journal intime
53 _ Mardi 26 novembre 2002

Mon petit univers

J'adore les chansons, surtout les vieilles.
Quand j'étais petite j'écoutais beaucoup de disques, des petits trucs commerciaux, le plus souvent c'étaient les musiques des génériques télé que je regardais. Mais j'aimais ça et je chantais, bien souvent. Et puis un jour, je devais avoir neuf ou dix ans, mon père a acheté une compilation de Brassens. On était dans le salon et il a lancé le disque. J'écoutais d'une oreille distraite, certains textes me faisaient rire, tels que le Gorille par exemple, même si je ne le comprenais pas bien, voire pas du tout... Et puis le Pornographe bien sûr, avec tous ces gros mots qui s'enchaînent, moi j'adorais et je me disais " Eh ben quand même il exagère, Brassens, de parler comme ça dans une chanson... " Et puis petit à petit, ces chansons ont commencé à me trotter dans la tête. Et un matin, avant de partir à l'école, je me suis assise dans le fauteuil de mon père et j'ai écouté la Chanson pour l'Auvergnat. Mais je l'ai écoutée d'une oreille attentive, et ça m'a fait bizarre. Comme une nouvelle sensation, un sentiment jamais connu. C'est dur à définir, je me disais vaguement " Ben mince alors, je ne savais pas qu'il était possible de faire passer des choses comme ça à travers un texte... " C'est plus ou moins ce qui se disait dans ma petite tête. Ce fut un moment inoubliable, un peu comme on fait l'amour pour la première fois, je dirais... On se dit " Wow ! Comment est-ce que j'ai fait pour vivre jusqu'à maintenant sans connaître ça ? " Et puis on se dit aussi que désormais la vie sera plus belle, maintenant qu'on vient de le découvrir...
Il y a plein de choses chez Brassens que je n'ai pas retrouvé chez les autres. Pendant quelques mois, tous les soirs en rentrant chez moi, assise dans le fauteuil, j'écoutais les chansons. Juste une ou deux, mais en boucle. Et parfois je m'aventurais sur une nouvelle. Et en l'écoutant je me ressentais " C'est bon ça... pourvu que ça dure longtemps... " Eh oui, à la fin de chaque couplet je n'espérais qu'une seule chose : c'est qu'il y ait un autre couplet ensuite. J'espérais que jamais la chanson ne se terminerait, qu'elle durerait toute la vie, tout le temps... Hélas, au bout d'un moment la fin se sentait, et puis plus rien, le silence... Alors j'attendais un peu puis je réécoutais, mais sans l'effet de surprise. Et puis aussi une chose qui ne m'est jamais arrivé avec un autre chanteur : c'est d'être en manque ! Oui, une fois on est parti deux semaines en vacances avec mes parents, et à la fin je désespérais de ne pas avoir mon Brassens à écouter. Il m'en fallait ! C'était physique !
Il y avait chez moi une vielle cassette audio avec écrit Jacques Brel dessus. Un jour je me suis dit : " Bon tu vas écouter ça, ça fait des années que tu as cette cassette entre les mains, si ça se trouve tu rates quelque chose. " J'avais raison ! Je mets la cassette, le casque sur les oreilles, et ça commence... C'était Amsterdam. Pfiou ! !!
Je n'en revenais pas, j'avais du mal à y croire. Il y a des artistes qui son sont tellement originaux que quand on les découvre, on a du mal à réaliser. On a l'impression que c'est surnaturel. Et Brel c'est ça. La chanson commence doucement. Et peu à peu les paroles sont de plus en plus brutales, de plus en plus dures, le rythme s'accélère, la musique s'enflamme, c'est de plus en plus intense, et à la fin c'est l'explosion ! L'apothéose ! J'étais littéralement scotchée sur mon fauteuil (enfin celui de mon père lol) Puis j'ai écouté tout le reste de la cassette, chaque chanson était une surprise, tour à tour émue, triste, amusée, attendrie... Un jour ils ont passé une émission sur Brel sur la 5, pour l'anniversaire de sa mort. Avant l'émission j'avais aperçu l'annonce de l'émission : pendant trois secondes on voyait Brel sur scène. Pareil : je n'y croyais pas. De le voir en noir et blanc, la bouche grande ouverte, les jambes tremblantes, le bras levé, chanter de tout son corps, le visage dégoulinant de sueur... Sur scène ce n'était plus un humain : c'était un chanteur, un pur chanteur, un 100% chanteur. Je pense que si j'avais été dans le public, après ça je me serais dit " C'est bon ma fille, maintenant tu peux mourir... "
Edith Piaf ! De tous les temps, quelle chanteuse a eu une voix similaire à la sienne ? Aucune. Elle avait une voix incroyable… C'est peut-être bête, mais moi dans sa voix j'ai l'impression d'entendre la nuit, la mort, et le froid. Oui le froid. Il y a de la chaleur et du froid en même temps. Et la mort, ben ouais... Et c'est vrai que ses chansons sont loin d'être gaies, quand même... Parfois je commence à chanter ses chansons, mais je m'arrête aussitôt. Je ne peux pas m'empêcher de faire la comparaison.
Les Doors et Jim Morrisson, c'est ma soeur qui était une inconditionnelle, elle n'écoutait QUE ça. Moi étant petite je n'aimais pas trop. Mais plus tard elle a acheté un bouquin avec la traduction des paroles en français. J'ai pris la peine de le lire, et j'ai été tellement éblouie par les textes que je me suis mise à aimer les musiques aussi. C'est souvent comme ça, j'aime d'abord les paroles avant les musiques. Depuis Jim Morrisson, c'est une de mes idoles, j'ai un poster dans ma chambre où il y a sa tête en noir et blanc avec marqué en dessous : WANTED !! Et en dessous du wanted, il y la liste des griefs dont il est accusé, c'est en anglais et je ne comprends pas tout, mais en gros, s'il est WANTED, Jimmy, c'est pour provocation, masturbation, enfin y a pas mal de trucs délirants. C'est vrai que lui aussi, c'était un original. D'ailleurs l'an dernier j'ai incité mon père à acheter un lecteur de DVD juste pour regarder le fameux DVD des Doors : concerts, coulisses, ect...
Et puis Renaud, bien sûr, c'est un de mes chouchous ça... Je crois que je l'écoute depuis ma naissance, même si ce n'est que bien plus tard, après Brassens, que j'ai vraiment percuté sur ses chansons. Quelle tendresse ! Quelle auto-dérision ! Pierrot... dans cette chanson, le mec il est triste, il boit, et au fond de son chagrin, il imagine comme la vie serait belle s'il avait un fils. Et même qu'il l'appellerait Pierrot, et qu'ils joueraient au football, et tout ça... Je cite : " Le jour où tu t'ramènes / J'arrête de boire, promis, / Au moins toute une semaine, / Ce sera dur mais tant pis ! C'est ça Renaud, c'est ce langage un peu cru, direct, mais qui va droit au but. J'aime son langage, et sa voix aussi, et son accent parisien, que je retrouve d'ailleurs chez Julie.
Et puis il y a quelques mois j'ai découvert Mano Solo. C'est Noémie qui m'a fait écouter. Eh ben... encore une belle surprise ! Il y a du Brel dans cet homme là, dans ses chansons c'est tout plein de douleurs, de remords, de haine et d'amour à la fois. Et tout cela dans des textes qui coulent d'eux-mêmes, qui coulent tellement bien qu'on a l'impression qu'ils ont été écrits tout d'une traite... Et la musique suit les intensités du texte.
Les gens ont tendance à coller une étiquette sur tout le monde. Moi Mano Solo, la seule étiquette que je lui colle, c'est celle de chanteur, tout simplement. C'est tout. Mais hélas, c'est triste à dire mais beaucoup de gens lui ont collé l'étiquette d'homme séropositif. C'est dingue ! On dirait que certains ne voient chez lui que cela : sa maladie. Et ils s'appuient sur cette maladie pour expliquer toute la douleur de ses chansons. Je pense qu'il y autre chose, moi. J'ai lu des choses révoltantes dans certains forums. Un qui disait : " Mano Solo ouais bof, y fait chier, il sait faire que des chansons tristes. " Et un autre de lui répondre : " Si tu étais séro-positif, tu comprendrais mieux. " Faut vraiment être stupides pour tenir un dialogue pareil, je trouve. Personnellement je n'en ai rien à foutre du pourquoi et du comment de ses chansons. Je les aime, c'est tout. C'est comme Renaud, pendant un moment il courait des rumeurs comme quoi c'était juste un fils de riche qui se faisait passer pour un loubard. Mais on s'en fout !!! Et d'une c'est faux, c'est pas un fils de riche, et de deux peu importe, c'est quelqu'un qui sait s'exprimer, qui dit les choses simplement, c'est tout... Quand son dernier disque est sorti, cette année, on entendait partout : " Oui, Renaud sort un nouvel album, après une période difficile marquée par une séparation avec sa femme, et une sombrée dans l'alcoolisme. " Pffff... Y font chier avec des réflexions pareilles.
Voilà, ceci était était une petite description de mon univers de chansons. Et puis il y a Noir Désir bien sûr, mais j'en ai déjà parlé (n°4). Tout ceci fait partie de ma vie.

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