêche que c'est lui qui nous a fait arrêter notre bisou…s'il avait pas été là, si ça se trouve on serait encore en train de s'embrasser ! Non quand même pas…
Alain m'a regardée en souriant et m'a dit : " c'est pas facile de savoir ce que les autres pensent ". C'est clair…
Il a fallu que je rentre car je savais que mes parents allaient arriver et je ne voulais pas qu'ils me voient avec lui. Alors je suis rentrée après un autre bisou un peu plus calme.
J'étais toute excitée en entrant et ça a fait rire mon frère. Eh eh… il devine toujours tout celui-là. C'est lui qui m'a rappelé que nos parents ne rentraient pas ce soir…j'avais oublié ! Dire que j'aurais pu rester avec Alain toute la soirée…enfin c'est pas grave, l'essentiel est fait, et je vais avoir des semaines pour rattraper les deux ou trois heures que j'aurais pu passer en sa compagnie.
C'est moi qui ai fait la cuisine : j'ai préparé des spaghetti, car je sais que mon frère adore. On a beaucoup parlé lui et moi, il est vraiment très intelligent pour son âge (treize ans). Il m'a raconté sa journée, quelques anecdotes marrantes qui m'ont bien fait rire. Je lui ai raconté pour Alain et lui ai demandé si ça le choquait que je sorte avec un type de trente-huit ans. Il m'a répondu direct " pas du tout ". Je lui ai fait un gros bisou, il est vraiment chouette mon petit frère.
Et maintenant, je suis sur mon petit nuage.

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