J'ai pris un cours
particulier de maths hier soir
c'était
grandiose ! Epique ! Je ne suis pas très
forte en maths, c'est vraiment la matière
qui me pose le plus de problèmes cette
année. Dans ma catégorie ce n'est
pas la matière la plus importante donc
ce n'est pas trop grave, mais tout de même
j'aimerais avoir la moyenne. En plus, pour ne
pas arranger les choses, j'ai une prof très
motivée et il n'y a rien de pire que les
profs motivés : ce sont ceux qui vous donnent
le plus de travail, ceux qui ne vous laissent
pas faire une petite pause quand vous avez deux
heures de cours d'affilée, et pire que
tout, ce sont ceux qui ne comprennent pas qu'on
puisse ne pas être intéressés
par leur matière. Et c'est une prof de
ce genre-là que j'ai en maths.
Sur les propositions de ma mère, j'ai décidé
de prendre des cours particuliers. J'ouvre donc
le journal à la rubrique Annonces et je
téléphone au premier numéro
de la liste des professeurs. C'est une voix de
jeune femme qui me répond alors que le
nom écrit dans le journal était
celui d'un homme. " Bonjour, j'appelle pour
les cours de maths, que je lui dis. Ah oui ! répond-elle,
Monsieur Untel n'est pas là mais vous êtes
disponibles quand ? " J'ai supposé
que Monsieur Untel était son frère,
en fait je me trompais. Enfin bref le rendez-vous
fut fixé pour hier soir à 7H00.
Hier je me rends donc à l'adresse indiquée
et là surprise : c'était un institut.
Un institut de quoi, je ne sais plus, mais un
institut. Je me suis dit que j'avais dû
mal retenir l'adresse, que ça ne pouvait
pas être là, et pourtant après
vérification il se trouvait que c'était
bien ici. Je rentre. C'était une grande
salle avec des bureaux à droite et plusieurs
enfants qui jouaient. Une femme vient me voir
(sans doute celle que j'avais eue au téléphone)
et me dit qu'elle va chercher Monsieur Untel.
Pendant que je patientais, il y a deux des enfants
qui ont commencé à hurler en se
tapant sauvagement dessus. Un homme a débarqué
à toute vitesse, les a séparés
en criant et les a renvoyés dans leur chambre.
C'est là que j'ai compris que j'étais
dans un centre pour enfants difficiles. Eh ben
! Ca commençait bien !
Et c'est là que mon professeur est arrivé
hou la ! Il aurait pu être mon grand-père
! Je pensais que j'aurais affaire à un
étudiant et je me retrouve avec un sexagénaire
Il s'approche avec un grand sourire amical, me
pose gentiment la main sur l'épaule et
m'invite à le suivre dans son bureau. "
Vous voulez travailler quel sujet ? me demande-t-il
en me guidant dans le couloir. Les primitives,
lui dis-je. Ah oui ! Très intéressant
ça les primitives ! " me fait-il tout
heureux. Intéressant, intéressant
c'est
vite dit !
On entre dans son bureau : c'était une
vielle pièce, avec des vieux meubles, une
vielle odeur, et surtout des vieux bouquins par
centaines dans la bibliothèque. Le plus
récent de ces ouvrages devait avoir au
moins trente ans. Mais bon je me suis dit que
les maths d'il y a trente ans étaient les
mêmes que les maths d'aujourd'hui et que
donc je n'avais pas à m'inquiéter.
Je m'installe, je sors mes affaires et je lui
expose le problème : " j'ai cet exercice
à faire, il est assez difficile mais si
je le comprends je comprendrai tous les autres
" Il prend la feuille et lit le sujet à
haute voix après m'avoir dit : " j'ai
un conseil pour vous. Il faut toujours lire les
énoncés à haute voix, vous
verrez que ça vous permettra de mieux les
intégrer " Génial ! J'espère
quand même qu'il va m'en donner d'autres,
des conseils, parce que bon celui-là je
doute qu'il me permette d'avoir la moyenne au
bac. Après cinq minutes de concentration
je le vois se diriger vers sa bibliothèque
et regarder les bouquins attentivement. "
Voilà ! " s'écrie-t-il au bout
d'un moment, tout content d'avoir trouvé
ce qu'il cherchait. Il pose le manuscrit sur la
table, les pages étaient épaisses
et jaunes, d'ailleurs il en manquait au moins
la moitié. Il le met grand ouvert sur la
table devant moi en m'exposant ce qu'il appelait
les " clés du problème ".
Et le voilà parti dans un long discours
qui n'avait pas grand chose à voir avec
mon exercice. Ca partait dans tous les sens, tous
les grands mathématiciens de l'histoire
y sont passés, de Pythagore à Thalès,
il a même parlé de Rocard (le père
de l'homme politique), qui était physisicien
et avait étudié entre autres l'effet
des vibrations sur les infrastructures, moi je
me demandais bien ce que le père de Michel
Rocard venait faire entre Pythagore et Thalès,
et je me demandais aussi quel rapport ça
avait avec mes primitives et mon exercice, et
surtout je me demandais ce que je foutais là
! Une demi-heure qu'on avait commencé et
je n'avais encore rien appris, si ce n'est qu'il
faut lire un énoncé à haute
voix. J'ai enfin réussi à le ramener
sur mon problème et il a commencé
à réfléchir concrètement.
Je pense même qu'il aurait pu répondre
à la première question mais hélas
je lui ai demandé une petite précision
de vocabulaire. Erreur ! Il a levé les
yeux vers sa bibliothèque, a observé
les livres de loin, et il est parti en chercher
un autre encore plus vieux. Et il s'est de nouveau
envolé dans ses délires. Alors là
j'ai décidé de m'en aller. Normalement
le cours aurait dû durer deux heures, mais
ça ne servait à rien que je reste.
Ca me gênait beaucoup de partir au bout
d'une heure, mais quand même je n'allais
pas rester juste pour lui faire plaisir. Non seulement
je n'apprenais rien, mais en plus je perdais mon
temps. J'ai rangé mes affaires et il ne
s'en est même pas aperçu. Il a réagi
au moment où j'ai posé le chèque
de ma mère sur la table. Ca l'a coupé
net et il m'a regardée d'un air interrogateur.
Je lui ai dit " on va arrêter là
je crois
" Il a demandé pourquoi
tout tristement alors je lui ai dit " vous
ne savez pas le faire, l'exercice
"
Il s'est mis à bredouiller tout tristement
" si si
si si
" Et il s'est
mis à pleurer ! J'étais gênée
! J'ai essayé de détourner la conversation
: " vous étiez professeur avant ?
" Il m'a répondu " oui ! j'ai
même écrit un livre avec le Professeur
M., un chercheur à Paris " Il disait
ça comme pour me prouver qu'il avait été
autrefois très fort, ce qui est certainement
vrai. Bon
je me suis levée et il
m'a raccompagnée. Mais il avait perdu toute
son énergie et en me quittant il m'a tendu
le chèque en me disant " gardez-le
", j'ai refusé mais il a insisté,
alors j'ai dû le reprendre. Ah la la le
pauvre
Je m'en voulais de lui faire ça,
mais je m'en serais aussi voulu si j'étais
restée. Finalement je suis partie en évitant
de me retourner, très émue.
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