journal intime
32 _ Dimanche 27 octobre 2002

A la pêche

Voilà plusieurs jours que Julie est chez nous et franchement je dois dire que c'est une fille adorable, et que je suis très contente d'avoir fait sa connaissance. Au début elle parlait peu, mais petit à petit elle devient plus expansive et ça me fait plaisir car ça prouve qu'elle se sent en confiance avec moi. C'est vrai qu'elle est particulière, quand même… Elle est souvent perdue dans ses pensées, complètement déconnectée, moi aussi je suis un peu comme ça mais moins je crois. J'aimerais bien savoir à quoi elle peut bien penser mais je ne lui demande pas, car je sais que ce n'est pas très agréable de répondre à ce genre de questions.
Aujourd'hui, comme c'était dimanche et que je n'aime pas rester à me morfondre à la maison le dimanche, je lui ai proposé d'aller rendre visite à mes grands-parents sur l'île de Ré, et l'idée lui a plu. On a donc pris le car en milieu de matinée, tous les trois. Je dis tous les trois car il y avait aussi mon chien, vu que je connais bien le chauffeur, j'ai ce petit privilège de pouvoir emmener Adonis avec moi, ce qui n'est normalement pas autorisé dans ces cars là. Pendant le trajet je discutais avec le chauffeur et parfois j'observais Julie, elle regardait le paysage, pensive. Enfin est-ce qu'elle le regardait vraiment, le paysage… Pas tellement en fait.
A cette époque de l'année, l'île de Ré est enfin redevenue très calme : fini les touristes de l'été qui s'y accumulent par dizaines de milliers sur une longueur de trente kilomètres. Fin octobre il n'y a plus que les autochtones, et quelques touristes retardataires qui ne sont pas là que pour faire de la planche à voile ou je ne sais quoi d'autre. Je me souviens du temps où j'avais pas cinq ans et qu'il n'y avait pas encore le pont qui relie l'île au continent. Là c'était vraiment charmant. Elle a perdu de son intérêt depuis, mais bon… c'est comme ça.
Arrivés de l'autre côté du pont il faut encore parcourir une vingtaine de kilomètres avant d'arriver à Ars, le village de mes grands-parents. Chez eux on a été accueillies comme des princesses, la visite du dimanche, pour eux, c'est l'évènement de la semaine, surtout qu'il y a un moment que je n'y étais pas allée… Ma grand-mère avait préparé un bon repas, elle m'a posé plein de questions, les cours, la conduite, tout ça… Ils ont deux chats alors avec mon chien ça ne fait pas très bon ménage, mais Julie a carrément craqué pour Minou, le plus petit des deux. Elle l'a caressé longuement, s'est renseignée sur son âge et sur plein d'autres détails, et elle a même passé tout le repas avec lui sur ses genoux.
Ensuite mon grand-père nous a proposé de l'accompagner à la pêche. Je ne suis pas une adoratrice de ce sport mais comme je voyais que ça lui ferait un plaisir immense de nous emmener avec lui j'ai dit oui. Il a mis tout son matériel dans son espèce de petite charrette et on est allé se poser sur le petit port au centre du village. Il n'y avait pas un chat, juste quelques promeneurs, on était vraiment tranquille.
Julie n'avait jamais pêché de sa vie alors il y a mis tout son cœur. Pourtant au bout d'une heure on n'avait toujours rien sorti de l'eau. Au début, elle était persuadée qu'un poisson rôdait autour de son hameçon car elle affirmait que son bouchon n'arrêtait pas de couler. Effectivement il coulait mais bon, c'était surtout dû aux vagues… En général le bouchon coule dans le creux et fait un bond dans la bosse. Mais parfois, quand il y a une petite perturbation dans le rythme des flots, il arrive que le bouchon coule en haut d'une vague et comme on n'est pas habitué à voir ça on se dit " tiens j'ai une touche ! " Mais non… J'ai essayé de lui expliquer mais elle restait convaincue qu'un poisson cherchait à attraper son ver. Elle tirait légèrement sa canne à chaque fois pour voir si rien ne bougeait au bout du fil, elle était décidément très motivée ! Au bout d'un moment elle a complètement sorti le fil de l'eau : il n'y avait plus de ver à l'hameçon ! Elle l'avait dû mal l'accrocher… mais à son avis à elle c'est un poisson qui l'avait attrapé, et elle était certaine qu'il allait affâmé. Alors elle a continué son petit manège, puis a fini par se lasser.
C'est fou comme le temps passe vite quand on reste planté bêtement au bord de l'eau. Mais ça faisait une heure qu'on était là et toujours rien. J'ai regardé Julie, elle était maintenant absorbée dans ses pensées, les yeux perdus dans le vague, si bien que quand son bouchon a coulé (et cette fois pour de bon) c'est moi qui ai dû le lui faire remarquer. Elle est aussitôt redescendue sur terre, a levé sa canne, mais hélas ! le poisson est retombé à l'eau au moment où elle allait le prendre entre ses mains. Mais ça l'a remotivée et elle nous a fait remarquer que peut-être on n'était pas dans le bon coin pour pêcher. Mon grand-père lui a répondu que ça faisait des années qu'il essayait tous les coins du port, et que celui-là c'était le meilleur, qu'il n'y avait pas de doutes possibles. Mais elle s'est quand même éloignée avec sa canne pour essayer un peu plus loin. Elle était bien à une soixantaine de mètres quand elle nous appelés : " j'en ai un ! ! ! " Eh oui ! Enfin elle en avait tiré un de l'eau ! J'arrive en vitesse : il était joli en plus, un bon mulet, que c'était. On a essayé de lui retirer l'hameçon de la gueule mais c'était dur car il était rendu en plein dans sa gorge. On a quand même réussi sans lui faire trop mal et on l'a mis dans le seau d'eau. Le temps que je retourne chercher ma canne pour venir pêcher au même endroit qu'elle, elle en avait sorti un autre ! Puis ce fut à mon tour de tirer un mulet, et finalement en une heure on en a pêché vingt-quatre à nous trois (mon grand-père nous a rejoint). C'était vraiment chouette.
On a rejeté toutes nos prises à l'eau et on est rentré. En chemin mon grand-père affirmait à Julie qu'elle devait avoir un don pour la pêche, une sorte de " sixième sens " qui lui permettrait de " sentir " où se trouve le poisson. Peut-être que c'est vrai, qui sait ?
On est rentré par le même car en début de soirée. Maintenant Julie est couchée et moi je tape à mon clavier. Ce serait bien que je me mette au travail dans les jours qui viennent car j'ai pas mal de boulot pour la rentrée, mais je n'en ai vraiment aucune envie. J-3 pour l'examen de conduite accompagnée.

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