journal intime
44 _ Mercredi 13 novembre 2002

L'Armistice

Lundi c'était jour férié, jour de la commémoration de l'Armistice du 11 novembre 1918. J'avais passé la nuit chez Julie alors on est allées toutes les deux à la cérémonie au monument aux morts. On était plusieurs centaines de personnes mais très peu avaient notre âge. Pourtant moi j'y vais tous les ans, en souvenir de ceux qui sont morts si bêtement, et en souvenir de mon arrière-grand-père qui était mon idole et qui avait combattu pendant quatre ans dans les tranchées. Je ne vais pas raconter ça de nouveau car je l'ai déjà fait, mais c'est vrai que j'adore parler de lui.
Quand j'étais petite j'y allais avec l'école, et souvent on chantait une chanson. Ou bien on amenait une fleur avec nous et on allait la déposer au pied du monument. Evidemment je ne comprenais pas du tout le sens de cette cérémonie, jusqu'au jour où on m'a expliqué ce qui s'était passé en 1918, et ça m'avait beaucoup impressionnée. Et puis quand j'ai appris que mon arrière-grand-père avait participé à cette boucherie, j'ai vraiment réalisé que ces évènements n'étaient pas si loin que ça dans le passé, et depuis j'ai toujours beaucoup de respect pour ce jour-là.
Les gens présents à la commémoration étaient en majorité des vieux militaire à la retraite qui avaient arboré leurs décorations, des militaires de service qui semblaient très ennuyés de devoir participer à cette cérémonie, les enfants de certaines écoles, leurs parents, puis le maire et les conseillers municipaux de la ville qui à mon avis se fichaient pas mal de l'Armistice du 11 novembre et étaient surtout là pour entretenir leurs bonnes relations auprès des gens. Il faut bien sûr rajouter les musiciens… et Julie et moi ! C'est vrai, toutes les deux on était hors catégories au milieu de tout ce monde…
On a eu droit à un petit défilé en musique, ainsi qu'à pas mal de petits discours qui heureusement n'étaient pas tous trop monotones. Celui qui présidait la cérémonie était un viel homme décoré de la Légion d'honneur, sans doute un ancien combattant. Il n'avait pas l'air commode le vieux ! Quand il parlait aux porteurs de drapeaux il criait fortement " garde à vous ! " de manière sèche et brutale, on aurait dit qu'il se croyait encore sur le champ de bataille face à l'ennemi. Il ne rigolait pas ! Il avait vraiment l'air très sévère et pas agréable du tout. Puis on a eu droit à la Marseillaise jouée par l'orchestre. Franchement cette musique elle m'a toujours fait drôle. C'est vraiment une musique de bataille, le texte est sanguinaire, presque inhumain, et pourtant je la trouve belle. Mais le mieux c'est quand les enfants ont chanté. C'était sur une musique connue dont j'ai oublié le nom, et ils étaient dirigés par un chef d'orchestre amateur. Avant de commencer, un micro a été donné à l'un des enfants pour qu'il présente son école, le pauvre on a cru qu'il allait s'évanouir de peur ! Il avait le souffle coupé, il faut dire qu'il s'adressait à des centaines de personnes… Il cherchait ses mots, j'étais toute crispée pour lui et je l'encourageais dans mes pensées. Puis son calvaire a pris fin et ils ont chanté. Et sincèrement c'était magnifique. Je n'en revenais pas : la musique n'était pas évidente et pourtant tous ces enfants qui n'avaient pas plus de dix ans chantaient juste, dans les temps, sans aucun accrochage. Tout le monde était très impressionné, y compris le vieux militaire sévère qui animait la cérémonie. D'ailleurs à la fin il s'est écrié bien fort " bravoooo ! " en applaudissant, et là tout le monde a rigolé de le voir si enthousiaste. Lui qui cinq minutes auparavant donnait des ordres de façon si sévère, voilà qu'il était tout ému d'entendre les enfants chanter. Il y avait un grand sourire sur son visage et on s'est tous aperçu qu'en réalité, sous ses airs de militaire convaincu, c'était quelqu'un de très humain. J'aimerais vraiment beaucoup re-entendre ce " bravooo ! " qu'il a poussé à la fin de la chanson.
Certaines choses m'ont quand même réfléchir, en particulier dans les discours, et notament une phrase disant que les jeunes gens qui étaient partis au front à l'époque avaient " combattu pour défendre les valeurs de démocratie, de république et de paix "… Ah bon ? C'est pour ça qu'ils sont partis ? Et les Allemands en face ils combattaient quoi ? En réalité ils ne sont pas partis pour défendre des valeurs, ils sont juste partis parce qu'on ne leur a pas donné le choix. On leur a même fait croire que ce serait l'affaire de quelques semaines tout au plus, le temps de mettre une raclée à l'ennemi et tout rentrerait dans l'ordre. Si bien que la plupart étaient heureux comme tout de partirà la guerre ! S'ils avaient su ce qui les attendait les pauvres, ils auraient vite fait demi-tour… D'ailleurs certains ont fait demi-tour : on les a fusillés. Encore heureux qu'on se battait pour la paix et pour la démocratie !
Dire que parmi tous ces hommes qui sont partis, les plus jeunes avaient mon âge… C'est un peu comme si une guerre se déclarait et que les gars de ma classe étaient appelés ! La plupart je ne les imagine pas du tout avec un fusil et un casque… Mais alors pas du tout ! Pourtant s'il le fallait eh bien il faudrait bien qu'ils s'y fassent. Un million et demi de morts rien que pour ce pays ! Ca laisse pensif quand même… Sur le monument il est écrit : " Aux enfants de La Rochelle morts pour la France " (je vérifierai la phrase exacte). Ca veut dire quoi " pour la France " ? Un homme est attaché à sa famille, à son entourage et à ses biens matériels, pais peut-il être attaché à son pays ? Je ne sais pas trop…
La cérémonie a été ponctuée de petites pluies par-ci par-là mais rien de bien méchant. Dommage parce que cette fois-ci j'avais emmené un parapluie ! Il m'a été tellement inutile que je ne suis pas prête de le trimballer de nouveau avec moi. Je n'aime pas avoir les mains prises.

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