journal intime
17 _ Mardi 1er octobre 2002

Mon moniteur

Je crois que je suis en train de tomber amoureuse de mon moniteur d'auto-école. C'est complètement con comme première phrase, mais je n'en ai pas trouvé d'autre. Hier, c'était la première fois que je l'avais comme moniteur, et en sortant de la voiture j'étais très déçue de devoir le quitter. Et aujourd'hui je l'étais d'avantage encore. Il s'appelle Alain, il a trente-huit ans, il est charmant et sympa. Mais je crois que je ferais mieux de tout de suite l'oublier car c'est perdu d'avance, c'est évident…il est si intelligent, si sûr de lui, je vois pas comment il pourrait s'intéresser à la gamine que je suis. S'il se passait quelque chose entre nous, ce serait forcément du temps de perdu pour lui… Il est posé dans ses attitudes, réfléchi dans ses paroles, il a de l'humour, et quand on est avec lui on se sent tout de suite rassuré, tu te dis qu'il ne peut rien t'arriver. Je disais qu'il était charmant, c'est vrai. Pas spécialement beau mais charmant, c'est différent. Je ne suis certainement pas la première élève à craquer pour lui, mais je suis certainement la première à m'imaginer que c'est possible. C'est vrai que j'ai vite tendance à me faire des illusions…
J'essaie de ne pas penser à lui, de me persuader que c'est encore un de mes délires passagers, mais c'est un peu dur. Peut-être que je ferais mieux de le lui dire carrément. Lui dire carrément qu'il me plaît et voilà, on verrait bien…Soit je lui plais aussi, et on gagnerait ainsi des semaines de bavardages inutiles, soit il me prendra pour une petite gamine qui rêve un peu trop…mais même dans ce dernier cas je serai fixée au moins. Mais je ne le ferai pas, je suis trop timide pour ça. Il y a des filles qui n'ont pas froid aux yeux, j'en connais qui foncent sans réfléchir et le plus souvent ça marche. L'an dernier dans un café, une fille que je connais un peu m'a montré un gars en me disant qu'elle le trouvait beau. Une heure après je les vois partir tous les deux ! Ca m'avait fait halluciner sur le moment. C'est comme la grande sœur de Noémie, elle a vingt ans, s'habille comme une allumeuse, et chaque fois que je vais chez elle, elle a un nouveau copain. Pourtant elle n'a pas inventé la poudre. Mais apparemment, ça les hommes s'en foutent que les filles aient ou non inventé la poudre. Mais bon sans aller jusque là, être un peu plus directe ne me ferait pas de mal, c'est sûr.
Je me rappelle que le jour de la rentrée en seconde, je suis tombée raide amoureuse d'un gars de ma classe. Le vrai coup de foudre, j'avais jamais vécu ça. Je ne pensais plus qu'à lui toute la journée, j'en rêvais même parfois la nuit. Je m'imaginais en train de me balader en ville avec lui, en train de prendre un café à une terrasse, en train de faire l'amour dans son lit…C'était agréable au début de rêver comme ça, et puis le temps passant ça tourne à la prise de tête et comme je n'osais pas lui dire, j'ai fini par en être bien malheureuse…Et puis j'ai fini par ne plus y penser et voilà, rien ne s'est passé. Et dans les derniers jours de l'année, une fille m'a appris que le gars en question il avait lui aussi flashé sur moi au début, qu'il parlait souvent de moi, et elle se demandait comment j'avais fait pour ne pas m'en apercevoir alors que c'était si flagrant. En apprenant ça j'ai reçu comme un choc. Dire que pour ne pas avoir osé dire ce que j'avais sur le cœur, j'ai gâché plusieurs mois de ma vie… Et là tout est pareil avec Alain : je le vois déjà en train de m'embrasser dans la voiture, en train de m'inviter chez lui, en train de me raconter sa jeunesse, en train de me faire l'amour…
Cela dit, je n'ai pas été complètement muette non plus ce soir lors de ma leçon. Je lui ai dit que j'avais une heure de conduite demain à 16H00 et lui ai demandé, comme ça, si ce serait lui qui me la donnerait… Quand il m'a répondu que non j'ai dit " dommage "…c'est sorti tout seul et je l'ai regretté aussitôt, merde ! que je me suis dit… Mais ça n'a pas eu l'air de le troubler, d'ailleurs je crois qu'il en faudrait beaucoup pour le troubler. Il m'a juste demandé pourquoi alors j'ai essayé de rattraper le coup en lui expliquant que lui, il était le moniteur avec lequel j'étais la moins stressée au volant. C'est faux, je ne suis pas stressée avec les autres non plus, mais il fallait bien dire quelque chose. N'empêche qu'il a peut-être compris ce que je voulais dire…mais peut-être pas. Et ça y est, me voilà encore à me demander ce qu'il peut bien penser de moi en ce moment. Et d'abord, est-ce qu'il pense à moi tout court ? Non, certainement pas…
J'ai regardé sa main : il n'a pas d'alliance. Pas marié, donc. C'est bon ça. Ca ne veut pas dire qu'il est célibataire mais c'est déjà un bon point quand même. Je me dis que peut-être, demain, c'est lui qui sera mon moniteur…Peut-être qu'il va échanger son plannig avec celui que j'aurais dû avoir, ce sont des choses qui se font ça, après tout. Ca ne voudrait rien dire, mais ce serait un bon point aussi. J'ai beau essayer de me dire qu'il faut que j'arrête d'y penser, je sais que demain quand la voiture viendra me chercher, si ce n'est pas lui qui est au volant je vais être toute triste et il me faudra longtemps pour réussir à me concentrer sur la route. Alors que si c'est lui je vais exploser de joie, et là aussi il me faudra longtemps pour réussir à me concentrer…C'est con quand même d'être aussi dépendant de petites choses comme ça. C'est fou de penser que des gens qu'on connaît à peine puissent avoir une telle influence sur notre humeur.
Tout à l'heure j'étais après me demander de quelle manière j'allais m'habiller demain, dans l'éventualité où ce serait Alain qui serait mon moniteur. Et puis je me suis reprise, tout de même il ne faut pas que je sois obsédée à ce point. Mais je sais pourtant que demain matin en choisissant mes vêtements je ne pourrai pas m'empêcher de penser à lui, à ce qui pourrait bien lui plaire. Pfff, comme si le fait de mettre un jean ou une robe allait changer quelque chose. Et pis j'aurai l'air bien conne si je fais des efforts vestimentaires et qu'au bout du compte c'est pas lui qui me la donne, la leçon. Que c'est stupide…
J'ai vu qu'il y avait des disques des Doors dans la boîte à gants de la voiture. S'il aime les Doors c'est bon, je peux lui en parler pendant des heures, je peux même lui chanter mon adaptation personnelle d'un texte de Jim Morisson : I'm a backdoor girl ! ! ! Ca le ferait peut-être marrer. Mais bon je ne vois pas par quelle stratégie je pourrais en venir à lui parler de tout ça, et encore moins à chanter mes conneries pendant une leçon de conduite. Le mieux c'est d'y aller direct, dit-on.
Mais il faut que j'arrête. Ou plutôt il faut que je choisisse. Soit je fonce, soit je l'oublie. Mais il faut que je choisisse.

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