Je crois que je
suis en train de tomber amoureuse de mon moniteur
d'auto-école. C'est complètement
con comme première phrase, mais je n'en
ai pas trouvé d'autre. Hier, c'était
la première fois que je l'avais comme moniteur,
et en sortant de la voiture j'étais très
déçue de devoir le quitter. Et aujourd'hui
je l'étais d'avantage encore. Il s'appelle
Alain, il a trente-huit ans, il est charmant et
sympa. Mais je crois que je ferais mieux de tout
de suite l'oublier car c'est perdu d'avance, c'est
évident
il est si intelligent, si
sûr de lui, je vois pas comment il pourrait
s'intéresser à la gamine que je
suis. S'il se passait quelque chose entre nous,
ce serait forcément du temps de perdu pour
lui
Il est posé dans ses attitudes,
réfléchi dans ses paroles, il a
de l'humour, et quand on est avec lui on se sent
tout de suite rassuré, tu te dis qu'il
ne peut rien t'arriver. Je disais qu'il était
charmant, c'est vrai. Pas spécialement
beau mais charmant, c'est différent. Je
ne suis certainement pas la première élève
à craquer pour lui, mais je suis certainement
la première à m'imaginer que c'est
possible. C'est vrai que j'ai vite tendance à
me faire des illusions
J'essaie de ne pas penser à lui, de me
persuader que c'est encore un de mes délires
passagers, mais c'est un peu dur. Peut-être
que je ferais mieux de le lui dire carrément.
Lui dire carrément qu'il me plaît
et voilà, on verrait bien
Soit je
lui plais aussi, et on gagnerait ainsi des semaines
de bavardages inutiles, soit il me prendra pour
une petite gamine qui rêve un peu trop
mais
même dans ce dernier cas je serai fixée
au moins. Mais je ne le ferai pas, je suis trop
timide pour ça. Il y a des filles qui n'ont
pas froid aux yeux, j'en connais qui foncent sans
réfléchir et le plus souvent ça
marche. L'an dernier dans un café, une
fille que je connais un peu m'a montré
un gars en me disant qu'elle le trouvait beau.
Une heure après je les vois partir tous
les deux ! Ca m'avait fait halluciner sur le moment.
C'est comme la grande sur de Noémie,
elle a vingt ans, s'habille comme une allumeuse,
et chaque fois que je vais chez elle, elle a un
nouveau copain. Pourtant elle n'a pas inventé
la poudre. Mais apparemment, ça les hommes
s'en foutent que les filles aient ou non inventé
la poudre. Mais bon sans aller jusque là,
être un peu plus directe ne me ferait pas
de mal, c'est sûr.
Je me rappelle que le jour de la rentrée
en seconde, je suis tombée raide amoureuse
d'un gars de ma classe. Le vrai coup de foudre,
j'avais jamais vécu ça. Je ne pensais
plus qu'à lui toute la journée,
j'en rêvais même parfois la nuit.
Je m'imaginais en train de me balader en ville
avec lui, en train de prendre un café à
une terrasse, en train de faire l'amour dans son
lit
C'était agréable au début
de rêver comme ça, et puis le temps
passant ça tourne à la prise de
tête et comme je n'osais pas lui dire, j'ai
fini par en être bien malheureuse
Et
puis j'ai fini par ne plus y penser et voilà,
rien ne s'est passé. Et dans les derniers
jours de l'année, une fille m'a appris
que le gars en question il avait lui aussi flashé
sur moi au début, qu'il parlait souvent
de moi, et elle se demandait comment j'avais fait
pour ne pas m'en apercevoir alors que c'était
si flagrant. En apprenant ça j'ai reçu
comme un choc. Dire que pour ne pas avoir osé
dire ce que j'avais sur le cur, j'ai gâché
plusieurs mois de ma vie
Et là tout
est pareil avec Alain : je le vois déjà
en train de m'embrasser dans la voiture, en train
de m'inviter chez lui, en train de me raconter
sa jeunesse, en train de me faire l'amour
Cela dit, je n'ai pas été complètement
muette non plus ce soir lors de ma leçon.
Je lui ai dit que j'avais une heure de conduite
demain à 16H00 et lui ai demandé,
comme ça, si ce serait lui qui me la donnerait
Quand il m'a répondu que non j'ai dit "
dommage "
c'est sorti tout seul et je
l'ai regretté aussitôt, merde ! que
je me suis dit
Mais ça n'a pas eu
l'air de le troubler, d'ailleurs je crois qu'il
en faudrait beaucoup pour le troubler. Il m'a
juste demandé pourquoi alors j'ai essayé
de rattraper le coup en lui expliquant que lui,
il était le moniteur avec lequel j'étais
la moins stressée au volant. C'est faux,
je ne suis pas stressée avec les autres
non plus, mais il fallait bien dire quelque chose.
N'empêche qu'il a peut-être compris
ce que je voulais dire
mais peut-être
pas. Et ça y est, me voilà encore
à me demander ce qu'il peut bien penser
de moi en ce moment. Et d'abord, est-ce qu'il
pense à moi tout court ? Non, certainement
pas
J'ai regardé sa main : il n'a pas d'alliance.
Pas marié, donc. C'est bon ça. Ca
ne veut pas dire qu'il est célibataire
mais c'est déjà un bon point quand
même. Je me dis que peut-être, demain,
c'est lui qui sera mon moniteur
Peut-être
qu'il va échanger son plannig avec celui
que j'aurais dû avoir, ce sont des choses
qui se font ça, après tout. Ca ne
voudrait rien dire, mais ce serait un bon point
aussi. J'ai beau essayer de me dire qu'il faut
que j'arrête d'y penser, je sais que demain
quand la voiture viendra me chercher, si ce n'est
pas lui qui est au volant je vais être toute
triste et il me faudra longtemps pour réussir
à me concentrer sur la route. Alors que
si c'est lui je vais exploser de joie, et là
aussi il me faudra longtemps pour réussir
à me concentrer
C'est con quand même
d'être aussi dépendant de petites
choses comme ça. C'est fou de penser que
des gens qu'on connaît à peine puissent
avoir une telle influence sur notre humeur.
Tout à l'heure j'étais après
me demander de quelle manière j'allais
m'habiller demain, dans l'éventualité
où ce serait Alain qui serait mon moniteur.
Et puis je me suis reprise, tout de même
il ne faut pas que je sois obsédée
à ce point. Mais je sais pourtant que demain
matin en choisissant mes vêtements je ne
pourrai pas m'empêcher de penser à
lui, à ce qui pourrait bien lui plaire.
Pfff, comme si le fait de mettre un jean ou une
robe allait changer quelque chose. Et pis j'aurai
l'air bien conne si je fais des efforts vestimentaires
et qu'au bout du compte c'est pas lui qui me la
donne, la leçon. Que c'est stupide
J'ai vu qu'il y avait des disques des Doors dans
la boîte à gants de la voiture. S'il
aime les Doors c'est bon, je peux lui en parler
pendant des heures, je peux même lui chanter
mon adaptation personnelle d'un texte de Jim Morisson
: I'm a backdoor girl ! ! ! Ca le ferait peut-être
marrer. Mais bon je ne vois pas par quelle stratégie
je pourrais en venir à lui parler de tout
ça, et encore moins à chanter mes
conneries pendant une leçon de conduite.
Le mieux c'est d'y aller direct, dit-on.
Mais il faut que j'arrête. Ou plutôt
il faut que je choisisse. Soit je fonce, soit
je l'oublie. Mais il faut que je choisisse.
|