journal intime
34 _ Mardi 29 octobre 2002

La Pallice

Avec la petite Julie, nous avons continué notre visite de La Rochelle par un des endroits que j'apprécie le plus : le port de La Pallice. Je suis sûre que la moitié d'entre vous a déjà vu La Pallice en images. Si si ! Je vous assure ! Si vous avez lu les 7 boules de cristal de Tintin, eh bien vous avez vu La Pallice. En effet les dernières pages du livre se passent dans le port de commerce de La Rochelle, donc à La Pallice. C'est une remarque sans intérêt, je sais.
Il y a plusieurs ports dans la ville : le vieux port, le port de plaisance, le port de commerce… Le premier est charmant mais les bateaux ne sont pas terribles, le deuxième est assez vilain (il y a surtout des bateaux de riches), alors le plus beau c'est le troisième. C'est là qu'on peut voir les gros cargos énormes venus de très loin pour décharger leurs marchandises ici, ou bien en charger de nouvelles.
La Pallice est l'un des plus gros ports de France, et il est constitué entre autres d'une énorme plate-forme en béton à laquelle on accède par une longue passerelle. Et c'est là que nous sommes allées, sur la plate-forme. Elle est depuis un certain temps interdite au public, mais un ami de la famille, Michel, travaille là-bas, ce qui fait qu'on peut y aller sans soucis (d'ailleurs j'ai déjà parlé de lui dans mon tout premier texte, mais peu importe). On a pris le bus pour se rapprocher le plus possible du port, et on a fait le reste du chemin à pied, jusqu'à la passerelle. Elle fait un peu plus d'un kilomètre long, mine de rien ça fait une petite trotte en tout.
Enfin nous y voilà. Pour aimer La Pallice, il faut aimer ce qui est gris et sale. Je sais, ce n'est pas le cas de tout le monde, loin de là, mais c'est le mien. Cette plate-forme est moche, vielle, entourée de gros bateaux crasseux, les ouvriers s'y agitent à longueur de journée ou de nuit, et moi j'aime ce spectacle. Chacun son truc.
La présence de deux jeunes filles et un chien sur une plate-forme maritime commerciale et pétrolière interdite au public est tellement incongrue qu'en nous voyant, les hommes ne nous questionnaient même pas, il arrive parfois qu'un fait soit si choquant qu'on se dit en le voyant qu'il a forcément une explication. Les ouvriers devaient se dire que cet endroit était bien le dernier où l'on peut aimer flâner, et que donc les deux jeunes filles qu'ils voyaient avaient forcément une excellente raison d'être là. Pourtant, on était vraiment là pour flâner…
On s'est dirigé vers le bâtiment pour y retrouver Michel. On est passé devant un joli cargo qui n'était plus tout jeune, et à ce moment-là j'espérais en moi-même qu'on aurait la possibilité de monter à son bord.
Michel était content de me voir, il avait déjà oublié que je lui avais téléphoné dimanche soir pour le prévenir que je viendrais. On a parlé un peu mais il avait beaucoup de travail. Je lui ai demandé s'il n'y aurait pas moyen de monter dans le gros cargo, il m'a dit qu'il irait dans une heure et que donc si on voulait bien patienter il nous y conduirait. Pas de problème.
Alors en attendant on est allé regarder les ouvriers qui étaient après déplacer des caisses depuis un bateau jusqu'à l'un des bâtiments. C'est là que Gilbert est venu vers nous. Gilbert est l'un des gars qui travaille ici, et que je connais par l'intermédiaire de Michel. C'est un vieil ouvrier, toujours la même dégaine avec sa petite cigarette roulée au coin de la bouche. Je me suis rappelée qu'il était parisien alors je lui ai présenté Julie comme " une amie de Paris ". Il était tout content de retrouver une " compatriote ". Il lui a demandé où à Paris, et comme à ce moment là elle revenait d'un petit robinet en plein air où elle avait bu un coup, il lui a dit " fais gaffe tu vas avoir mal au bide, elle est pas bonne l'eau là ". Comme Julie était étonnée il lui a dit " ben ouais… t'as pas trouvé qu'elle était acide un peu ? " Mais apparemment elle n'avait rien trouvé de spécial, alors Gilbert a semblé étonné : " Ah… bon… beh c'est que t'es une vraie parisienne alors… " Ca nous a fait rire, cette réflexion. C'est vrai que Gilbert fait partie de ces gens qui vannent sans s'en rendre compte. Tout est marrant chez eux : leur dégaine, leur langage, leurs idées, et tout ça sans qu'ils ne s'en rendent compte.
En attendant le Gilbert il n'est pas bien grand, mais alors qu'est ce qu'il dégage comme fore physique ! Il est vif et sec, il faut dire que ça fait quarante ans qu'il trimballe des caisses d'un bout à l'autre de la plate-forme. Quarante ans sans jamais se dire une seule fois " bon sang mais qu'est ce que c'est chiant ! " Quarante ans à faire ce travail difficile, pour un petit salaire en plus… Mais c'est ainsi.
Qu'il est bon et doux de ne rien faire quand tout s'agite autour de soi… Tous ces ouvriers qui couraient et nous qui restions plantées à les regarder… Enfin ce spectacle c'est formidable cinq minutes, mais on s'en lasse rapidement quand même. Alors on est allé s'asseoir dans un coin pour parler un peu.
Plus tard on a enfin pu monter à bord du fameux cargo. On ne l'a pas visité entièrement, loin de là, mais on a vu l'essentiel : le bar ! ! C'est là qu'on a attendu Michel qui devait régler des affaires dans les pièces à côté. Comme c'était chouette ! On était seules dans la salle, et à ce moment la nuit commençait déjà à tomber, on entendait le vent siffler dehors, le bateau tanguait légèrement, et des gouttes de pluie se posaient sur les vitres. Avec un peu d'imagination on pouvait vraiment se croire en pleine mer. Moi ce genre d'ambiance ça me met en confiance, je m'y sens bien, et je crois que ça a eu le même effet sur Julie car elle m'a parlé un peu.
Elle me disait " c'est chouette d'avoir vécu toute sa vie dans la même ville ". Je lui ai demandé ce qu'elle voulait dire alors elle a continué " Regarde, tu connais ta ville par cœur, et depuis trois jours qu'on se promène, on n'arrête pas de rencontrer des gens que tu connais, dimanche le chauffeur de cars, aujourd'hui Michel et Gilbert… C'est génial je trouve. Moi il n'y a aucun endroit où je me sente vraiment chez moi. Je suis toujours nouvelle partout. Même à Paris, on a tellement bougé dans cette ville que chez moi c'est nulle part " Ca m'a beaucoup interpellée cette réflexion. C'est vrai, je ne m'en étais jamais rendue compte, mais où que j'aille à La Rochelle, je suis certaine de toujours y connaître au moins une personne. Je connais tous les lieux, les associations, les salles de ciné, de concerts, tout… Et c'est vrai que c'est pratique. Tellement pratique que je me demande comment je ferais si je devais me retrouver dans une nouvelle ville, un jour. Je suppose que ça m'arrivera, et qu'il faudra bien que je m'y fasse. Mais je crois que ce sera dur.
Examen de conduite : demain. Je commence à y penser sérieusement.

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