journal intime
36 _ Jeudi 31 octobre 2002

Dieu

Aujourd'hui avec Julie on a parlé de Dieu et c'était bien. C'est pourtant un sujet sur lequel personne ne s'entend jamais d'habitude, et où la seule préoccupation des participants est de convaincre les autres. Il y a ceux qui y croient dur comme fer, et ceux qui sont persuadés que c'est des " conneries ", et qui parfois méprisent les premiers pensant d'eux que ce sont des gens qui ont besoin d'être rassurés par des croyances naïves, fiers qu'ils sont de ce qu'ils prennent pour une espèce d'indépendance spirituelle, sans se rendre compte qu'ils sont dépendants sur bien d'autres sujets. Montrez moi une seule personne indépendante de tout, des croyances religieuses comme du reste, moi j'arrête tout et je la suis.
Mais peu importe. J'avais remarqué que Julie portait une croix autour de son cou et qu'elle lisait parfois un petit missel avec des histoires de la Bible, des prières et de jolies images pieuses. Cet après-midi, alors que j'étais assise sur son lit, je lui ai demandé si elle croyait en Dieu. Elle m'a dit " oui et toi ? " alors j'ai répondu que non. Et elle m'a demandé " pourquoi ? " Ben mince alors ! Ce ne serait pas plutôt à moi de lui demander pourquoi ? Il me semble plus naturel de ne pas y croire que l'inverse, mais je me trompe peut-être après tout… Alors je lui ai raconté un truc que je n'ai jamais dit à personne, y compris ici sur ce journal pas intime, mais que je vais raconter de nouveau.
Il y a deux ou trois ans je croyais énormément en Dieu, j'étais absolument convaincue de son existence, et convaincue également qu'il avait l'apparence qu'on lui donne dans la Bible. D'ailleurs la Bible je l'ai relue deux fois. Quand ma sœur a commencé à être sérieusement malade, je me suis mise à prier. Le problème c'est que ça a rapidement tourné à l'obsession, je me disais que plus je prierais, plus elle aurait de chances de s'en sortir. Alors je passais un temps fou, le soir dans mon lit, à répéter des textes religieux en boucle. J'apprenais des prières anciennes par cœur, je les récitais à la lettre près, et plus je priais plus j'étais malheureuse. Je finissais par ne plus penser qu'à ça toute la journée, à réciter ces fichus textes qui ne servaient à rien. Ca me rendait folle à mon tour.
La seule fois où ça m'a fait du bien, c'est un des jours les plus horribles de mon adolescence. C'était dans les derniers mois de la maladie de ma sœur. Un soir mon père rentre à la maison où j'étais toute seule. Je n'étais pas très bien car j'avais eu une mauvaise note et à l'époque un rien me tracassait. Mon père a vu que je n'étais pas bien et m'a demandé ce qui n'allait pas. Mais en ce temps-là je gardais tout pour moi, je me refusais à dire quoi que ce soit à mes parents. Alors mon père m'a posé des questions et comme je ne répondais toujours pas il a commencé à s'énerver. Et en l'espace de quelques minutes il est devenu furieux, et peu à peu sa colère a augmenté. Et au bout d'un moment sa colère a explosé. Mais c'était bien plus que de la colère. C'était de la haine envers la vie, haine qu'il avait accumulée depuis des mois et des mois, à cause de la maladie de ma sœur. Cette maladie, l'anorexie, il ne l'a jamais comprise. Il n'a jamais su quoi faire, il était impuissant face à cela le pauvre, et ça le rendait fou. Et ce jour-là sa folie s'est lâchée et a jailli sur ce tout ce qui l'entourait, y compris moi. Il a commencé à donner des coups de pied dans les meubles en hurlant, je ne savais plus où me mettre. Quand il s'est approché de moi, mon chien s'est posté face à lui en grognant méchament alors mon père lui a crié " ta gueule toi ! ! " en lui lançant un coup de pied. Alors j'ai crié en voyant ça et mon père m'a fait monter dans la voiture direction le collège (je ne sais pas pourquoi). Il a démarré comme un taré et est parti à toute vitesse dans les rues en continuant de crier comme un fou. Il donnait de grands coups de poing sur son volant en répétant " Mais pourquoi ? ? ? Merde ! Pourquoi vous êtes comme ça ! Vous faites chier tous ! " Son visage était défiguré de rage. Moi je me faisais toute petite et je tremblais. Au bout d'un moment il n'en pouvait plus alors il a arrêté la voiture sur un trottoir, il s'est écroulé sur le volant en pleurant, et il a pleuré comme ça pendant de longues minutes, il sanglotait comme un gosse en répétant toujours " pourquoi… pourquoi… " Je suppose qu'à ce moment-là il pensait à ma sœur. Qu'est ce qu'elle a pu nous faire souffrir, ma chère sœur… Qu'est ce qu'elle nous a fait… Enfin… mon père s'est calmé et on est rentré.
Ce soir là j'ai dû pleurer longtemps avant de m'endormir. Et comme d'habitude j'ai prié. Mais cette fois-ci c'étaient mes prières à moi, pas celles que j'avais lues dans les livres. Et dans mes prières je traitais Dieu de salaud, de méchant insensible, de tous les noms qui me passaient par la tête. Et ça m'a fait du bien.
En racontant ça à Julie je pleurais, et en ce moment je pleure encore un peu sur mon clavier. Mais je veux tout dire, et les larmes ça fait du bien.
Julie a passé son bras autour de ma tête, et ça m'a fait drôle venant d'une personne plus jeune que moi et que je connais depuis si peu de temps… Et elle m'a dit " t'as raison c'est un salaud le bon Dieu, moi aussi je l'aime pas du tout, moi aussi je le hais, et je ne le prie jamais " là quand même ça m'a étonnée, et elle l'a bien vu. Alors elle m'a expliqué gentiment qu'elle, ce n'était pas Dieu mais la Vierge Marie qu'elle aimait et qu'elle priait. Elle disait " Marie n'a rien à voir avec tout ça. Elle, c'est notre mère, je la tutoie, je lui parle simplement et je l'appelle " Maman ", jamais Sainte Marie ou autre chose. Quand je suis malheureuse, j'imagine qu'elle me tient dans ses bras et qu'elle me berce doucement en me souriant. Rien d'autre. Marie elle ne t'en veut jamais car quoique tu fasses tu es sa fille et elle ne te reprochera jamais quoi que ce soit. Même si un jour tu deviens la plus méchante personne de la Terre, elle continuera de t'aimer parce que tu es son enfant, et une vraie mère ne peut jamais ne plus aimer son enfant, quoiqu'il lui fasse. "
C'est magnifique ce qu'elle m'a dit. Vous imaginez ? Ca voudrait dire que tous les orphelins de la Terre pourraient eux aussi se dire que quelque part il y a une femme douce comme un mère qui les regarde et les couve de ses yeux. Où que tu sois, même abandonné du monde entier, il y a toujours ta Maman là-haut qui t'aime et croit en toi. Ah la la comme c'est beau…

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