Aujourd'hui avec
Julie on a parlé de Dieu et c'était
bien. C'est pourtant un sujet sur lequel personne
ne s'entend jamais d'habitude, et où la
seule préoccupation des participants est
de convaincre les autres. Il y a ceux qui y croient
dur comme fer, et ceux qui sont persuadés
que c'est des " conneries ", et qui
parfois méprisent les premiers pensant
d'eux que ce sont des gens qui ont besoin d'être
rassurés par des croyances naïves,
fiers qu'ils sont de ce qu'ils prennent pour une
espèce d'indépendance spirituelle,
sans se rendre compte qu'ils sont dépendants
sur bien d'autres sujets. Montrez moi une seule
personne indépendante de tout, des croyances
religieuses comme du reste, moi j'arrête
tout et je la suis.
Mais peu importe. J'avais remarqué que
Julie portait une croix autour de son cou et qu'elle
lisait parfois un petit missel avec des histoires
de la Bible, des prières et de jolies images
pieuses. Cet après-midi, alors que j'étais
assise sur son lit, je lui ai demandé si
elle croyait en Dieu. Elle m'a dit " oui
et toi ? " alors j'ai répondu que
non. Et elle m'a demandé " pourquoi
? " Ben mince alors ! Ce ne serait pas plutôt
à moi de lui demander pourquoi ? Il me
semble plus naturel de ne pas y croire que l'inverse,
mais je me trompe peut-être après
tout
Alors je lui ai raconté un truc
que je n'ai jamais dit à personne, y compris
ici sur ce journal pas intime, mais que je vais
raconter de nouveau.
Il y a deux ou trois ans je croyais énormément
en Dieu, j'étais absolument convaincue
de son existence, et convaincue également
qu'il avait l'apparence qu'on lui donne dans la
Bible. D'ailleurs la Bible je l'ai relue deux
fois. Quand ma sur a commencé à
être sérieusement malade, je me suis
mise à prier. Le problème c'est
que ça a rapidement tourné à
l'obsession, je me disais que plus je prierais,
plus elle aurait de chances de s'en sortir. Alors
je passais un temps fou, le soir dans mon lit,
à répéter des textes religieux
en boucle. J'apprenais des prières anciennes
par cur, je les récitais à
la lettre près, et plus je priais plus
j'étais malheureuse. Je finissais par ne
plus penser qu'à ça toute la journée,
à réciter ces fichus textes qui
ne servaient à rien. Ca me rendait folle
à mon tour.
La seule fois où ça m'a fait du
bien, c'est un des jours les plus horribles de
mon adolescence. C'était dans les derniers
mois de la maladie de ma sur. Un soir mon
père rentre à la maison où
j'étais toute seule. Je n'étais
pas très bien car j'avais eu une mauvaise
note et à l'époque un rien me tracassait.
Mon père a vu que je n'étais pas
bien et m'a demandé ce qui n'allait pas.
Mais en ce temps-là je gardais tout pour
moi, je me refusais à dire quoi que ce
soit à mes parents. Alors mon père
m'a posé des questions et comme je ne répondais
toujours pas il a commencé à s'énerver.
Et en l'espace de quelques minutes il est devenu
furieux, et peu à peu sa colère
a augmenté. Et au bout d'un moment sa colère
a explosé. Mais c'était bien plus
que de la colère. C'était de la
haine envers la vie, haine qu'il avait accumulée
depuis des mois et des mois, à cause de
la maladie de ma sur. Cette maladie, l'anorexie,
il ne l'a jamais comprise. Il n'a jamais su quoi
faire, il était impuissant face à
cela le pauvre, et ça le rendait fou. Et
ce jour-là sa folie s'est lâchée
et a jailli sur ce tout ce qui l'entourait, y
compris moi. Il a commencé à donner
des coups de pied dans les meubles en hurlant,
je ne savais plus où me mettre. Quand il
s'est approché de moi, mon chien s'est
posté face à lui en grognant méchament
alors mon père lui a crié "
ta gueule toi ! ! " en lui lançant
un coup de pied. Alors j'ai crié en voyant
ça et mon père m'a fait monter dans
la voiture direction le collège (je ne
sais pas pourquoi). Il a démarré
comme un taré et est parti à toute
vitesse dans les rues en continuant de crier comme
un fou. Il donnait de grands coups de poing sur
son volant en répétant " Mais
pourquoi ? ? ? Merde ! Pourquoi vous êtes
comme ça ! Vous faites chier tous ! "
Son visage était défiguré
de rage. Moi je me faisais toute petite et je
tremblais. Au bout d'un moment il n'en pouvait
plus alors il a arrêté la voiture
sur un trottoir, il s'est écroulé
sur le volant en pleurant, et il a pleuré
comme ça pendant de longues minutes, il
sanglotait comme un gosse en répétant
toujours " pourquoi
pourquoi
" Je suppose qu'à ce moment-là
il pensait à ma sur. Qu'est ce qu'elle
a pu nous faire souffrir, ma chère sur
Qu'est ce qu'elle nous a fait
Enfin
mon père s'est calmé et on est rentré.
Ce soir là j'ai dû pleurer longtemps
avant de m'endormir. Et comme d'habitude j'ai
prié. Mais cette fois-ci c'étaient
mes prières à moi, pas celles que
j'avais lues dans les livres. Et dans mes prières
je traitais Dieu de salaud, de méchant
insensible, de tous les noms qui me passaient
par la tête. Et ça m'a fait du bien.
En racontant ça à Julie je pleurais,
et en ce moment je pleure encore un peu sur mon
clavier. Mais je veux tout dire, et les larmes
ça fait du bien.
Julie a passé son bras autour de ma tête,
et ça m'a fait drôle venant d'une
personne plus jeune que moi et que je connais
depuis si peu de temps
Et elle m'a dit "
t'as raison c'est un salaud le bon Dieu, moi aussi
je l'aime pas du tout, moi aussi je le hais, et
je ne le prie jamais " là quand même
ça m'a étonnée, et elle l'a
bien vu. Alors elle m'a expliqué gentiment
qu'elle, ce n'était pas Dieu mais la Vierge
Marie qu'elle aimait et qu'elle priait. Elle disait
" Marie n'a rien à voir avec tout
ça. Elle, c'est notre mère, je la
tutoie, je lui parle simplement et je l'appelle
" Maman ", jamais Sainte Marie ou autre
chose. Quand je suis malheureuse, j'imagine qu'elle
me tient dans ses bras et qu'elle me berce doucement
en me souriant. Rien d'autre. Marie elle ne t'en
veut jamais car quoique tu fasses tu es sa fille
et elle ne te reprochera jamais quoi que ce soit.
Même si un jour tu deviens la plus méchante
personne de la Terre, elle continuera de t'aimer
parce que tu es son enfant, et une vraie mère
ne peut jamais ne plus aimer son enfant, quoiqu'il
lui fasse. "
C'est magnifique ce qu'elle m'a dit. Vous imaginez
? Ca voudrait dire que tous les orphelins de la
Terre pourraient eux aussi se dire que quelque
part il y a une femme douce comme un mère
qui les regarde et les couve de ses yeux. Où
que tu sois, même abandonné du monde
entier, il y a toujours ta Maman là-haut
qui t'aime et croit en toi. Ah la la comme c'est
beau
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