Avec la petite
Julie, nous avons continué notre visite
de La Rochelle par un des endroits que j'apprécie
le plus : le port de La Pallice. Je suis sûre
que la moitié d'entre vous a déjà
vu La Pallice en images. Si si ! Je vous assure
! Si vous avez lu les 7 boules de cristal de Tintin,
eh bien vous avez vu La Pallice. En effet les
dernières pages du livre se passent dans
le port de commerce de La Rochelle, donc à
La Pallice. C'est une remarque sans intérêt,
je sais.
Il y a plusieurs ports dans la ville : le vieux
port, le port de plaisance, le port de commerce
Le premier est charmant mais les bateaux ne sont
pas terribles, le deuxième est assez vilain
(il y a surtout des bateaux de riches), alors
le plus beau c'est le troisième. C'est
là qu'on peut voir les gros cargos énormes
venus de très loin pour décharger
leurs marchandises ici, ou bien en charger de
nouvelles.
La Pallice est l'un des plus gros ports de France,
et il est constitué entre autres d'une
énorme plate-forme en béton à
laquelle on accède par une longue passerelle.
Et c'est là que nous sommes allées,
sur la plate-forme. Elle est depuis un certain
temps interdite au public, mais un ami de la famille,
Michel, travaille là-bas, ce qui fait qu'on
peut y aller sans soucis (d'ailleurs j'ai déjà
parlé de lui dans mon tout premier texte,
mais peu importe). On a pris le bus pour se rapprocher
le plus possible du port, et on a fait le reste
du chemin à pied, jusqu'à la passerelle.
Elle fait un peu plus d'un kilomètre long,
mine de rien ça fait une petite trotte
en tout.
Enfin nous y voilà. Pour aimer La Pallice,
il faut aimer ce qui est gris et sale. Je sais,
ce n'est pas le cas de tout le monde, loin de
là, mais c'est le mien. Cette plate-forme
est moche, vielle, entourée de gros bateaux
crasseux, les ouvriers s'y agitent à longueur
de journée ou de nuit, et moi j'aime ce
spectacle. Chacun son truc.
La présence de deux jeunes filles et un
chien sur une plate-forme maritime commerciale
et pétrolière interdite au public
est tellement incongrue qu'en nous voyant, les
hommes ne nous questionnaient même pas,
il arrive parfois qu'un fait soit si choquant
qu'on se dit en le voyant qu'il a forcément
une explication. Les ouvriers devaient se dire
que cet endroit était bien le dernier où
l'on peut aimer flâner, et que donc les
deux jeunes filles qu'ils voyaient avaient forcément
une excellente raison d'être là.
Pourtant, on était vraiment là pour
flâner
On s'est dirigé vers le bâtiment
pour y retrouver Michel. On est passé devant
un joli cargo qui n'était plus tout jeune,
et à ce moment-là j'espérais
en moi-même qu'on aurait la possibilité
de monter à son bord.
Michel était content de me voir, il avait
déjà oublié que je lui avais
téléphoné dimanche soir pour
le prévenir que je viendrais. On a parlé
un peu mais il avait beaucoup de travail. Je lui
ai demandé s'il n'y aurait pas moyen de
monter dans le gros cargo, il m'a dit qu'il irait
dans une heure et que donc si on voulait bien
patienter il nous y conduirait. Pas de problème.
Alors en attendant on est allé regarder
les ouvriers qui étaient après déplacer
des caisses depuis un bateau jusqu'à l'un
des bâtiments. C'est là que Gilbert
est venu vers nous. Gilbert est l'un des gars
qui travaille ici, et que je connais par l'intermédiaire
de Michel. C'est un vieil ouvrier, toujours la
même dégaine avec sa petite cigarette
roulée au coin de la bouche. Je me suis
rappelée qu'il était parisien alors
je lui ai présenté Julie comme "
une amie de Paris ". Il était tout
content de retrouver une " compatriote ".
Il lui a demandé où à Paris,
et comme à ce moment là elle revenait
d'un petit robinet en plein air où elle
avait bu un coup, il lui a dit " fais gaffe
tu vas avoir mal au bide, elle est pas bonne l'eau
là ". Comme Julie était étonnée
il lui a dit " ben ouais
t'as pas trouvé
qu'elle était acide un peu ? " Mais
apparemment elle n'avait rien trouvé de
spécial, alors Gilbert a semblé
étonné : " Ah
bon
beh c'est que t'es une vraie parisienne alors
" Ca nous a fait rire, cette réflexion.
C'est vrai que Gilbert fait partie de ces gens
qui vannent sans s'en rendre compte. Tout est
marrant chez eux : leur dégaine, leur langage,
leurs idées, et tout ça sans qu'ils
ne s'en rendent compte.
En attendant le Gilbert il n'est pas bien grand,
mais alors qu'est ce qu'il dégage comme
fore physique ! Il est vif et sec, il faut dire
que ça fait quarante ans qu'il trimballe
des caisses d'un bout à l'autre de la plate-forme.
Quarante ans sans jamais se dire une seule fois
" bon sang mais qu'est ce que c'est chiant
! " Quarante ans à faire ce travail
difficile, pour un petit salaire en plus
Mais c'est ainsi.
Qu'il est bon et doux de ne rien faire quand tout
s'agite autour de soi
Tous ces ouvriers
qui couraient et nous qui restions plantées
à les regarder
Enfin ce spectacle
c'est formidable cinq minutes, mais on s'en lasse
rapidement quand même. Alors on est allé
s'asseoir dans un coin pour parler un peu.
Plus tard on a enfin pu monter à bord du
fameux cargo. On ne l'a pas visité entièrement,
loin de là, mais on a vu l'essentiel :
le bar ! ! C'est là qu'on a attendu Michel
qui devait régler des affaires dans les
pièces à côté. Comme
c'était chouette ! On était seules
dans la salle, et à ce moment la nuit commençait
déjà à tomber, on entendait
le vent siffler dehors, le bateau tanguait légèrement,
et des gouttes de pluie se posaient sur les vitres.
Avec un peu d'imagination on pouvait vraiment
se croire en pleine mer. Moi ce genre d'ambiance
ça me met en confiance, je m'y sens bien,
et je crois que ça a eu le même effet
sur Julie car elle m'a parlé un peu.
Elle me disait " c'est chouette d'avoir vécu
toute sa vie dans la même ville ".
Je lui ai demandé ce qu'elle voulait dire
alors elle a continué " Regarde, tu
connais ta ville par cur, et depuis trois
jours qu'on se promène, on n'arrête
pas de rencontrer des gens que tu connais, dimanche
le chauffeur de cars, aujourd'hui Michel et Gilbert
C'est génial je trouve. Moi il n'y a aucun
endroit où je me sente vraiment chez moi.
Je suis toujours nouvelle partout. Même
à Paris, on a tellement bougé dans
cette ville que chez moi c'est nulle part "
Ca m'a beaucoup interpellée cette réflexion.
C'est vrai, je ne m'en étais jamais rendue
compte, mais où que j'aille à La
Rochelle, je suis certaine de toujours y connaître
au moins une personne. Je connais tous les lieux,
les associations, les salles de ciné, de
concerts, tout
Et c'est vrai que c'est pratique.
Tellement pratique que je me demande comment je
ferais si je devais me retrouver dans une nouvelle
ville, un jour. Je suppose que ça m'arrivera,
et qu'il faudra bien que je m'y fasse. Mais je
crois que ce sera dur.
Examen de conduite : demain. Je commence à
y penser sérieusement.
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