J'ai retrouvé
Caroline jeudi soir, et ça m'a fait très
plaisir, après tout ce temps
Notre
dernière entrevue remontait à une
bonne année, c'était à La
Rochelle. Mais qui est Caroline ? La fille de
Serge. Mais qui est Serge ? Un copain de mon père.
Mais qui est mon père ? Ben c'est mon père.
Il nous a tous invités au restaurant jeudi
soir. On était six à table, ce qui
fait tout un festival de personnages, et les gens
qui vont lire mon journal pour la première
fois ne vont rien comprendre. Tant pis, je ne
vais quand même pas faire un REP (résumé
des épisodes précédents).
Exposons la scène en quelques lignes.
Nous étions six. Tout d'abord mon père,
inutile de le présenter. Ensuite moi, inutile
de me présenter également, voilà
plus de six mois que je parle de moi dans ce journal
presque tous les jours. Ensuite mon cousin qui,
en plus d'être mon cousin, est le neveu
de mon père, ce qui est bien logique. Ensuite
vient David, qui est mon copain, mon amoureux,
mon confident, mon julot. Celui que je suis sa
gonzesse. Ensuite les choses se corsent avec Serge,
le copain de mon père. C'est un collègue
à lui, militaire également, petit
chef derrière un bureau au ministère
de la Marine, mais super sympa et super drôle.
Lui et mon père se connaissent depuis leur
entrée dans l'armée, ils devaient
avoir seize ans, alors ça fait une foule
de bons souvenirs, tout ça
Il y a
quelque chose que je m'interdis de faire dans
ce journal, et qui pourtant me démange
beaucoup : décrire les gens. Je veux dire
physiquement. Pourtant j'aimerais bien décrire
David de la tête aux pieds, ou bien mon
cousin, enfin tous ces gens qui m'entourent. Mais
pour une fois je vais faire une exception avec
Serge, car c'est la première fois que je
parle de lui, et il y a de fortes chances pour
que ce soit aussi la dernière.
Il est tout à l'opposé de mon père,
si bien qu'on aurait du mal à croire qu'ils
soient amis. Autant mon père est droit
et sec, autant Serge est plutôt calme et
tranquille. Pas très grand, et il rougit
facilement. Mais alors il y a dans ses paroles
tout un flot de blagues qui fusent, et ces blagues
ne sont pas toujours très tendres. Quand
il rit aux éclats, il a les yeux qui pleurent,
c'est mignon
Sa fille Caroline a dix-neuf ans et exactement
la même coiffure que moi, c'est dire si
elle a de beaux cheveux. Mais j'aurai l'occasion
de revenir sur son cas plus tard. Nous étions
donc six, mon chien n'était pas invité.
Ca y est j'ai planté le décor, créé
le climat de mon récit.
Le garçon nous a apporté la carte.
Garçon est un bien petit mot : c'était
le patron et il a avait au moins une cinquantaine
d'années. Le restaurateur parisien typique,
d'ailleurs, comme on le verra ensuite.
Mon père et Serge ont beaucoup bu. Tout
d'abord l'apéro, ensuite le vin rouge pour
accompagner le repas, et bien sûr le digestif
pour couronner le tout. Nous autres les jeunes
on marquait un peu plus de retenue, on a dû
boire un verre chacun à tout casser, ce
qui est bien suffisant pour moi d'ailleurs.
Alors peu à peu il s'est formé deux
groupes : les buveurs et les non-buveurs, autrement
dit les vieux et les jeunes. David et mon cousin
boivent beaucoup lors des apéros, mais
ils devaient trouver que la situation ne s'y prêtait
pas. Quant à moi, je ne bois jamais beaucoup,
donc ça n'a pas changé grand chose.
Les deux vieux commençaient à être
bien chauds, et peu à peu ils nous ont
oubliés. Caroline nous a expliqué
qu'elle était étudiante en fac d'économie,
ce qui m'a intéressée car c'est
certainement ce que je ferai l'année prochaine.
Mais je ne sais pas si je le ferai à La
Rochelle ou à Paris. Elle vit à
Etampes, une ville de la périphérie
éloignée de Paris que je ne connais
pas encore. Ses parents sont divorcés,
ou bien simplement séparés, je ne
sais plus
Tous les matins elle fait le trajet
en voiture d'Etampes jusqu'à Paris, et
le soir le retour. On lui a demandé pourquoi
elle ne prenait pas une chambre sur Paris, elle
nous dit qu'elle aurait beaucoup de mal à
vivre toute la semaine à la capitale. Et
puis elle a rajouté en souriant : "
et il faut bien que je m'occupe de mon père
" Eh eh. Elle a dit ça doucement en
regardant son papa juste à côté,
qui lui n'a rien entendu. A ce moment-là
il était en train de rire aux éclats
en se servant un verre de vin rouge, il avait
l'air tout heureux. Comme un grand enfant. Alors
la réflexion de Caroline tombait vraiment
à pic !
Le repas commençait à se faire long,
le service n'était pas très rapide.
Alors on est sorti dehors histoire de fumer une
cigarette, et les deux pères ne se sont
même pas aperçus qu'on quittait la
table. Arrivés sur le trottoir on s'est
longuement embrassé avec David, parce que
se faire du pied sous la table ça va deux
minutes. Je pense que mon père a bien aimé
David. De toutes façons, après mon
moniteur d'auto-école, un jeune gars de
21 ans ne pouvait faire que bonne figure.
On est rentré et le repas s'est terminé
doucement. Le patron est arrivé avec la
liste de tous les plats et boissons commandés,
et de tête il a fait le calcul de l'addition.
Comme la liste était longue, Caroline lui
a dit : " Vous faîtes le calcul de
tête ? Eh ben ! On sent les années
d'expérience ! " Le patron a répliqué
comme ça : " ah ça m'aurait
étonné que j'aie pas une réflexion
sur mon âge
" Alors Caroline
lui a dit " Oh beh z'êtes pas vieux,
vous avez quel âge ? " Le patron :
" quarante-trois ". Caroline : "
ah ben vous les faîtes vraiment pas
" Et là le patron lui a sorti : "
T'es gonflée j'en ai cinquante-trois !
" Ah ! Ah ! Ah !
Nous sommes sortis dehors pour une petite marche
d'un quart d'heure, afin de rejoindre la voiture
de Serge. C'est bien sûr Caroline qui est
montée au volant, car son père n'était
pas vraiment en état de conduire. Mon père
est lui aussi monté avec eux, ils le déposeraient
à l'hôtel Odessa.
Caroline m'a invitée à venir chez
elle la semaine prochaine. Elle m'a proposé
ça entre deux phrases, elle ne pensait
pas que je dirais oui avec tant d'enthousiasme.
Elle ne pouvait pas savoir que j'adore découvrir
une nouvelle ville, même une qui n'est pas
connue
. Maintenant, reste à savoir
si elle pensera à me téléphoner.
Certaines personnes disent beaucoup de choses
mais en font peu. Je ne pense pas que ce soit
genre, on verra bien
David est à la fnac en ce moment, il achète
des places de concert pour un groupe dont j'ai
oublié le nom, assez compliqué à
retenir. Je ne sais pas encore ce qu'on va faire
ce soir.
Bien
j'espère que ce texte était
lisible. J'ai beaucoup plus de mal à raconter
les événements quand plusieurs personnes
y participent. J'aime mieux parler de ma solitude,
j'ai plus de mots pour la décrire.
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