Quand je lisais
Les Misérables de Victor Hugo, je souriais
gentiment de voir à quel point Marius et
Cosette étaient amoureux l'un de l'autre,
et je me disais que c'était exagéré,
que tout ça c'était du romantisme
poussé à l'extrême. Et pourtant
en ce moment je suis pareille. Quand je suis sur
le point de retrouver Alain, j'ai le cur
qui bat plus vite, je suis toute contente, toute
joyeuse, impatiente, je me regarde mille fois
dans la glace pour vérifier que mes cheveux
ne sont pas trop en vrac et mes vêtements
pas trop débraillés.
Mais la différence c'est que dans le bouquin,
quand les deux héros sont séparés,
ils sont malheureux. Moi aussi je suis triste
quand Alain n'est pas là, mais j'ai l'impression
que ce n'est pas pour la même raison. Eux
sont tristes car leur amour leur manque, moi je
suis triste parce que si j'aime Alain, je ne suis
pas du tout sûre que ce soit réciproque,
et tout cela me perturbe l'esprit.
Quand on s'est embrassé la première
fois, je n'avais pas idée de toutes les
questions que ça entraînerait de
sortir avec un homme de trente-huit ans, et de
tout ce qu'il ne serait pas possible de faire.
Tant de choses nous séparent, dans le fond
Hier soir j'ai passé plusieurs heures avec
lui et on a réussi à parler sérieusement
de certains sujets pour la première fois.
Il m'a semblé plus sincère et plus
honnête que d'habitude, et moins désintéressé
de ce que je lui racontais. J'avais enfin le sentiment
qu'il m'écoutait vraiment. Mais tout de
même il m'a dit des choses incroyables,
que j'ai encore du mal à comprendre aujourd'hui.
On marchait dans la rue, ma main dans la sienne,
je sentais toute sa présence à ma
gauche, et je tenais la laisse de mon chien dans
ma main droite. L'ambiance était douce,
c'était le soir, la nuit tombait, tout
dans la rue était encore allumé,
et il faisait un peu froid. J'aime cette atmosphère.
Je lui ai posé plein de questions sur sa
vie, et il m'a répondu très patiemment
à chaque fois. Il a bien vu que j'étais
inquiète quant à notre avenir, d'ailleurs
il doit le voir depuis le début. Alors
il m'a parlé très sérieusement
et ça m'a fait bizarre. Ce qu'il m'a dit
d'une part, et sa manière de me le dire
d'autre part. En effet, il s'est arrêté
de marcher, m'a posé les mains sur les
épaules et m'a regardé droit dans
les yeux. C'est fou, c'est exactement comme ça
que me parle mon père quand il veut me
dire quelque chose d'important. Exactement comme
ça, les mains sur mes épaules, le
regard fixe et grave, il me parle et après
me serre contre lui. Maintenant je réalise
vraiment qu'Alain pourrait être mon père.
Quand je suis née il avait vingt et un
ans, quatre ans de plus que ce que j'ai actuellement
Et il m'a dit (je déforme sans doute un
peu) : " Ecoute, tu es une jeune fille formidable,
je t'adore, je t'aime, crois moi. Mais tu sais
moi je ne m'attache jamais à rien ni à
personne, je t'aime aujourd'hui mais ça
peut s'arrêter du jour au lendemain. Sois
pas triste, je suis comme ça, mais tu peux
être sûre que tant que je suis avec
toi c'est que je t'aime. Je te mentirai jamais.
" Hou la la ça m'a fait drôle
quand même, surtout de la part de quelqu'un
qui dit si peu ce qu'il a sur le cur d'habitude.
Mais ça m'a fait mal, quand même,
qu'il me dise comme ça qu'il ne s'attacherait
pas à moi, et que tout pouvait s'arrêter
du jour au lendemain. Alors j'ai pleuré
un peu et quand il a vu ça il m'a serrée
contre lui.
Après ça tout était joyeux,
on a continué de se promener, j'ai arrêté
de penser à tout ça et il m'a fait
rire. Tout fut parfait ensuite. Il n'y a qu'après
que j'ai repensé à ce qu'il m'avait
dit.
Je suis moins inquiète qu'avant, beaucoup
moins. Je sais désormais qu'Alain est quelqu'un
d'honnête, qu'il ne me trompera pas, qu'il
ne se moquera pas de moi, et ça c'est déjà
énorme. Mais je sais aussi qu'il n'a à
priori pas l'intention de passer trop de temps
avec moi. Mais bon, maintenant au moins, je sais
que je dois juste me contenter de vivre au jour
le jour, je lui fais entièrement confiance,
quand notre histoire s'arrêtera eh bien
elle s'arrêtera, c'est tout. Evidemment
ce n'est pas la grande joie, mais c'est toujours
mieux qu'avant. Avant c'étaient des questions
qui me perturbaient l'esprit, maintenant ce sont
des sentiments qui me remuent le cur. Et
je trouve cela préférable.
Hier soir, j'ai parlé de tout ça
à mes parents. Pas de ce que m'avait Alain
bien sûr, je les ai juste informés
que je sortais avec un homme de trente-huit ans,
qui était mon moniteur d'auto-école.
Je ne leur cache jamais rien à mes parents,
je ne leur mens jamais. Je sais qu'à défaut
de me comprendre, au moins ils m'écoutent
et ne me jugent pas. Il faut dire qu'avec tout
ce que leur a montré ma sur avant
moi, je ne vois pas ce qui pourrait les troubler
aujourd'hui. Ils m'ont posé tout un tas
de questions auxquelles j'ai répondu, et
voilà, c'est tout. A la fin mon père
a posé ses mains sur mes épaules
(décidément ça n'arrêtait
pas) pour me dire qu'à son avis je ne tirerais
pas grande satisfaction de cette histoire, mais
que bon c'était mon choix. Mes parents
étaient assez déçus quand
j'ai quitté Olivier car ils l'aimaient
bien, alors de savoir que je l'ai remplacé
par Alain ne les pas beaucoup enthousiasmés.
Je crois qu'ils ont l'impression que j'ai laissé
tomber une serviette pour choisir un torchon.
Pour moi c'est plutôt l'inverse, j'ai laissé
tomber un torchon pour une serviette, mais peut-être
que cette serviette est trop belle pour moi.
Parfois je me dis que j'aurais bien aimé
connaître Alain quand il avait mon âge.
Est-ce que j'aurais été amoureuse
de lui ? Et si moi j'avais son âge, est-ce
qu'il m'intéresserait autant ? Bah ce sont
des questions sans intérêt tout ça
Très belle journée, aujourd'hui.
Mathieu nous a invités chez lui, Noémie
et moi. Mais je raconterai ça plus tard.
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