Il y a un proverbe
africain qui dit " si tu ne sais pas où
tu vas, tourne la tête et regarde d'où
tu viens ". Ainsi moi j'ai toujours pensé
que la meilleure façon de connaître
quelqu'un, c'est de savoir par où il est
passé. C'est pour ça que je passe
beaucoup de temps à fouiller dans les journaux
intimes sur le web, et peut-être aussi pour
ça que j'écris le mien
Et
j'étais donc très curieuse sur la
vie de Julie, surtout que du peu que je la connaissais,
je la savais assez mouvementée, et pas
très " marrante ". Mais qui a
une vie marrante ?
Je n'osais pas trop la questionner à ce
sujet, car dans ces cas-là on peut vite
faire des gaffes et amener la conversation sur
des points douloureux. Alors j'attendais qu'elle
m'en parle d'elle-même, et depuis aujourd'hui
j'en sais un peu plus, beaucoup plus, même
Tout d'abord, ses parents ne sont pas ses "
vrais " parents, je veux dire ceux qui l'ont
" fabriquée " biologiquement.
Mais elle a été adoptée alors
qu'elle n'avait pas deux mois, elle n'en a donc
pas de souvenirs conscients (mais il paraît
qu'on a toujours des souvenirs physiques des premiers
mois de la vie, voire d'avant). Ce n'est que beaucoup
plus tard que sa mère lui a appris la vérité,
et Julie l'a très bien prise, pour elle
ça n'a strictement rien changé.
Elle m'a dit qu'elle ne se considérait
pas du tout comme orpheline, qu'elle avait eu
une mère et un père, comme beaucoup
d'autres, c'est tout.
Sa mère est rochelaise, et c'est une amie
d'enfance de la mienne. Elle a rencontré
son mari très jeune, et il se sont mariés
rapidement (elle avait juste dix-huit ans, et
lui vingt-trois). Ah la la, administrateur judiciaire,
qu'il est devenu, le monsieur. Je ne sais pas
ce que c'est mais apparemment ça gagne
des fortunes. Ils vivaient dans un immense appartement
à Paris et tout était parfait, si
ce n'est qu'ils ne pouvaient avoir d'enfant. C'est
là qu'ils ont adopté Julie et la
vie a continué, normale. Mais un jour,
la boîte du père a commencé
à couler et les choses ont mal tourné.
Quand Julie a eu quatre ans, ils ont été
obligés de déménager pour
un appartement beaucoup plus modeste, et finalement
la situation serait restée la même
si son père l'avait acceptée. Mais
lui il refusait cette nouvelle vie, il était
hors de question pour lui de ne pas retrouver
un travail au moins aussi bien que le premier,
alors il a tout fait pour se refaire
sans
réussite. Ils ont encore déménagé,
et son père s'est finalement résigné,
dans la tristesse. Puis il a commencé à
jouer toutes ses cartes dans des affaires douteuses
et ça ne lui a apporté que des ennuis.
Cette fois-ci c'était bon, il était
définitivement ruiné.
Pendant deux ans il n'a strictement rien fait,
il sortait se promener deux ou trois minutes par-ci
par là, ou bien il ne rentrait pas de la
nuit, et le jour il restait à dormir. Sa
femme et lui se disputaient à longueur
de journée, il faut dire que c'est elle
qui faisait tout à la maison, et qui se
tuait au travail dans des ménages à
droite à gauche. Puis ils se sont séparés,
Julie et sa mère d'un côté,
le père de l'autre. Voilà un an
qu'elle ne l'a pas vu, un an qu'elle ignore tout
de lui. Tout ce qu'elle en sait ce sont des rumeurs
qui n'ont rien de très agréable,
et qui ne donnent pas envie d'en apprendre d'avantage.
Ma mère, en tant qu'amie de Mireille, n'a
rien raté de tout cela et depuis des années
elle lui propose de venir s'installer à
La Rochelle. Mireille refusait toujours, jusqu'à
ces derniers temps où la situation a commencé
à devenir critique. Et voilà maintenant
une semaine qu'elle est là, avec Julie,
chez nous.
Mais passons à autre chose ! Aujourd'hui,
le hasard a fait que Julie et moi sommes allées
sur la tombe de ma sur. C'est le pur hasard,
quand je promène mon chien je me dirige
dans les rues sans réfléchir, je
marche toujours pendant une bonne heure jusqu'au
moment où je me dis " tiens je vais
peut-être rentrer maintenant
"
Et puis la tombe de ma sur je n'y vais jamais,
pour moi elle n'est plus de ce monde, que son
corps ait été déposé
ici ou ailleurs ça ne change pas grand
chose.
C'est une tombe comme toutes les autres, mais
admirablement fleurie. Ma mère vient ici
très souvent. Elle ne me le dit jamais,
parfois je le devine quand elle rentre un peu
plus tard, ou quand elle sort alors qu'elle n'a
rien à faire. Mais les plus anciennes de
ses fleurs n'avaient pas une semaine, et les plus
récentes devaient être là
depuis avant-hier au pire. Eh oui
je suppose
que ça lui fait du bien de venir ici, je
me demande à quoi elle peut bien penser
quand elle dépose les fleurs. Moi quand
j'y vais ça ne me rend ni malheureuse ni
heureuse, je vois sa pierre comme j'en verrais
une autre. Je ne fais pas vraiment le lien entre
ce roc et ma sur. En tous cas je pense que
si je venais ici tous les deux jours ce serait
différent, et franchement je n'ai pas envie
d'essayer
Julie sait ce qui est arrivé à ma
sur. Elle ne connaît pas tous les
détails, bien sûr
et elle est
certainement très loin de les imaginer,
mais elle sait l'essentiel. Elle a dû remarquer
que même deux ans après, j'en avais
encore du chagrin
Tout compte fait un cimetière n'est pas
un endroit vilain, si on oublie qu'il y a des
restes de corps sous les pierres. C'est propre,
c'est fleuri, l'herbe est bien tondue, les gens
sont calmes
Je ne dirai pas que c'est agréable
de s'y promener, surtout si on lit les petits
mots déposés sur les tombes genre
" à ma mère " ou "
à ma fille ", mais bon
c'est
très supportable.
Je viens de me relire et je m'aperçois
que je ne raconte que des choses tristes aujourd'hui.
La vie ratée du père de Julie, la
tombe de ma sur
bouh ! ! ! Pourtant
ce n'était pas une mauvaise journée
aujourd'hui
très belle même
! Par contre les vacances se terminent, et demain
lever à 7H00, quelle horreur
Enfin
ce n'est rien, Julie a plus de raisons que moi
de regretter cela, elle va rentrer demain dans
un nouveau lycée, entourée de gens
inconnus
Mais je lui ai promis qu'on allait
se voir très souvent et elle est rassurée.
Je raconterai cette rentrée demain soir,
à priori il n'y aura rien de déprimant
dans mon texte, du moins espérons-le !
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